Cela n’arrive pas si souvent mais il y a des fois où on se dit qu’une interview mériterait un livre entier, qu’un entretien de quelques heures pourrait tout aussi bien se changer en une leçon de vie, une série d’enseignements et d’anecdotes mêlées où on aurait enfin une chance, une seule, de comprendre la nature des choses. Non content d’avoir posé nonchalamment sur cette rentrée, ce qui sera peut-être le plus bel album de l’année, The Rare Birds, Kid Loco nous a offert une interview comme on n’en fait plus si souvent, arrosée (quelques bières, du vin ensuite, en accompagnement d’une cuisine italienne correcte servie à quelques encâblures de son Belleville de rattachement), amusante, confuse et amicale. On a tenté au début de s’en tenir aux questions qu’on avait préparées en bon fonctionnaire critique, dictaphone ouvert et calepin sous le nez, tandis que l’enregistrement prenait vie tout seul. On est tombé dans un puits.
Kid Loco dégage aujourd’hui une telle sérénité, une telle intelligence et un tel sens (inné) de l’histoire, la sienne et celle des rocks qu’il a croisés, qu’on a fini par croire qu’il était l’oncle français du Dr Who. L’homme voyage dans le temps, dans l’espace, en posant son doigt sur des microsillons ou en appuyant sur quelques boutons mémoriels qui libèrent des souvenirs et des cinèmes nomades. Bondage Records, Patti Smith, un crocodile constipé. The Brigades. Jarvis Cocker. Ernest Renan. Kid Loco est un tourbillon qui a la sagesse d’un baobab et affiche, pourtant, la modestie et la soif de connaissance d’un gamin de quinze ans. Ses quatre décennies passées à jouer de la musique, à en écrire et à en écouter ne lui ont rien enlevé mais ne semblent pas l’avoir bouleversé tant que ça. L’homme est resté fidèle au nom qu’il s’était choisi, emprunté aux maîtres fous du Niger. Loco/Bravo. La violence et la transe sont passées, l’âge punk aussi, mais la loco schtick est restée intacte, insaisissable et vivace. C’est cette force nonchalante et active qui change le son en or, cette signature désinvolte et distanciée, ironique et curieuse qui donne à ces Rares Birds cette grâce extraordinaire et cet air permanent de ne pas y toucher. Kid Loco ne fait pas de trip-hop. Il ne fait pas de jazz. Il ne fait pas plus de pop que de rock. Rares Birds n’est pas un album de chansons, ni un album joué avec des instruments. C’est un disque avec des amis dessus.
Cela faisait plusieurs années que temps que vous n’aviez pas fait d’album ? Qu’est ce qui a pris autant de temps
J’ai fini mon album il y a deux ans. J’ai demandé aux chanteurs de poser les voix au mois de mai. Et puis le temps a passé. Juin, juillet, septembre, novembre, Noël,…. J’ai dû recevoir les premières pistes de voix en février et puis voilà. Tout a été fait à distance, via internet. J’ai fini l’an dernier au mois d’août. Je suis parti mixer à Marseille dans un excellent studio. Cet album est assez intéressant de ce point de vue là car j’ai un label derrière moi. Cela me change des deux précédents que j’avais faits tout seul. Et là le disque sort en CD, en vinyle. Ca reste quelque chose d’appréciable. C’est un label avec lequel je travaille depuis 10 ans, depuis 20 ans presque sur les compils. Jusqu’ici j’étais en contact avec la branche réédition, compilations. J’envoyais à leur label de nouveautés mes albums et à chaque fois, ils me répondaient que non, que ce n’était pas pour eux. Et là, il se trouve que le gars avec qui je suis en contact habituellement m’appelle et me dit :”mon chef m’a dit que j’avais le droit de sortir des disques maintenant. Hé bien, je fais ton disque !” J’avais une ou deux autres propositions mais j’ai opté pour Wagram parce que c’était bien aussi de commencer quelque chose avec des gens qui se lancent et que j’apprécie.
Je reste sur cette histoire de voix. Comment vous savez à quel moment il doit y avoir une voix à tel ou tel endroit et qu’est-ce qui fait que vous allez intégrer la voix de celui-là ou de celle-ci ?
J’envoie mes instrumentaux à plein de gens et j’attends qu’ils me répondent, qu’ils se débrouillent en fait. D’habitude, je composais tout et je demandais juste aux chanteurs de chanter là où je voulais, ce que je voulais. C’est ainsi que j’avais fonctionné, par exemple, avec Tim Keegan sur Kill Your Darlings. Cette fois-ci, je me suis contenté d’envoyer les instrus. Certains m’ont dit non, merci. D’autres non. Ça aurait pu être encore plus beau si certains avaient dit oui. Je plaisante, je n’en sais rien. Je crois que c’est pas mal ainsi.
Tim Keegan ?
On se connaît depuis très longtemps. J’avais produit son groupe bien sûr, Departure Lounge et puis je lui avais fait chanter mes trucs. Je lui mettais sous le nez en lui disant : “chante” et il me regardait comme un Martien d’un air de dire « qu’est-ce que c’est que ça? » Alors cette fois, j’ai changé de technique et j’ai laissé aux chanteurs la liberté de chanter ce qu’ils voulaient, d’amener leurs mots. C’est ce qui s’est passé avec Olga. Quand t’écoute sa prononciation, c’est… horrible. Mais c’est très beau au final. C’est anglais. Ca donne quelque chose que je n’avais pas anticipé.
Avec Tim, le résultat est vraiment stupéfiant. Quand tu commences une chanson par une fin, c’est quelque chose qui veut dire quelque chose, qui fait que ça va avoir une certaine importance. C’est une chanson très forte.
La meilleure chanson du disque probablement…
La plus émouvante. « Si tu te maries pas avec elle, moi je vais pleurer ». Il parle en tant qu’enfant avec des parents divorcés. Le texte est vraiment improbable. Je ne suis pas sûr de savoir à chaque fois ce que les chanteurs veulent dire. Même ma femme me demande : qu’est-ce que ça dit ? et je réponds, je ne suis pas certain. C’est ça aussi qui est intéressant.
Sadie ?
D’habitude, le disque est tourné autour de ma personne. Mais cette fois-ci, c’était assez différent. Pour dire la vérité, je voulais au début faire le disque que DJ Yellow voulait que je fasse à la grande époque avec plein de featurings de stars, de gens connus que j’avais rencontrés ou connaissais. Même si je n’ai pas demandé à Jarvis par exemple. J’aurais pu mais je n’ai plus son numéro là pour le moment. J’aurais pu rechercher…
C’est dommage. Il a du temps maintenant…
Oui, sûrement. Bon, ça ne s’est pas fait comme ça mais c’était l’idée quand même : d’avoir des rock stars puis très vite d’avoir plutôt de véritables amis, des personnes précieuses pour moi que je connaissais depuis longtemps. Et c’est devenu un autre projet. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai entendu cette expression aussi, dans un truc en anglais : the Rare Birds, les oiseaux rares. Et je me suis dit : bien sûr, c’est ça. Des amis qui te soutiennent, envers et contre tout, qui sont là et viennent faire quelque chose avec toi.
L’expression est très jolie. Je pensais que ça venait d’un livre, d’un film ou même d’une chanson. Je n’ai trouvé qu’une seule référence. Un groupe psychédélique anglais des années 70.
Ah oui, je connais leur musique. Je ne l’ai pas réécoutée mais il faudrait que je le fasse. Mais l’idée était là : travailler avec le cercle proche. Sadie, par exemple, est la femme de Chris Anderson, qui chante aussi sur un autre titre, lequel Chris jouait du clavier dans Departure Lounge, le groupe dont Tim Keegan était le chanteur.
On sent cet esprit communautaire dans votre conception de la musique. Cela donne un cachet très particulier à cet album.
C’est obligatoire aujourd’hui. J’ai travaillé avec tellement de gens. Tu as, par exemple, Chris alias DJ Seep aussi qui est présent. J’ai l’habitude de dire qu’il joue son propre rôle. Comme un instrument à part entière. Un « Chris ». C’est un oiseau rare, un ami qui est là presque tout le temps pour faire tout, rien et n’importe quoi. Quand il ne se passe rien, il arrive en studio et je suis à l’arrêt et il dit je vais essayer de faire tel ou tel truc et hop, on y arrive. Ce disque là c’était ça : faire un challenge avec des gens et que ça réussisse. Que ça marche. C’est ce qui m’intéresse maintenant.
L’époque héroïque
Je vais revenir vraiment en arrière. Mais quand vous êtes parti de chez Bondage Records, c’est parce qu’il y a cette transformation du rock alternatif français, une sorte d’explosion qui modifie les rapports humains, sans doute, entre toutes les personnes qui travaillent là-dessus mais aussi pour chercher quelque de personnel, non ? Quelque chose en solitaire ?
Quand j’étais sur Bondage et avant ça, je faisais essentiellement des choses pour les gens. Ce n’était pas tellement pour la musique en fait. Rock Radical Records. RRR, ça venait d’Agricultural Adjustement Act, un programme d’aide de l’agriculture du président américain Roosevelt qui faisait partie du New Deal en 1932-33. On avait essayé de faire un truc qui ressemble à ça. RRR. Il y avait un type dans le groupe qui avait le double de mon âge et qui était un vrai marxiste.
Le chanteur, c’est ça ? Vlad Dialectics ? Qu’est-ce qu’il devient ?
Je crois qu’il vit à Lille ou au Havre. Je n’en suis pas sûr. C’était une chouette époque parce que ça a abouti à Bondage. The Brigades était un groupe vachement bien. On avait une ligne claire. Un groupe engagé, gauchiste. C’était ça. Ensuite, on est allés avec d’autres gens. Des copains, les Bérus, etc.
Qu’est-ce qui vous amène à la musique ?
Les Sex Pistols. J’ai 13 ans en 1977, 15 ans après en 1979 quand les choses se mettent en place.
Vous étiez potes à ce moment-là, avec les membres de The Brigades ?
Avec le batteur Tony Aigri oui, on se connaissait avant mais pas forcément les autres. On a fait des groupes, on cherchait des musiciens. C’est ma copine à l’époque Lydie Barbarian qui a écrit dans Libé après et elle m’a présenté à Vlad. « Toi Jean-Yves qui es toujours avec ta guitare, il voudra certainement jouer avec toi ». Et ça s’est fait comme ça. Je vais le voir… Mais il n’était… pas là d’abord (rires) et puis on s’est rencontrés finalement et on a joué ensemble. Le groupe est venu de là. Il faut avouer que ça n’a pas marché du tout comme on voulait. Ce n’était pas un immense succès. On est allés jouer au Mans une fois. On arrive et on rencontre Nuclear Device qu’on aime bien immédiatement et je dis, « allez on fait un disque avec vous« . Je regarde Philippe Baïa qui avait un peu de fric, un pote de Lydie, et il dit « ok, on fait un disque ». Et on a fait un disque.
Philippe Baïa. Il avait un peu d’argent. C’était le financier du groupe, non ?
Ouais. Beaucoup d’argent je crois.
Vous êtes de quel milieu social d’ailleurs ?
Petit bourgeois. Mon père était prof de gym et ma mère kiné. J’ai eu le bac B, le permis B et j’ai rien fait du tout après. Rien. J’ai fait de la musique. Je suis tombé amoureux et j’ai fait des enfants. C’était ça.
Un beau programme ?
… qui n’a pas changé.
Sur Bondage, vous étiez plus discret musicalement, non ?
Pas tant que ça mais disons qu’il y en a un qui disait, je fais çi, je fais ça. Philippe a fait les Bérus et puis il y avait des tas de trucs à faire, comme enregistrer les disques, s’occuper des pochettes, alors c’est vrai que j’ai travaillé sur pas mal de choses qui n’étaient pas de la musique. La production, l’enregistrement. J’ai peut-être moins joué mais non, pas tant que ça.
Cette histoire-là n’a pas été racontée en tant que telle ? C’est incroyable. Il y a une bio des Bérus mais Bondage, RRR, aucun bouquin là-dessus, si ?
Non, chacun raconte sa version. C’est une histoire orale. Les perceptions ne sont pas les mêmes.
La période qui mène à ton départ et ensuite ce qu’on appelle « ta conversion » à l’électronique reste assez peu documentée elle-même.
Quand je suis parti à l’époque, je m’en suis pris plein la gueule. Je suis un mauvais communiste, un menteur, un « je sais pas quoi ». Il y en a qui ont continué de le dire. Ce qui est important pour moi c’est la musique que j’ai écrite. On a sorti des disques un peu hors norme pendant la majeure partie de toute cette période et ce n’était plus le cas après.
Ce que les gens n’ont pas compris, c’est que ce n’est pas forcément la musique qui m’intéresse le plus dans tout ça. Ce sont les gens. Je n’allais pas continuer une histoire qui était devenue débile et complètement différente. Je prends par exemple les Endimanchés. C’était fou. C’était deux gays avec un chapeau pointu. C’était à peu près tout. C’était drôle. (Il chante ) “dans mon jardin potager….” Et ils racontaient leurs histoires personnelles. Et tout le monde disait : « tu es fou ». C’était les personnalités qui étaient importantes. La musique qu’on a faite, qu’est-ce que c’était ? A part les Bérus et encore, le premier album surtout, d’accord, l’énergie, il y avait ça. Et puis le reste est moins important. Après, c’était pour partie du populisme. On va te tuer. Je n’aimais pas ça tant que ça.
Est-ce que le « virage » électro arrive pour toi avec Mega Reefer Scratch ? Vous faites un album entier avec ce groupe qui est assez incroyable quand on l’écoute aujourd’hui…
Mega Reefer Scratch, oui. Ca ne passe pas comme ça d’un coup mais l’expérience a eu son importance. Le batteur de Nuclear Device (Chris Maresco) avait acheté une boîte à rythmes et un sampler. Moi, j’avais un morceau épatant. On a mis six mois à le faire. J’ai essayé de chanter mais c’était une horreur, alors on a trouvé d’autres gens pour le projet. C’était ce que j’avais envie de faire à ce moment-là. Quand j’étais à Bondage, il y avait l’album de Washington Dead Cats qu’on était en train de faire. J’avais tout enregistré. Le fonctionnement c’était tout en une semaine. Il fallait canaliser les coûts. Je faisais les 3×8 à 7 heures du matin à ce moment-là pour gagner un peu d’argent. Je démarre donc en studio dans l’après-midi. Je mixe deux titres et puis ensuite je vais à la FNAC et je tombe sur Run DMC. J’écoute. Walk this way. Et je me dis “ouais”. J’ai effacé tout ce qu’on avait fait avant. Et on a recommencé. Ca n’a rien changé car ils n’étaient pas hip-hop pour deux sous. Même si je crois qu’ils avaient une plage sur leur deuxième album qui était du hip hop. Enfin bon. C’était ça, ce qu’on cherchait. J’ai toujours écouté pas mal de reggae par la suite.
J’aime bien la musique de blancs quand elle est pertinente. Les hippies. Le rockabilly. Je ne connais pas la chanson française. Je n’écoute pas. Je ne connais pas. Il m’arrive de travailler avec quelques personnes par amitié. Tu connais le premier album de Nicoletta ? C’est tout simplement magnifique. J’aime pas Roda-Gil, tout ça. Même si les arrangements sont pas mal des fois. Hallyday, Gainsbourg. Ca n’est pas si français que ça quand on écoute.
Vos sources sont plus anglaises que françaises, c’est ça ?
Je n’écoute pas de musique française. A part Michel Delpech. J’ai acheté le coffret avec tous ses disques. Ca coûtait 40 dollars. C’est énorme. Il y a au moins trois bons morceaux. C’est bien de faire trois bons morceaux en tout. Les Groupies. C’est bien. Johnny pareil. J’ai plein de disques de lui. Quatre en fait. C’est pas énorme. Tu n’écoutes pas la voix bien sûr mais la musique est parfois excellente. Il a de super musiciens par moment. Et puis il y a parfois des choses émouvantes. Le chanteur des VRP avait repris Alexandrie Alexandra pour Canal sur un plateau et il me racontait : “tu sais, j’étais à côté de Johnny. Et bien il n’a pas besoin de micro. Il n’a pas besoin de micro.”
https://www.youtube.com/watch?v=QQKb2dLr0XI
J’ai fait mon cinquième disque en dix ans. J’en ai deux sur les cinq que je pourrais ne pas avoir fait. Ce n’est pas bien parfois. Il faut l’avouer. J’ai du faire 300 remixes et quand j’en réécoute certains…
Ca n’a pas d’intérêt pour vous les remixes ?
Un intérêt financier principalement. Je suis très working class par rapport à ça. Si on me paie, je fais. Et sérieusement. Je ne vois pas pourquoi je refuserais du travail.
Le crocodile de Patti Smith et les pizzas French Touch
On n’a pas l’impression que votre carrière a été guidée par l’argent pourtant…. A l’époque, lorsque vous étais chez East Way/ Yellow, il nous a semblé que vosu auriez pu capitaliser sur un avenir de DJ Star, comme Bob Sinclar. Entrer dans la french touch et enchaîner sur un truc lounge après le succès de A Grand Love Story.
Je n’associe pas forcément Sinclar à cette vision-là. A ce monde là. C’est un vrai mec Sinclar. J’ai un total respect pour ce gars, même si sa musique, ça se discute clairement. Il n’y a pas que ça.
A un moment, on a l’impression qu’au moment de la French touch vous n’explosez pas complètement. Que vous filez ailleurs. Vous partez sur Kill Your Darlings en 2001, alors que les gens attendent autre chose.
Ils m’ont demandé de me vendre. Ca ne m’intéressait pas. Je ne voulais pas gagner de l’argent pour être riche. Ce qui m’intéressait, c’était de gagner de l’argent pour nourrir mes enfants. Je n’en voulais pas plus pour en avoir plus. Tiens, là Je lis Ernest Renan. Il parle de la vieille noblesse de Bretagne. Des gens qui ne voulaient pas devenir riches. S’il y a un peuple qui ne fantasme pas sur l’argent, c’est bien le peuple breton. Ils croient en quelque chose comme 12 000 saints. Moi je ne crois pas en Dieu. Mais les Saints, ce sont des hommes. Je crois en les hommes. Je sors du sujet là? Enfin voilà. Quand il y a eu A Grand Love Story, ça a marché un peu. Ma femme a arrêté de travailler. C’était super bien. Mais j’ai pas pu acheter de limousine.
Qu’est-ce qui vous empêche d’aller plus loin à ce moment-là ?
On me dit « tu as travaillé avec Jarvis Cocker » et tous ces gens. Il faut continuer. Taper plus haut encore. Il y a Patti Smith. Alors moi, je vais voir Patti Smith parce qu’on me demande de lui proposer une collaboration et je lui dis en gros (bon, c’était pas exactement comme ça) : « Hello, Je t’ai vue deux fois en concert, t’étais pieds nus. Je trouve ça cool d’être pieds nus. J’ai bien aimé quand même ton concert alors que quand j’étais petit j’aimais pas du tout ce que tu faisais. J’ai pensé à toi parce que J’ai un morceau qui s’appelle le Crocodile. Ca raconte l’histoire d’un crocodile qui a une tête de lion et une queue de crocodile et qui du coup il peut pas chier. Est-ce que tu veux chanter dessus ? » Elle a dit non. Je ne voulais pas en passer par là. J’ai travaillé avec Tim Keegan à la place. C’était un très bel album mais c’était surtout l’album que je voulais faire à ce moment-là.
Je travaillais beaucoup, tout le temps. Je gagnais de l’argent. Je n’avais pas besoin de plus. Mon truc, c’était de commander des pizzas par téléphone. C’était ça mon luxe. Tu as un type qui t’amène des pizzas chez toi super rapidement. Ca me suffisait bien.
Vous avez toujours mené une vie plutôt normale non par rapport aux DJs star?
J’ai eu des enfants assez tôt. Ils étaient là. Je n’avais pas la même vie. Cela ne m’intéressait pas. La promotion, tout ça.
Vous avez prévu des choses pour The Rare Birds ? Des concerts ?
Non. Je voudrais surtout avoir mes points retraite maintenant.
C’est pas avant 70 ans… 74 ans pour les artistes…
Nooon. Quand mon premier album est sorti, je faisais une interview sur FG avec Chris et Bob Sinclar. On parlait. Je disais : les Bérus, on en a vendu 80 000 le jour de la sortie. Ils me regardaient en ne sachant pas ce que c’était. Dans Yellow, il y avait aussi DJ Yellow. Alain Hô. C’est un asiatique. Il me dit “mes roots à moi, c’est la Black Music.” Et je lui dis d’abord : “mais non…”. Et là je comprends de quoi il s’agit. Il y a pas mal de gens qui s’inventent des histoires. Et c’est ça qui est important, l’histoire qu’on invente et à laquelle on croit ensuite dur comme fer. Moi, par exemple, je me suis persuadé que mon père était un demi-dieu grec. Il y a des trucs autour de ça mais j’y crois vraiment. C’est un exemple.
Vous parlez de de racines musicales. Il y a de tout dans votre album. Du jazz, du free, du rock, du trip hop, de la pop… C’est extraordinaire.
C’est fait pour ça. J’écoute de tout sauf du hard rock. Enfin juste ACDC ou des machins comme ça, mais c’est plus du rock que du hard rock. Ne crois pas que c’est original. Les jeunes écoutent de tout et de rien. Ce sont les anciens qui se souviennent des genres. J’ai revendu la plupart de mes disques une première fois. J’avais tout ce dont on peut rêver. Les Rolling Stones, ces machins-là. Pas mal de groupes de merde aussi. Quand je suis devenu punk, j’ai tout vendu et puis c’est reparti. J’ai reconstitué.
Vous avez gardé de l’enthousiasme pour la musique ?
J’écoute beaucoup de vieille musique. J’ai des milliers d’albums. J’ai tout écouté. Tout. Ça fait dix ans que je n’accumule plus de disques. Mais j’ai découvert récemment un super groupe Black Midi. Le batteur est un génie. La musique, c’est pour les vieux comme moi. J’achète Mojo. Genre “musique”. C’est plus dangereux la musique. C’est une notion qui a disparu. Ils savent tous jouer comme Jimi Hendrix mais plus personne ne joue comme Jimi Hendrix.
La place de la musique a changé tant que ça ?
Oui. Mes filles avaient des walkmans quand elles étaient plus jeunes. Elles écoutaient de la musique au casque. Je trouvais ça nul mais bien à la fois, le walkman. Le problème c’est que tu as droite, gauche mais tu n’as pas le centre. La musique, il faut qu’elle traverse, sinon tu perds quelque chose. Alors je leur ai acheté à chacune une platine vinyle et à Noël je leur achète un vinyle systématiquement. Bon, parfois elles ont du bol, il y a aussi le CD et le DVD dans la même édition. Elles vivent pas très loin de chez moi. On est tous à trois stations de métro. C’est comme ça que je vois les choses.
Mais il y a une des platines qui est cassée. Je ne sais pas pourquoi. C’est ce qui se passe parfois.
Photo : Camille Verrier.