Better Person est une incongruité, une hérésie, un anachronisme. Lorsqu’on découvre, Something To Lose qui fait suite à une poignée de singles passés sous la plupart des radars depuis 2015 mais qui lui aurait conféré un statut d’artiste culte auprès de la scène underground berlinoise (pas grand monde donc), on se demande vraiment comment et pourquoi un type peut engendrer un tel album en 2020. Le fait que son auteur, Adam Byczkowski, soit Polonais et utilise sa langue natale sur la plupart de ses chansons ajoute à l’incompréhension et suscite la curiosité. Il doit avoir la vingtaine d’années et fait office d’Hibernatus. Car cet album est un hommage crânement assumé à la « pop music » des 80’s, celle qu’on pouvait entendre sur les ondes FM et faisait prospérer les grosses majors de l’industrie du disque. Paix à leur âme et leurs actionnaires. Trois ou quatre décennies plus tard, on s’émerveille qu’un label allemand défricheur s’entiche du garçon et puisse donner une réalité matérielle à cette œuvre. Ça donnerait presque envie de croire que les labels ont encore une raison d’exister.
L’inspiration d’Adam Byczkowski brouille les références temporelles : en quelle année est réellement paru Something to Lose ? Très vite, ce qui perturbe au départ devient dérisoire. Le film se joue à l’envers : Na Zawsze qui ouvre le disque sonne comme la complainte de l’amant déchu, alors que Better Person s’efforce de se montrer sous son meilleur jour sur Hearts On Fire, séduisante invitation, avant le slow collé-serré True Love. C’est terrible cette impression de se retrouver dans une boum, organisée dans le garage d’un pavillon de banlieue un mercredi après-midi. A croire que tout va se jouer là, notre avenir, notre destinée, parce que le cœur se serre lorsqu’on lui demande de venir danser avant de lui piétiner gauchement les pieds. On ne connaît rien à la vie, mais déjà le cœur bat fort, les mains sont moites comme si demain ne pouvait ne pas exister. On inspire dans son cou, on n’ose pas bouger les mains qu’on essaie de presser le plus légèrement possible sur ses hanches. Oui, décidément, la musique de Better Person est un voyage temporel dans notre (é)moi émotionnel. Il enchaîne les ballades qui pourraient paraître désuètes sans qu’on ait envie de le railler. Ça confine à l’œuvre de bienfaisance pour la résurrection de nos primes émotions, car même ce saxophone cheap parait poignant (Something To Lose). On sifflote à l’unisson (Dotknij Mnie).
Oh, oui, il est fort probable que la plupart ne comprenne rien à ce que raconte Adam Byczkowski. Et ce ne sera pas qu’une question de langue. Pour quelques-uns en revanche, ces chansons réveillent tant de doutes et d’espoirs, de craintes et d’espérances enfouies au tréfonds de leur jardin secret comme certaines chansons de Talk Talk, The Blue Nile ou Tears For Fears. Disque crépusculaire, Something To Lose s’adresse aux mélancoliques qui réfutent l’influence des modes et se contrefichent des codes. A ceux qui ont cru un jour que l’amour pouvait être unique et durer une vie entière.