Après avoir examiné son auteur sous toutes les coutures en interview, il nous restait à passer au crible l’album The Emperor’s Clothes pour achever de s’enthousiasmer pour la musique de Scalper. Composé sur une période assez longue de plus de deux ans, le troisième album de Nadeem Shafi a atterri en définitive sur l’excellente structure lyonnaise Jarring Effects, où on a pu croiser par le passé des congénères et frères d’âmes du rappeur qu’il s’agisse de Dälek ou de Moodie Black. Lancé pour le disquaire day, l’album sort donc ce mois-ci en vinyle et CD. Sans qu’on se fasse de grandes illusions quant à sa capacité à attirer l’attention du grand public, The Emperor’s Clothes est un jalon important à double titre pour le genre et pour son auteur.
Il permet d’abord, par son ambition et son rythme, de confirmer qu’il y a un avenir dans le rap après 40 ans mais aussi que le genre, en soi, peut s’accommoder d’une forme de sagesse. Scalper n’est plus un perdreau de l’année et a, à ce titre, une carrière et un parcours intéressant. Quel point commun peut-on trouver entre le jeune type qui prenait le micro chez Fun Da Mental en 1998 ou poussait la gueulante entre deux infrabasses chez 2nd Gen et le shaman d’aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait qu’un artiste existe quand la colère et la hargne de jeunesse ont en partie disparu ? The Emperor’s Clothes est le plus beau symptôme qu’on a croisé jusqu’ici d’un rap hardcore ayant réussi sa mutation en une musique quasi mystique, inspirée et assagie mais ne perdant RIEN de sa vigueur. Le nouveau morceau révélé par De La Soul, il y a quelques semaines, témoigne d’une vraie difficulté pour certains groupes à faire évoluer leur son et à trouver quoi dire. Le rappeur quadra n’est pas un rappeur mort ou un rappeur sur le retour. Le syndrome frappe aussi bien Outre Atlantique que chez nous où le recyclage des NTM ou des dinosaures d’IAM ne se fait pas sans heurts. Scalper emprunte avec The Emperor’s Clothes une voie intéressante qui est celle d’une musique restant radicale et contestataire mais empruntant d’autres canaux que l’excitation pour agir sur l’auditeur.
A cet égard, l’album compte quelques monuments et se concentre donc sur la dénonciation poétique des mirages de notre époque consommante. Le thème des fausses illusions irrigue l’album depuis le fabuleux Puppets jusqu’au final et magistral The Emperor’s Clothes, probablement l’une des chansons hip hop les plus habiles et efficaces de ces cinq dernières années. Ces questions du masque, des faux semblants, de l’aveuglement citoyen mais aussi de la colère légitime que peut rencontrer tout un chacun face aux manipulations (conscientes ou inconscientes) dont il est victime constituent le cœur du disque et sont traitées ici admirablement, Scalper n’arrêtant pas d’y revenir métaphore après métaphore avec une inspiration poétique de haute volée.
Sur le plan musical, Scalper emprunte à la tradition du dark hip hop : il a le beat lourd et crépusculaire de Massive Attack, l’attitude gaillarde et menaçante d’un Tricky, la spiritualité et l’agilité d’Earthling. Son écriture est littéraire et poétique, à l’image de son utilisation magistrale du conte d’Andersen les Habits Neufs de l’Empereur. Certains titres sont présentés « sur l’os » comme l’assez flippant Phantom Ghost ou encore le bluesy Perfect Fix (pas notre morceau préféré ceci dit en passant), quand d’autres bénéficient d’arrangements plus exotiques ou de la rencontre fantomatique ou sensuelle avec des voix de femmes amies. C’est le cas sur les deux beaux titres que sont Lullaby (morceau qui porte bien son titre) et surtout le single Perfume, d’une séduction vénéneuse redoutable et qu’on verrait bien finir en bande son d’une publicité chic pour des cosmétiques français (c’est dit). Au centre du jeu et du LP, le titre My Blood Your Blood, révélé l’année dernière, concentre à lui seul toute la force et la puissance du discours du rappeur en intricant les dimensions politiques et intimes. Scalper y fait ce qu’on attend du hip hop et ce pourquoi cette musique est née il y a 30 ans : exprimer un point sur l’absurdité de la vie, questionner l’état du monde et ses injustices mais aussi affirmer avec force une existence au présent dans l’espérance et la résistance qui dépasse la simple dimension individuelle. Cette chanson, comme pas mal d’autres ici, s’énonce et est reçue sans médiation comme une questions de vie et de mort, comme un appel à la loyauté et à la droiture, à l’invective et à la libération. C’est aussi pour cela qu’on y revient.
A la sortie de The Emperor’s Clothes, même si tout n’est pas irréprochable ici, il n’en est pas moins difficile d’oublier ce qu’on a entendu. Entre le groove dingo de Lunatics et le rire inquiétant de la chanson titre, on échappe difficilement au pouvoir de mise en danger de cette musique. Pour ne pas sombrer dans l’idolâtrie, on concèdera aux critiques que l’album ne compte que 10 chansons et perd parfois en cohérence ce qu’il gagne en diversité sonore. A ces réserves près, s’il n’y a qu’un disque hip hop à se procurer depuis le début de l’année, c’est probablement celui-ci.
After we‘ve scrutinized his author in our April XXL interview, it is now time to examine The Emperor’s Clothes in details to tell the world how much we care for Scalper’s music and how precious this kind of LP could be for the genre it represents. The album itself was composed over a 2 year period of time. It is its author’s third personal LP and it is out, which is a good news, on excellent French Jarring Effects from Lyon. This should be no surprise because this label had to deal in the past with artists who could be considered by Scalper as soulmates or brothers in arms such as Moodie Black or Dälek (a band for which he opened on May 1st in London). The LP was first out for the Record Store Day and is now in shops in both LP and Cd format. It is very unlikely this record finds its way to the popular charts and supermarkets, let’s be clear, though it is in itself an important album both for hip hop future perspectives and his author.
First thing it illustrates is hip hop acts can age well and turn into something different (and better) than their initial anger-driven energy. Rap is not condemned to gangsta or Mafioso rap. We already knew intelligent hip hop but Scalper is more than that: he initiates a vein or tradition through which hardcore rap turns into a mix of world, trip-hop and blues influences we had never heard up before. What ‘s the common point between this young guy frontsinging with Fun Da Mental in 1998, this man screaming like a mad man over infrabasses armada in 2nd Gen and today’s Shamanic Scalper ? That’s simply the same man and you should not think anger and fighting spirit have disappeared because the form has radically changed. The Emperor’s Clothes is full of combative, inspiring, semi mystical and hardcore wisdom and that’s why it is truly impressive. The man has lost nothing of his former vigor but fully achieved to transform it into a more constructive and abstract mode. Through that move, Nadeem Shafi helps to solve one of modern rap massive problems which is how to keep in touch with its own past (and audience!). We’ve heard the new De La Soul song and we’ve seen what’s left of the Wu. We’ve witnessed how difficult it is for famous acts like NTM or IAM to find something relevant to say (and a way to say it) when their audience has mostly vanished into family men or turned towards ridiculous “variété” because that’s what you need to survive your own life without asking too much questions. The Emperor’s Clothes is an interesting album because it shows hip hop music can still be relevant and highly radical when using other means than anger and excitation. Songs here concentrate on a major philosophical rant against our overconsuming society illusions. That’s all it is about from the Illusionary Atmospheres single to the final and amazing title song, which is probably the most intelligent and amazing hip hop song we’ve heard for the last 5 years, through the not less fantastic Puppets. Scalper talks about masks, false dreams, citizen blindness but also about legitimate anger and revolt we shoud feel to have been turned into consuming machines or puppets by our own weaknesses or tormentors. Metaphors are powerful and poetical lyrics interact perfectly with complex and primary arrangements or beats.
Scalper’s previous work, Butchers Bakers, was an amazing record but The Emperor’s Clothes is better because it digs deeper and deeper into our occidental psyche and musically needs almost nothing to produce a massive reaction. Arrangements and beats are sometime reduced to mostly nothing : a heartbeat, a pulse or traditional string instrument. It is bare to the bone, like it is on Phantom Ghost or the country blues Perfect Fix (which is not our favorite piece here), and suddenly expands into something beautiful and emotional when, for example, crossing through female haunting friendly voices. We have the remarkable Lullaby close to the end and the highly erotic and semi divine Perfume which would be perfect to illustrate a French luxury cosmetics campaign. My Blood Your Blood stands on its own as the album centerpiece. It is a song which articulates the political and intimate dimensions and somehow gives the keys to Scalper’s universe. Though he is no guru or whatever thing this term can hide, there is a sacrificial and messianic figure behind the man. The whole LP is hypnotic, terrifying and soulful. Beats are as dark and heavy as in Massive Attack ‘s Mezzanine. It reminds Tricky for the threat and Mau’s Earthling for agility and literary qualities. What strikes here is the complete commitment of the body and soul into the music and singing. As a writer, Scalper sounds as gifted and talented as, say, Anthony Joseph, but he is more precise and perpetually inspires danger and radicality when Joseph is comforting and more suitable for a popular audience. Scalper sings with a sparkle in his eyes which says he is not doing this for money or fun, nor for glory or future (re)assessment. What he sings about is a question of life and death. That’s what we can expect from hip hop and the very sense why it has emerged 30 years ago: the need to exist in present time, the need to scream and shout, the need to denounce and to stand against what is unfair or treacherous, the need to think against the evidence.
The Emperor’s Clothes is a LP difficult to escape. Between the loony Lunatics groove and the haunting title song laughing, this is music for our tormented times and one of the best hip hop records you’ll hear this year. As we hate to use too many superlatives in a row, this LP could have done with a few extra tracks. Scalper could be the future of dark reflexive hip hop. Spread the word.