Johnny Thunders / Live in Los Angeles 1987
[Secret Records]

8.5 Note de l'auteur
8.5

Johnny Thunders - Live in Los Angeles 1987On ne sait pas trop d’où vient ce live de Johnny Thunders que la maison Secret Records, qui avait déjà sorti, il y a quelques années, un beau Live in Japan de 1991, a mis à jour pour le Record Store Day mais c’est un ajout de choix à une discographie qui compte aussi pas mal d’enregistrements au son déplorable et à l’intérêt moindre.

Enregistré en 1987 à Los Angeles au Roxy et avec rien moins qu’Arthur Kane et Jerry Nolan à ses côtés, ce double LP est impeccable de bout en bout et présente un Johnny Thunders à la forme et à la dextérité éblouissantes. La tracklist comprend plus d’une vingtaine de titres et est augmentée par quatre morceaux bonus captés à Osaka quatre ans plus tard. Le montage est rudimentaire et on ne voit pas pourquoi (si ce n’est pour le plaisir d’offrir) ces quatre morceaux là viennent avec le reste, mais peu importe : Johnny Thunders ne s’est jamais beaucoup embarrassé de cohérence et n’a jamais conçu ses concerts que pour des instants uniques, périssables et irremplaçables. C’est donc à peu près tout le contraire de ce qu’on fait ici en réécoutant un « spectacle » donné il y a plus de trente ans, en dehors de son contexte. Le punk est mort et Johnny Thunders est enterré depuis tout juste vingt ans. Il y a donc un effet curieux de mise à distance de cette musique et du disque lui-même qui lui rendent justice.

Celui qui passait dix ans avant pour une extension un peu tenue et docte du mouvement punk sonne de plus en plus comme une prolongation du rock américain historique, tel qu’il est né avec les pionniers comme Elvis ou Buddy Holly. Johnny Thunders est toujours drogué et décadent jusqu’aux oreilles (on ne lui enlèvera pas ça), mais surtout un guitariste au talent exceptionnel et un interprète habité et incandescent. La setlist ne manque pas de moments de brio. On peut même dire qu’elle n’accuse aucun temps faible. Le répertoire en 1987 est déjà bien en place. En 1984, le guitariste qui a déjà une longue carrière derrière lui, signe chez New Rose, In Cold Blood, un album qu’on peut tenir (avec peut-être Que Sera, Sera l’année suivante), comme son dernier disque consistant et véritable. Il travaille à cette époque là depuis une dizaine d’années en solo et a traversé plusieurs époques qu’il s’agisse de l’ère flamboyante et pleine de promesses et de rendez-vous manqués des New York Dolls ou de celle, sinistre et plus sombre, de ses HeartBreakers. C’est un type qui est devenu une légende et sa propre petite entreprise mais qui a aussi globalement échoué à s’imposer comme un songwriter et un interprète qui compte. Johnny Thunders devient le Prince des marges, un musicien errant qui, comme dans un vieux western, écume les continents avec son cuir et sa guitare en proposant un spectacle total et qui, dans ses meilleurs soirs, s’énonce comme une histoire illustrée du rock US.

C’est ainsi qu’on reçoit les chansons de ces deux disques : celles qu’on connaît et qu’on vénère, les classiques de l’auteur et de ses groupes (Personality Crisis et toutes les autres) mais aussi celles qui ne sont pas de lui ou qu’on a pu oublier à l’image d’un Little Queenie, piqué à Chuck Berry et aux Stones, emballé en trois minutes, ou l’encore plus incroyable Lonely Planet Boy des Dolls, sublimé en version acoustique. Peu importe que Thunders ait composé ou pas tous les morceaux qu’il donne : son jeu est si brillant, sa personnalité si vive et imposante qu’il s’approprie le visage du rock, qu’il incarne à la perfection toutes ces histoires, toutes ces montées d’adrénaline. Il est l’héroïne et la détresse, le danger et la mort, l’électricité et le sexe, la caresse et la fuite en avant. Sa version de Play With Fire est incroyable et fait autant penser à Peter Perrett qu’à Jim Morrison. On ne va pas égrener les titres un à un mais on peut se contenter d’écouter Sad Vacation, pour résumer le message qu’on veut faire passer. Johnny Thunders est le rock dans toute sa splendeur. C’est un concept fumeux, un gars qui chante et qui se pique, un loser magnifique, une tête brûlée et un rebelle, un étalon italien et une crevure de bidet, un guitariste et un chanteur pour midinettes et têtes rasées MAIS aussi une vraie incarnation en chair et en os qui a existé à cet instant précis, en 1987, mais aussi avant et après, et qui a ouvert et contenu un monde entier dans sa guitare-feu.

I’m sorry I didn’t have more to say
Maybe I coulda changed your fate
You were so misunderstood
You coulda been anything you wanted to
It’s a Sad Vacation
What can I say?
It’s a Sad Vacation
Oh, you knew how to play
Flowers of romance
Hey, wasn’t that you?
Belsen was a gas
Oh, just like you
Oh, you were so real
That’s why they offed you
Singin’ from your grave
It’s so very hard to do
Because it’s a Sad Vacation
What can I say?
It’s a Sad Vacation
Oh, you knew how to play
Well, I’m sorry
I’m sorry, I’m so sorry
Well, it’s a Sad Vacation
What can I say?

Live in Los Angeles montre qu’on peut être un corps et un esprit en même temps, un fantôme et un homme au même moment. Ce n’est pas si simple à faire mais Thunders y est arrivé d’hier à aujourd’hui. Ces types là ne sont pas si nombreux : Alex Chilton en était à la sortie de Big Star et jusqu’à sa mort, Tav Falco dans une division inférieure, Jagger et Richards probablement et pour l’éternité.

Tracklist
LP1:
01. Pipeline
02. Blame It On Mom
03. Personality Crisis
04. I Can Tell
05. Dead Or Alive
06. Can’t Keep My Eyes On You
07. Ain’t Superstitious
08. Medley: Too Much Junkie Business/Pills
09. You Can’t Put Your Arms Round A Memory
10. Eve Of Destruction
11. It’s Not Enough
12. Lonely Planet Boy
13. The Wizard
14. Play With Fire

LP2:
01. Green Onions
02. In The Midnight Hour
03. Sad Vacation
04. Little Queenie
05. Born To Lose
06. Sad Vacation (Osaka 91)
07. Too Much Junkie Business (Osaka 91)
08. Personality Crisis (Osaka 91)
09. Born To Lose (Osaka 91)

Liens
Le disque sur discogs
Le disque sur le site du Record Store Day UK
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