Sorti le jour de la Saint Valentin, Twilight est le pendant de Daylight, le deuxième album commun du duo Hifi Sean & David McAlmont. Contrairement à ce que le titre et le packaging auraient pu laisser penser, il n’est pas le cousin sombre du précédent, ni même moins lumineux que les deux premiers essais des bonhommes. Là où Daylight regorgeait de tubes en puissance et “racontait” plus ou moins l’éveil à la lumière d’un danseur/amateur de musique/auditeur, Twilight renvoie (d’après les déclarations de ses auteurs) à la situation qui suit, disons, l’exaltation du jour, de la danse et de l’exposition au soleil. Le disque se situe à cet instant précis où, entre chiens et loups, entre la nuit et le matin, on rentre chez soi et on contemple la nuit. Il y a des étoiles, le ciel, l’espace grand ouvert sur un océan noir et pourpre, les vagues et… l’homme ou la femme qu’on aime à nos côtés.
Cette sensation de plénitude et d’apaisement mais aussi d’émerveillement devant la nature/le cosmos nocturne est renforcée par le magnifique travail de mise en sons réalisé par Hifi Sean pour ce disque. Cela saute aux oreilles d’emblée (on recommande pour ce disque l’écoute au casque qui permet vraiment de s’immerger dans la musique) avec un Comedown assez fantastique sur ce terrain du soundscaping. Twilight prend son temps et joue de la même façon sur les variations de tempos et les textures. La production s’amuse avec la voix de McAlmont en la dédoublant et en la mettant à distance. Ce travail crée un effet d’enveloppement qui est chaleureux mais abstrait à la fois. La plupart des morceaux sont de véritables pièces d’orfèvrerie dont il est curieux de traquer les détails et les astuces écoute après écoute. Si Daylight était menée par la virtuosité vocale de son chanteur, Twilight se sert de McAlmont comme d’un instrument miraculeux, qui vient aimanter la structure des morceaux et la faire vibrer de plaisir mais sans jamais lui donner la liberté d’une pièce uptempo. Le tout est très minimaliste et d’une élégance folle. Tout en retenue et en délicatesse. Uptown/Downtown est fabuleuse et vibrante comme une comptine soul. Driftaway est un morceau tout aussi curieux et réussi qui colle à son sujet. Le duo diverge, divague presque et tourne autour de sa mélodie, en prenant soin de l’éviter. Il y a dans cet égarement et ce refus d’aller à l’essentiel, une volonté de prendre son temps et de (se) laisser aller.
C’est le sentiment qu’on retire de la même manière d’un single tel que Sorry I Made You Cry lequel refuse délibérément de s’engager dans la voie de la surenchère et de la flamboyance pour s’enfoncer dans une sorte de langueur soul fatiguée et pâteuse. A l’image du clip (de torture) produit pour l’occasion, la tristesse fait l’effet d’une caresse (à la plume) plutôt que d’une lamentation sur-romantique de diva. Goodbye Drama Queen fait écho au Sad Banger de l’album précédent. Equinox’s Children est d’une subtilité extraordinaire et refuse le décollage qui lui tend les bras. Twilight joue avec cette frustration qui consiste à nous refuser ce pour quoi on est venu : entendre McAlmont aller cueillir l’émotion sur les notes les plus hautes et nous élever jusqu’à son niveau. Sur High With You, on a le sentiment que le point haut (l’orgasme) a été dépassé et qu’il s’agissait désormais de flotter dans l’état de consentement et d’apesanteur qui suit la satisfaction de notre désir.
It’s just imploding stellar mass / And baby I got the gas / I want to float up with you /
High up with you /
I’m just imploding stellar mass / And baby I got the gas/ I want to float up with you/
Up somewhere / high up with you
La suspension est extatique. Il n’agit plus d’exploser de plaisir mais véritablement de s’épancher et de se dissoudre. A cet égard, Twilight est moins spectaculaire et moins impressionnant que son prédécesseur. Il peut être jugé moins efficace même s’il offre tout à fait autre chose. Que dire de Star ? Si ce n’est qu’il constitue presque une exception à ce qu’on vient de dire. Sorte de tube qui n’en est pas un, mais qui éclot dans la lenteur complète et la pure beauté du son. On savoure chaque note, on la voit se dresser devant nous en suspension, puis la voix lui court après, la souffle comme un cheveu de vent. Ce titre est peut-être bien le plus beau du disque, le plus magique, le plus simple et le plus intense que le duo ait jamais livré. C’est un morceau qui nous immerge dans la douceur quasi silencieuse de l’amnios originel, tout en nous donnant le sentiment qu’on flotte dans l’espace. Sleeping Pill prolonge cet effet de sublimation par le pré-sommeil. Il s’agit de rêver et de sortir de son corps. Le chant de McAlmont est nu, vif et joueur. La fin est irrésistible. L’écoute procure la même émotion que si lorsqu’on s’apprête à perdre conscience jusqu’au lendemain.
Sirens referme Twilight de façon presque conceptuelle en nous ramenant d’où on était venus, à cet instant précis où la nuit rouvre sur le jour. La boucle est bouclée et le cycle recommence.
Moins foisonnant et emballant que son prédécesseur, Twilight est un disque au charme inouï et qui explore cet état de relâchement de la conscience au seuil du sommeil qui est propice au plaisir et aux délices, cet état mystérieux et déjà altéré où l’émotion est multipliée, où la douceur est surnaturelle et la tristesse abyssale. En explorant cet entre-deux de l’entre-soi, David McAlmont et Hifi Sean bouclent un diptyque d’une qualité exceptionnelle et une trilogie qui ne dit pas son nom qui restera comme l’une des aventures les plus grandioses de l’electro-soul contemporaine. Les deux derniers disques sont sans équivalents et vieilliront sans mal avec nous, résistant à jamais à l’effondrement de notre libido et à l’usure de notre esprit. Monument émotionnel ou monument national, on peut ne pas choisir.
02. Twilight
03. Uptown/ Downtown
04. Driftaway
05. Sorry I Made You Cry
06. Goodbye Drama Queen
07. Equinox’s Children
08. High With You
09. Night Drive
10. Star
11. Sleeping Pill
12. Sirens
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