Hifi Sean & David McAlmont / Happy Ending
[Plastique Recordings]

9.2 Note de l'auteur
9.2

Hifi Sean & David McAlmont - Happy EndingCe disque est une cathédrale de bonheur. Attendu depuis assez longtemps et annoncé par des singles aussi extraordinaires les uns que les autres, The Skin I’m In ou All In The World, le premier album de Hifi Sean et David McAlmont est encore meilleur que ce qu’on pouvait espérer.

L’ancien Soup Dragons et The High Fidelity, Sean Dickson aka Hifi Sean achève peut-être avec Happy Ending la dernière partie de sa mutation artistique pour s’affirmer comme le démiurge metteur en sons d’un disque atemporel, stellaire et qui a des allures de classique (mais de quoi?) instantané. Il faut dire que l’histoire de l’homme est assez merveilleuse et tortueuse. Démarrée au milieu des années 80 au sein du combo rock écossais qu’il pilote jusqu’au méga succès repris des Stones, I’m Free, Sean Dickson livre avec The High Fidelity une série d’albums de premier plan qui ravissent encore aujourd’hui les amateurs de pop délicate (mais électronique) à la Felt. Après un coming out assez violent à son échelle familiale et personnelle, puis une sévère phase dépressive, Dickson renaît sous le nom de Hifi Sean et se lance dans le DJing, arrosant de sa science musicale et de sa délicatesse, les clubs (gays et hétéros) de la planète. C’est dans cette vie là qu’il croise pour la première fois David McAlmont, lui-même revenu d’une starification acquise aux côtés de l’ancien Suede, Bernad Butler. Mi-guyanais, mi-nigérian, McAlmont est probablement l’une des curiosités les plus excitantes de la pop anglaise des années 90. Sa voix est un enchantement et l’homme une anomalie à lui tout seul : lettré (il est historien spécialisé en histoire de l’art), black et gay, McAlmont est aussi LA voix la plus spectaculaire de ces dernières décennies, capable de marquer les esprits avec sa seule reprise de Diamonds Are Forever, avec le producteur David Arnold, mais aussi de disparaître pendant des années pour chanter sur des projets obscurs qu’on recommande tous chaudement.

Les deux hommes collaborent sur un premier titre qui figure sur l’album solo de Hifi Sean avant de constituer ce qui ressemble désormais à un « vrai groupe » de… deux ! C’est cet esprit de groupe, de communion entre amis véritables qui fait de Happy Ending un projet aussi juste et si particulier. Les deux hommes qui évoluent dans ce qu’on pourrait décrire comme « leur seconde partie de carrière » ont tissé un lien personnel (rien de sexuel ou sentimental – même si leur homosexualité assumée est aussi au coeur du programme) qui se ressent dans la façon dont ils interagissent artistiquement. C’est en effet l’intrication et l’harmonie quasi parfaite du chant, des textes et des motifs musicaux qui frappe ici, comme si les textures vocales et mélodiques avaient été pensées « en même temps » et développées à partir d’un élan créatif ou d’un état d’âme totalement synchrones.

L’ouverture Happy Ending est à elle seule un excellent résumé de ce qu’on trouvera ici : des cordes bollywoodiennes (un des territoires musicaux commun des deux hommes), une voix soul irrésistible, androgyne et techniquement parfaite, et un accompagnement électronique millimétré, inventif et d’une économie exemplaire. Monté sur plus de sept minutes, la pièce est aérienne, émouvante, spectaculairement dynamique sans être jamais vive ou facile. Son écoute procure un état qui mêle extase et sentiment d’élévation. The Fever déploie ses charmes sur un terrain pop et chill out, sophistiqué et chaleureux. Entre clubbing champagne et pop chorale, on ne trouvera pas mieux et plus abouti que Beautiful, formidable chanson feelgood qui s’émerveille de la beauté du monde.

Happy Ending s’avère un disque roboratif avec 13 titres en version vinyle (Bunker To Bunker, pourtant un sommet évident de l’album, est absent de l’édition digitale) qui embrasse un champ musical vaste et passionnant. Des accents tribaux et reggae d’un Diamond Dust, on verse dans la disco pop fédératrice de All In The World, en passant par l’electronica intime de Maybe, la balade électro-symphonique de Transatlantic ou encore la pop fleurie de Real Thoughts In Real Time. Les styles des deux hommes s’accordent et se déforment avec une agilité exceptionnelle, épousant les genres, soul, pop, guimauve, parfois opératiques, avec une stupéfiante facilité. La voix de McAlmont sonne tantôt comme celle de Prince, de Stevie Wonder ou de Bowie, grimpant dans les aigus avec la même aisance qu’elle bascule dans des sonorités modernes, hip-hop ou soul. On est stupéfaits par la simplicité des engagements mélodiques, l’épicurisme prudent qui transpire des textes, célébrant un présent étendu où l’amitié, l’humanité se défient des dangers de l’époque.

Happy Ending est un disque qui parle de sentiments, du monde tel qu’il est mais aussi du social et du réel que McAlmont n’élude jamais. C’est un album aberrant, parfois grandiloquent, mais toujours remuant et qui danse et remue du cul avec les pieds bien campés au sol et un enracinement dans le quotidien qui contredit parfois les hauteurs prises par le chant. La sensation à l’écoute est parfois vertigineuse entre un propos terrestre, attentif et presque prosaïque et une forme qui lorgne vers l’infini et le dépassement de ses « conditions de production ».

Otherwise est un titre délicieux, primitif et en même temps subversif dans sa façon d’envisager une autre conduite des opérations. C’est dans cette exaltation de « l’autrement » que la vision du monde portée par Hifi Sean et McAlmont prospère et resplendit. Leur tentative de réenchanter le monde par une vision conquérante, joyeuse et ouverte à toutes les surprises, est une réussite absolue. Les deux hommes avancent main dans la main et presque « à armes égales », Hifi Sean ne laissant presque jamais (The Skin I’m In) la vedette à son chanteur Castafiore. D’aucuns regretteront d’ailleurs que les arrangements soient omniprésents et ne laissent pas McAlmont opérer plus souvent en solo et dans un terrain plus dépouillé.

La critique n’est pas complètement fausse mais la fusion entre les deux artistes est telle qu’il fallait que cette collaboration déborde des formules habituelles reposant sur une simple mise en valeur des qualités exceptionnelles de McAlmont. Ici, sa voix est brutalisée, libérée, sublimée, toujours sertie de notes et de sons, comme si elle devait s’élever et batailler pour atteindre les cimes. C’est dans cette conquête du territoire qu’elle prend toute sa mesure, épique et quasi surnaturelle.

Happy Ending est une œuvre atypique, enthousiasmante et aussi moderne que désuète. Son aspiration au beau et au bien est communicative et « transcendante » au sens littéral où elle dépasse l’entendement et la simple description. C’est un disque qui résonnera aussi follement dans une discothèque pansexuelle, une église, une chambre d’ado que dans un baisodrome à cul ouvert.

Tracklist
01. Happy Ending
02. The Fever
03. Beautiful
04. Hurricanes
05. All In The World
06. Diamond Dust
07. The Skin I’m In
08. Maybe
09. Bunker to Bunker
10. Transatlantic
11. Real Thoughts In Real Time
12. Otherwise
13. Aurora (Parts 1 & 2)
Liens

Lire aussi :
Sad Banger, la disco désolée de Hifi Sean et David McAlmont

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