La plus grande qualité de ce nouvel album de Kanye West est sûrement de ne durer qu’une petite demi-heure. On se demande encore pourquoi, après quatre écoutes, on s’est infligé ce monument moderne à la gloire de Dieu et de Jésus alors qu’il ne nous serait jamais venu à l’idée avant d’écouter un album de rock chrétien ou, si ça existe, un disque faisant la louange de Allah ou Yahvé. Toujours est-il que l’aura de Kanye West est telle qu’on se doit (pour continuer à faire partie des critiques dans le coup) d’écouter ce genre de blockbuster musical et d’avoir un avis dessus. Le nôtre sera simple : Jesus Is King est une bouse infâme qu’on ne réécoutera plus jamais de notre vie après en avoir rendu compte dans cette « colonne ».
D’un point de vue purement technique, Jesus Is King n’est pas une mauvaise production, ce qui n’est pas une surprise car on retrouve ici quelques contributeurs de talent parmi lesquels Timbaland ou Pi’erre Bourne et Boogz. Le démarrage de l’album est d’ailleurs plutôt avenant et nous fait croire à la possibilité d’un message évangélique qui serait à la fois convaincant religieusement et consistant en tant que disque de rap. La production de Selah, deuxième morceau ici, est originale et rend crédible l’hypothèse d’une revisitation façon Top Chef du gospel par le génie Kanye West. Le rappeur n’est visiblement pas ici pour blaguer et prend son nouveau rôle de pêcheur d’âmes et de repenti très au sérieux. Il n’y a pas une once de second degré ici. Le flow est bon et la lumière (le chœur) pointe au cœur d’un brouhaha tumultueux où se mêlent cris de bêtes et sons d’armes à feu. Le titre est habile et précède un Follow God, lui aussi plutôt complexe et généreux. Closed on Sunday se la joue acoustique et confessionnel mais fait dérailler la belle mécanique en assumant un atroce premier degré qui s’abîme sur sa seconde moitié dans une séquence à l’autotune littéralement monstrueuse. Voilà à quoi on aura droit par la suite : un prêchi-prêcha atroce, moralisateur, débile, doublé d’un appel à la prière et à la modération par un milliardaire américain marié à une poupée aux fesses et aux nichons en plastique. Hé les gars, c’est vraiment ce que vous voulez écouter comme musique en 2020 ? Du rap conservateur écrit par un gars qui vient de passer au rattrapage sa première année de catéchisme ? Pas une histoire un peu solide, pas une parabole qui ressemble à quelque chose. Il faut n’avoir jamais croisé la complexité et la dualité du blues et du gospel pour considérer la copie rendue par Kanye West comme autre chose que le devoir d’un débutant absolu.
Jesus Is King est un peu comme la poutre qui est trop grosse pour être dans l’œil ou le slip du voisin et qui finit dans la culotte de ta femme. La foi de Kanye West est si imposante qu’elle semble défier ici son énorme melon en duel. Et ce n’est pas la pastèque qui gagne. On God est une purge, Everything We Need un gospel aussi inspirant qu’une reprise du Roi Lion par Céline Dion. Les voix RnB donnent envie de se pendre après avoir vendu Jésus pour trois raisins et un vieux pain azyme et tout le disque est à l’avenant. On peut bien sûr trouver quelques qualités là-dedans. Et c’est heureux : le gars sait toujours chanter et a un flow du feu de Dieu. C’est à peu près tout ce qui reste. Les arrangements sont élégants et on arrive parfois à une certaine beauté cul-bénit, comme sur le vibrant God Is, soit trois minutes et vingt-trois secondes d’un gospel solide et enflammé. Kanye West fait des messes le dimanche pour ses fans. Peut-être qu’il faut y aller pour vivre la musique dans de meilleures conditions. On préfère encore un bon rap gangsta débile à la leçon de vie de Hands On, dénonciation des mauvais comportements, des jeunes qui traînent la nuit et explication de texte risible du pourquoi et du comment. Kanye West y expose sa rédemption, sa dépression et le manque d’amour qui l’a poussé dans le chemin de la foi. Meilleure volonté du monde, on n’arrive pas à une seule seconde à prendre ce discours de guignol au sérieux et à voir plus loin que notre première gourmette en or. C’est sûrement dommage : Use This Gospel est un morceau plus qu’intéressant mais on est incrédule parmi les incrédules.
Sortez le clown. On ne nous y reprendra plus. Jesus Is King. Burger King peut-être mais c’est tout sauf notre petite amie. Toute cette histoire-là est quand même triste à pleurer. Comment un rappeur d’anthologie est-il devenu fou et s’est mis à dérailler en embarquant des millions de gens dans les wagons ? C’est une histoire connue. Au XXIème siècle, les Pharisiens et les Romains n’auraient pas condamné Jésus. Ils auraient lancé un produit concurrent. Plus cool, racisé et trendy. Ils l’auraient défoncé sur les réseaux sociaux et on aurait retrouvé le Nazaréen avec un feedback à 2,3 sur tous les sites d’e-commerce. Kanye West est moins le king que le fool on the hill.
02. Selah
03. Follow God
04. Closed on Sunday
05. On God
06. Everything We Need
07. Water
08. God Is
09. Hands On
10. Use This Gospel
11. Jesus is Lord