Il aura fallu six ou sept ans à Anohni (on vous passe les multiples noms et transformations pour faire simple) pour donner un successeur à Hopelessness, un album étrange, vaguement décevant et qui marquait, sur chacun de ses morceaux, le cheminement de l’artiste vers autre chose. Cette autre chose s’appelle sûrement My Back Was A Bridge For You To Cross, un disque solo formidablement abouti et classique instantané du genre, qui se positionne, après l’offrande du début d’année de HiFi Sean & David Mc Almont, comme le second/deuxième grand disque soul de l’année.
On pourra s’étonner qu’Anohni, devenu(e) femme etc, redéboule avec un album aussi bien défini musicalement. Lui/Elle qui évoluait jusqu’ici en serpentant entre les genres, se love à merveille dans l’écrin soul que lui proposent son groupe et le producteur Jimmy Hogarth (James Blunt, etc). Les chansons sont sublimes, finement et sobrement arrangées pour permettre à la voix extraordinaire de déployer ses charmes. Et c’est ce qui se produit d’emblée et de titre en titre, depuis l’excellent It Must Change jusqu’au titre 10 et final, You Be Free, dont on reproduit ici le texte intégral :
I danced by violent times
It was hard to live, live
It was my-
It was my time, time to
Give, give, give
Done my work
My back was broke
My back was a bridge for you to cross
Then I wished in the aftermath
That the Earth would take my life
Like she took the lives of my mother
And my sister
Ooh, you, you be free
You be free for me
For me
You (You) be free for me
Le disque évoque partout avec cette finesse, cette délicatesse, cette justesse les questions de transidentité et ce qu’elles embarquent dans le vie d’un être humain : espoir, tracas, souffrances, rêves. Les émotions sont à fleur de peau, vives, brutales, tragiques souvent (Go Ahead) mais elles sont retranscrites avec une pudeur et une sincérité qui font passer les vidéos de l’ami Chris pour des modèles de balourdise. Sliver of Ice est une chanson incroyable, déchirante, sublime et on en passe qui s’ébroue sur quelques notes de musique. La voix d’Anohni fait penser, dans les graves, à du Nina Simone. Elle évolue entre puissance et fragilité, pour constituer évidemment la principale attraction du disque.
On pourrait prendre les chansons une à une et presque s’agenouiller devant chacune. Le disque est majoritairement down tempo, intime et personnel, jusque dans l’évocation des persécutions et des brutalités dont est victime l’auteure (Scapegoat) qui prend ici une dimension sacrée et épique à travers un traitement progressif et orchestral magnifique. It’s My Fault est merveilleux et There Wasnt Enough peut-être le seul titre qui semble ne rien proposer de nouveau. Le piano est roi, coiffé d’une voix qui s’interroge sur le pourquoi des choses et de la vie (Why Am I Alive Now ?). Ceux qui reprochaient à Antony de travailler dans un style maniéré et trop expressionniste en seront pour leurs frais. Tout ici est millimétré, à l’économie. La voix n’en fait jamais trop, se contentant d’exposer sa splendeur transgenre à qui veut bien l’entendre et l’écouter.
On s’arrêtera là faute de qualificatifs. Ce disque est une merveille. Cela s’entend au premier coup d’oreille et sans qu’on ait besoin de le crier sur les toits. Il est plein d’amour, de tolérance et beau comme une femme en pleine possession de ses pouvoirs. La sensualité qu’il dégage et le désir qu’il inspire ont assez peu à voir avec la médiocre cuisine hormonale. Comme David McAlmont, Anohni se mesure désormais avec les anges.
02. Go Ahead
03. Silver of Ice
04. Can’t
05. Scapegoat
06. It’s My Fault
07. Rest
08. There Wasnt Enough
09. Why Am I Alive Now ?
10. You Be Free