Chasseur / En diagonale
[Reptile]

8.2 Note de l'auteur
8.2

Chasseur - En diagonaleLa voix est plus posée, plus appliquée, mise en avant dans le mix, plus basse que dans notre souvenir des précédents disques. L’électronique est plus contenue, pulsation d’arrière-plan qui soutient le clavier/synthé, la flûte et d’autres instruments organiques. L’ensemble est ralenti et dépouillé, dense, profond et lisible. Il y a dans l’entrée en matière de ce nouvel album de Chasseur, Les épines, tous les signes d’une gravité supplémentaire, d’un poids qui pèse sur les épaules, les textes et la musique, mais aussi d’une sobriété augmentée et élégante qui vient signer la réussite artistique du disque. On avait salué il y a quatre ans maintenant les immenses qualités de Crimson King, le premier long format de l’artiste, en ne parvenant pas tout à fait à identifier ce qui faisait qu’on ne l’aimait pas plus que ça…alors qu’on aurait du. On avait écouté Je vous attends et le Corps Humain, sortis respectivement en 2022 et 2023, avec cette même sensation qu’on tenait un artiste majeur en devenir mais que nous n’étions pas encore parvenus à en cerner complètement l’attrait.

On ne peut pas dire que En Diagonale, quatrième disque de Chasseur, aka Gaël Desbois, se situe d’une quelconque manière en opposition avec les précédents disques. On y retrouve ce mélange d’influences ou de résonances qui nous rendent le Rennais sympathique : des accents poétiques à la Bashung, une qualité littéraire dans les images et les rimes qui lorgne du côté de Murat, de faux airs, selon les titres, de Nick Cave alangui ou de contemporains comme Lescop ou Viot. Chasseur officie au cœur d’une chanson française en pleine rénovation qui a encore quelques orteils dans la variété et trois pieds et demi dans la pop anglaise. L’écriture est soignée, souvent somptueuse (on peut citer la splendeur absolue d’un morceau comme la Rouille, sans conteste l’un des titres les plus justes et bouleversants qu’on a entendu cette année), belle à entendre et à lire, souvent anti-spectaculaire. La voix de Desbois « à la française » s’aventure rarement au delà des cinq ou six pieds d’affilée, s’ajustant dans un parlé-chanté qui refuse les accents chantants et les effets faciles pour mieux souligner ses effets et se prendre au sérieux. Le tempo est ralenti, souligné par une basse épaisse (Dans nos cerveaux) qui vient dramatiser les enjeux et ramener l’artiste dans son époque.

Car pour la première fois depuis sa prise de parole initiale, on a le sentiment que Chasseur parle moins de lui que de nous. La poésie est moins intime qu’elle n’est sociale. Le « je » sonne désormais comme un « nous » et nous concerne au plus haut point. On écoute et on ressent. En diagonale, le morceau, évoque une résistance qui se consume, des affrontements, l’expression d’une colère. Parle-t-on des gilets jaunes ? De la réforme des retraites ? Chacun y met ce qu’il veut mais le monde frappe aux portes du poète. Sur Pyromanes, on se demande où Chasseur veut en venir. Qui met le feu à quoi ? Qui est l’ennemi ? Où est la menace ? En diagonale est un disque qui porte une inquiétude, une sorte de peur d’une société rigidifiée, violente et qui entamerait notre liberté, une peur aussi face aux forces de contrainte (Feu). Ce n’est pas un propos explicite mais on sent que Chasseur a un œil sur tout ça. La révolution pointe sur le superbe Guettons le Ciel. On ne sait pas si le chanteur la souhaite, s’il l’encourage ou s’il agit en simple observateur des tourments à venir. Sa musique suggestive, progressive mais qui presque toujours refuse le refrain, l’emballement pour juste souligner ou désigner, crée, sur chaque situation, un effet de suspense et de suspension qui nous place en position d’attente.

Il y a dans cette manière de rester en retrait et de travailler l’abstraction un charme fou. On n’est jamais tout à fait certain de savoir de quoi parle Chasseur. On devine une intention mais c’est la nôtre qu’il cultive. La réplique est un titre ouvert, désespéré et tendu vers un futur aussi certain qu’indistinct. Qu’est-ce que cette réplique ? A quoi répond-elle ? Certains trouveront que Chasseur abuse de ces procédés qui visent à nous faire prendre ce qui est flou pour quelque chose de mystérieux et de signifiant. Mais la conjonction du texte, de la voix et d’un accompagnement particulièrement abouti réussit à installer une ambiance qui, paradoxalement, n’appelle pas de description supplémentaire.

On sent l’air du temps, désabusé et électrique, qui frissonne sur l’instrumental magnifique, les Cendres, qui referme le disque. Est-ce que tout est détruit ? Est-ce que l’aube va se lever encore ? Chasseur réussit à émouvoir tout en se tenant à l’écart. Son écriture est lâche, agit plus que souvent dans la soustraction et la retenue. Un vent nouveau souffle sur le pays (la Brise). L’artiste aspire à un nouveau départ, comme on entamerait un chantier de reconstruction. La diagonale comme la ligne droite aboutit quelque part. Elle glisse selon un angle prédéfini et fait disparaître ce qui ne peut pas s’accrocher à elle. « La brise remplace les sirènes. Où sont passées nos défaites ?« . Ce disque est une énigme, majuscule et majestueuse. Certaines chansons sont fabuleuses et marquent les esprits. Elles ne s’oublieront pas. Difficile de faire mieux et plus beau, en refusant de prendre la lumière, ce qui semble être le cas de Chasseur. « Est-ce que ça se consume une résistance..? de glissage en glissade… »

Tracklist
01. Les épines
02. En diagonale
03. La rouille
04. Dans nos cerveaux
05. Pyromanes
06. Feu
07. Guettons le ciel
08. La réplique
09. La brise
10. Des cendres
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