Une belle amplitude, une exécution technique et soignée et surtout une capacité à suggérer et à emmener par-delà les nuages : c’est ce qui fait de ce deuxième album des Tourangeaux de Jim Ballon une jolie découverte. Membre du Capsul Collectif, Jim Ballon se présente comme un projet collégial artistique, expérimental et à guitares. C’est un trio efficace et référencé qui a de faux airs de la Fat White Family, version 2019, c’est-à-dire un groupe désormais plus évanescent que punk, gentiment psychédélique et qui ouvre, à coups de mélodies à double fond, des espaces pour l’exploration mentale et l’évasion. Les pièces, à l’image du Airline d’ouverture qui dépasse les 7 minutes, sont longues et bâties sur des progressions lentes et imperceptibles, entrecoupées de saillies nerveuses et de chœurs plus ou moins bien ajustés. Les guitares sont tendues et l’on retrouve les sonorités métalliques et pleines de reverb qui donnent à pas mal de groupes français (on pense à Cannibale) des allures de groupes des 70s. Le final est musclé, puissant et efficace, signe qu’il faut bien en finir un jour et faire sonner la charge.
Avec ses sept morceaux, Plastic Shores dévoile un périmètre de jeu plutôt intéressant. Entre la pop baléarique de Evol, aux sonorités post-californiennes, et aux accents jazz rock et la pop éclairée et virtuose de Psalm 4, Jim Ballon ne quitte guère ici le bord de plage. Les voix servent de sésame à un univers onirique où l’on se fait balader comme une paire de coquillages creux qui apprendraient à surfer. La structure des morceaux a un caractère aléatoire qui enchante, enivre et finit par nous faire perdre le sens de l’orientation.
A force, on ne sait plus vraiment distinguer les morceaux les uns des autres. C’est le petit reproche qu’on pourra faire au groupe et à ce genre de musique en général : une fois qu’on a décollé, tout se confond, même si un morceau (à demi réussi) comme Slow offre un renouvellement par le chant bienvenu. Heaven’s raven est plus électrique, un poil plus rock. Il y a une petite tension garage qui point à mi-chemin et se marie à merveille à une voix enfin expressive et mise en avant. C’est sur cette chanson que Jim Ballon donne sa pleine mesure, groupe engagé et vigoureux, plus concentré sur sa livraison et son déchaînement que sur les préliminaires. L’harmonieux Speed Cobra fait pâle figure à côté, même si sa délicatesse et ses reprises quasi math rock sont de toute beauté. Les motifs qui composent la chanson sont entêtants et accrocheurs mais légers comme une idée subliminale qu’on voudrait nous implanter dans la tête. On voit des scènes de jeu hamiltoniennes, un flou artistique et des visages enfantins. Est-ce que tout ceci est réel ? Est-ce que nous sommes déjà loin ? As far as I Can Think renvoie une dernière réponse, folk et docile, prenant soin d’éteindre un feu qui n’aura jamais vraiment pris. Entre Devendra Banhart en veillée et manifeste hippie chic, Jim Ballon conclut sur une note expérimentale, un peu folle mais finalement inoffensive, une balade certes aérienne et merveilleuse, mais d’où on aura pu observer qu’un paysage un peu chiant peuplé de champs et d’anges naturistes.
Plastic Shores est un disque pétri de qualités mais qui, à trop se concentrer sur la manière, manque d’impact et de spontanéité. Il n’en reste pas moins une balade sonore, agréable et suggestive.