Entre les lèvres de Youri Defrance, la musique est un voyage, une odyssée de l’étrange et du bizarre où l’on croise, dans le même espace-temps, des animaux-symboles, des signes de Feu, d’Eau ou de Terre et des géographies du bout du monde. Depuis notre rencontre étendue et chamanique, le chanteur-musicien-voyageur n’a pas chômé, tout entier absorbé à la mise en place de son nouveau dispositif, baptisé le Dôme où il donnera prochainement des cérémonies-concerts, étranges messes à clé où se mêleront poésie, chant et révélations philosophiques, entre Bretagne et Monts du Lyonnais.
Youri Defrance est un mirage, mélange autoinspiré de blues et de world music, de guitares et de gorge jouée, d’instruments exotiques et de pensées-brouillard, un mirage qui, au lieu de tromper, éclaire ou embrume, inspire ou ensauvage en même temps qu’il questionne, non seulement l’ordre établi, mais plus intensément le réel tout entier. Qui croire ? Que croire ? Surtout pas les yeux, peut-être les oreilles. A moins que… C’est ce qui se dessine avec cette Blue Water, séance captée live dans la clandestinité ramassée d’un énigmatique « Private Concert at Bistrica ob Sotli« , studio-café situé à la frontière de la Croatie et de la Slovénie qui tout au fil de ses 45 minutes de musique étourdit et émerveille un peu. Le set est doublement étrange. Parce que maladroit et prononcé depuis l’arrière-salle de ce qu’on imagine un bistrot ou un café-concert de gitan et de sympathisants. Youri Defrance entame le set comme un maquisard, à portée d’homme en vie, avant de s’envoler rapide, en loup solitaire et aigle roi, dans les plaines mongoles sur un Tavan Tolgoi, guttural et artisanal, qui surplombe la plaine. Blue Water est un disque intrigant, fascinant à bien des égards, où s’entrechoquent les folklores traversés par l’artiste jazzman, américain sur Blues of The Wolf, slave et mongol.
Les plats de résistance relèvent du blues le plus brut avec celui du Loup, bien sûr, qui taquine les sept minutes mais aussi les magnifiques Down Mississipi John et Blue Water. On croit croiser parfois le fantôme d’un Jim Morrison désinhibé et revenu d’entre les morts, la guitare folk d’un Robert Johnson en diable à cocus qui hurlent à la nuit. La voix de Youri Defrance est juste et faible à la fois. La chaise craque, les ombres dansent et la voix se fend comme un vieux bois. La sensation est troublante d’une musique saisie sur le vif et encore en train de se construire comme elle est prononcée. Impossible, sauf à être calé en musicologie, de voir d’où viennent les notes, de quelle contrée et de quelle époque. Fleurs du Pérou est aussi sud-américain que nous. Blue Water fonctionne comme un songe d’une nuit d’automne, le mélange curieux d’une blues ancien et d’une tradition slave oubliée, montagne contre rivière saumonée, ours contre loup, aigle contre violon tzigane et fougères à mousse, susurée et partagée autour d’un Génépi. Down Mississipi John est la pièce la plus impressionnante, presque muette, rieuse et épique dans sa construction.
Il y a de tout ici et de rien là-bas, la rencontre surnaturelle de Kusturica et de Jarmusch musiciens, le même esprit flageolant et royal que lorsque Johnny Depp se prenait pour le Dead Man de l’Ouest. C’est cet esprit d’outremonde qui flotte sur le disque, vibrant d’une mort certaine et comme livré, les mains dans le dos, à un sort inconnu. Blue Water est un disque magnifique et improbable, alimentaire dans ses finalités mais fluide et fort comme le courant d’Est.
02. Blues of The Wolf
03. Fleurs du Pérou
04. Down Mississipi John
05. Blue Water
06. Skip James Tribute
Lire aussi :
Youri Defrance / Ley Lines Blues – Wigwam Live Mt Lozère
Mont Lozère : Youri Defrance ouvre son Wigwam
Youri Defrance / Wigwam Moon Wolf – Hadean Live
Youri Defrance sur le sentier de la plume