Il n’y a rien qui ressemble plus à un album des Pet Shop Boys qu’un album des Pet Shop Boys de nos jours. Et c’est tant mieux. Quand le monde se sera écroulé et la Grande Bretagne définitivement éloignée du continent européen, quand il ne restera plus rien de la pop anglaise, de la culture que nous avons connue, il est assez probable que les Pet Shop Boys continueront d’aligner des albums élégants, enlevés et amoureux depuis où ils trouveront alors, comme ils le font depuis 40 ans maintenant. Hotspot n’est rien moins que la quatorzième réalisation commune de Neil Tennant et Chris Lowe et c’est loin d’être la plus négligeable.
Le groupe est en forme. Après une petite chute d’inspiration suite à l’album Fundamental, l’album Super (2016) a marqué un retour aux affaires et à la flamboyance de leur première décennie d’activité. La musique des Pet Shop Boys est moins électro et moins orientée vers les clubs qu’hier, même si elle est toujours pétillante et dansante. Elle a repris des allures pop et réendossé une forme de langueur sensuelle et nostalgique qui agit sur l’âme et les corps comme un baume apaisant et fait des miracles. Enregistré à Berlin, l’album sonne comme une balade déambulatoire dans l’époque, en même temps qu’il pose un regard amusé et tendre sur la modernité. L’entame conquérante Will O’The Wisp décrit une rencontre avec un « personnage » dont Neil Tennant a le secret, créature fantastique et libre dans sa jeunesse, objet de tous les fantasmes et prompt à s’échapper que le chanteur imagine, rangé des excès, marié et devenu fonctionnaire dans un bureau. Voilà exactement ce à quoi les Pet Shop Boys échapperont tout le temps : l’institutionnalisation et l’arthrose. Leur longévité les a préservés de tout appauvrissement et ils n’ont rien perdu de leurs qualités d’observation et de leur capacité à façonner des balades qui font mouche.
You Are The One n’est clairement pas la plus mémorable de toutes mais Happy People à l’allant et la fluidité des années Actually. A l’échelle de ce que le groupe a réalisé, on est dans la qualité standard et manufacturée, sans que cela sonne justement comme une redite ou une répétition. La montée est parfaite et l’organisation des plateaux aussi rassurante qu’efficace. Il faut attendre Dreamland, un duo avec la vedette electropop Olly Alexander pour être surpris pour la première fois. Le morceau est un tube en puissance, catchy en diable et chanté divinement, mais à qui il manque une petite étincelle de folie pour emballer complètement. Les meilleures chansons de Hotspot sont des chansons narratives et downtempo, des chansons un peu tristes et qui prennent leur temps, à l’image du sublime Hoping For A Miracle. Tennant et Lowe regardent en arrière et voient le temps leur échapper. La mort rôde et la dépression fait rage. Chacun court après sa splendeur disparue, ses belles années et un retour de flamme. « I dont want to go out/ I Dont want to go dancing », chante Tennant, décrivant l’usure d’un ami essoré par la vie sur le chouette I Dont Wanna. C’est contre cette envie de ne pas y aller, contre le renoncement et l’embourgeoisement que luttent les deux hommes. Les Pet Shop Boys ne vieillissent pas. Ils continuent de faire ce qu’ils ont toujours fait, de se tenir au cœur du mouvement et du monde qui s’agite. Monkey Business est l’un des meilleurs titres du disque : rétro dans sa production, radicalement déterminé à mourir les armes (et la disco) à la main. Le beat est infectieux, presque soul. C’est un morceau économe et programmatique : pas de répit pour les braves.
Only The Dark ressemble à une scie synthpop des années 80 et dieu que c’est beau et bon de retrouver ce son, cette façon de rêver et de chasser ses peurs. Le final est grandiose à cet égard et quasi iconique avec le soyeux Burning The Heather et son clavier à pleurer tant il est triste puis l’électro matrimoniale Wedding In Berlin. En décrivant ce ridicule mariage gay à Berlin, les Pet Shop Boys signent une composition curieuse et qui renvoie l’idée qu’il n’y a aucune honte à faire ce que l’on croit bon. La chanson est arrangée de manière astucieuse et suffisamment déviante pour qu’une distance s’insuffle entre le cérémonial très codifié et l’intention du chant. « We are getting married because we love each other. Because the time feels right. We will be together always forever. We are getting married today. » On aurait cru ne jamais entendre ça mais les Pet Shop Boys auront presque réussi à faire passer le mariage pour quelque chose de sympathique et qui ne soit pas un tue l’amour.
Hotspot est un album appliqué et agréable, un album dans le coup et inspiré, mais qui manque de quelques gros titres référence pour marquer durablement les esprits. Avant une tournée en forme de best of, il revient toutefois intelligemment au son de référence du groupe et aide à relier les différentes époques du groupe les unes aux autres. On n’en dira pas plus : ceux qui aiment s’y retrouveront.
02. You Are the One
03. Happy People
04. Dreamland
05. Hoping for A Miracle
06. I Dont Wanna
07. Monkey Business
08. Only The Dark
09. Burning the Heather
10. Wedding in Berlin