In a Silent Way : l’émouvant documentaire de Gwenaël Breës sur Mark Hollis

In a Silent Way - Talk TalkPour son premier film, le cinéaste bruxellois Gwenaël Breës se confronte à un sacré paradoxe : chercher à représenter un musicien dont la quête artistique s’est conclue par l’effacement progressif puis l’invisibilité totale aussi bien de l’œuvre que de la personne. A cela, autre problème : Mark Hollis, vivant au moment du tournage, refuse la moindre interview (rien de surprenant) mais interdit également au réalisateur l’utilisation du répertoire Talk Talk. In a Silent Way est donc un documentaire sur Mark Hollis mais sans Mark Hollis ni la musique de Talk Talk. Ne pas compter non plus sur Tim Friese-Green et Paul Webb, qui n’ont pas donné suite aux demandes de Gwenaël Breës. Pourtant, ces contraintes, que beaucoup jugeraient insurmontables, deviennent ici des atouts permettant au réalisateur d’échapper à la rigueur parfois scolaire du rockumentaire. Par la force des choses, In a Silent Way est moins un portrait de Mark Hollis qu’une démarche personnelle afin de mieux comprendre les beautés ensorceleuses de Spirit of Eden et Laughing Stock.

In a Silent Way prend la forme d’un road-movie. Meilleure façon d’aborder une musique en phase avec la nature et la faune animalière, mais aussi de ressentir l’atmosphère ayant conduit Mark Hollis à l’épure harmonieuse de ses trois derniers albums. Gwenaël Breës et son équipe déambulent ainsi de l’Essex à Brighton, de l’emplacement du studio d’enregistrement (qui aujourd’hui n’existe plus) où fut composé Spirit of Eden jusqu’à… la rue où résidait Mark Hollis durant ses dernières années ! C’est justement au moment où le réalisateur pourrait accidentellement rencontrer son idole (le nom de Mark Hollis et de son épouse figurent sur la boite aux lettres de l’entrée) que le film prend une seconde altitude : n’y a-t-il pas une forme d’indécence à traquer un musicien ayant choisi la voie de l’effacement, se demande alors Gwenaël Breës ? Mark Hollis, à ce stade, se transforme en présence fantomatique, en un souffle ou une sonorité que l’on peut entendre dans les paysages et les lieux que scrute une caméra aux aguets, en attente d’un secret, d’un mystère (d’où provient l’inspiration de Spirit of Eden ?).

Le récit itinérant d’In a Silent Way voudrait reconstruire un puzzle dont-il manquerait les pièces principales (dans les mains d’Hollis). Les intervenants rencontrés (le claviériste Ian Curnow, l’ingénieur du son Phill Brown, le journaliste Jim Irvin ou le peintre James Marsh qui a conceptualisé toutes les pochettes de Talk Talk) avancent des hypothèses sur le retrait de Mark Hollis, racontent des souvenirs d’enregistrements ou insistent sur la pureté musicale souhaitée par l’auteur en chef. Mais ce ne sont que des contours flous, des questionnements supplémentaires qui ne font qu’enrichir le mythe Hollis. Pour cause : il s’agit de portraitiser un artiste qui n’expliquait jamais sa démarche et ne donnait aucune indication concrète à ses collaborateurs (« joue », en guise d’unique repère).

Film fuyant, à l’image d’Hollis, In a Silent Way, dans son impossibilité à saisir le personnage, en revient à la seule démarche intègre : concevoir son essence, et pourquoi ne pas deviner sa présence dans les nombreux paysages visités ? Le sensoriel plutôt que l’historique, le souvenir intime plutôt que l’explication logique… Un film hanté.

In a Silent Way sera prochainement présenté en France dans quatre festivals : FAME (Paris, du 18 au 25 février), Musical Écran (Bordeaux, du 4 au 11 avril), les Rencontres du Film d’Art (Saint-Gaudens, dates reportées à la réouverture des cinémas), Aux Ecrans du Réel (Le Mans, report en attente de confirmation).

En marge de ces diffusions, Gwenaël Breës publie un feuilleton hebdomadaire en six épisodes consacré au parcours de Talk Talk, depuis le 15 janvier sur le site du magazine Gonzaï.

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