Gwendoline / C’est à moi ça
[Born Bad Records]

8.6 Note de l'auteur
8.6

Gwendoline - C’est à moi çaNous y voilà. L’heure du second album et de la confirmation et c’est peu dire qu’en ce qui concerne le duo breton Gwendoline, les interrogations ne manquaient pas. Comment passer d’un premier album craché en 15 jours sous forme de private joke pour sceller des retrouvailles amicales en tuant le temps, au mieux destiné à quelques potes, à un album conçu tel quel, c’est-à-dire avec quelques enjeux notables derrière ? Comment passer d’un obscur label cold wave espagnol à Born Bad Records, maison de disques indépendante devenue référence incontournable en France et bien au-delà qu’aucun radar ne peut plus éviter ? Comment passer du statut de musiciens branleurs à la petite semaine à duo peut-être le plus attendu du monde indé francophone en 2024 ? Comment, en résumé, assumer le succès plutôt inattendu d’Après C’est Gobelet ! premier album surprise sorti en pleine pangolinophobie qui n’a depuis cessé de gagner au regard de ses rééditions de l’audience et de l’intérêt critique ? Le fait est que si beaucoup sont arrivés petit à petit dans l’univers de Gwendoline par la force du bouche à oreille sur le temps long, au rythme des concerts et festivals pour lesquels le duo (pas si branleur du coup) n’a pas ménagé ses efforts ou que si certains ont longtemps attendu avant de succomber, se demandant sans doute non sans une pointe de snobisme si Gwendoline n’était pas plutôt à ranger du côté des énervants Fauve que des essentiels Michel Cloup ou Pascal Bouaziz, tous, aujourd’hui, ensemble et d’un coup, attendent C’est à moi ça avec impatience et excitation.

Mickäel Olivette et Pierre Barrett ont-ils changé ? Sans doute un peu, forcément. Relocalisés à Brest où ils ont enregistré ce second album, ils assument le relatif confort artistique et matériel dans lequel le succès les a plongés, portant dorénavant des onéreux cirés noirs d’une célèbre marque marine qui leurs permettent de se fondre dans la grisaille de la cité du ponant qui sert de cadre à l’univers visuel de C’est à moi ça, artwork et vidéos signés de l’acolyte rennais Aloïs Lecerf déjà responsable du monument américain de la pochette du dernier album des Bantam Lyons. Pour autant, impensable d’envisager un autre mode opératoire pour des compositions enregistrées par leurs propres soins, sans aide extérieure, sans débauche de moyen. Fidèles à la démarche et à leur sens éprouvé de l’auto-dépréciation, la création de ce second album s’est faite non sans douleur, non sans noirceur. Pierre et Mickaël se cachent les yeux. Pleurent-ils ? Rient-ils ? Refusent-ils de voir ce monde qui, dans ses aspects les plus visibles, semble plus que jamais les dégouter ? Un peu de tout cela à la fois. Portés par un humour noir à l’ironie grinçante et un cynisme assumé, volontiers moqueur, les textes de C’est à moi ça s’inscrivent dans la continuité du premier album mais sur un ton un peu différent, via l’étape du EP Sans Contact sur lequel on sentait déjà que les blagues devenues des hymnes éthyliques notamment en concert (le Chevalier Ricard, Voldebière, Audi RTT…) correspondaient moins à l’idée de ce vers quoi ils voulaient aller.

Plus de gravité ? Sans doute. Gwendoline n’a rien à dénoncer, rien à proposer non plus mais dézingue à peu près tout ce qui lui passe sous le nez avec une assez nette préférence pour les milleniaux et la gen Z, soit leurs contemporains directs dans une démarche qui consisterait à d’abord balayer devant leur propre porte avant de faire porter le fardeau des maux d’aujourd’hui sur les plus anciens. Certes, le modèle n’est sans doute pas brillant mais nombreux sont ceux qui s’en accommodent volontiers voire le développent dans une débauche d’énergie et d’ingéniosité pour parvenir à des fins réclamant toujours plus de moyens. C’est que si Gwendoline, souvent plus proche d’une forme de nihilisme n’a rien d’un groupe politisé, se dessine de plus en plus au fil de ses textes une véritable aversion pour les habituels critères de réussite que nos sociétés mettent en avant, qu’ils soient ceux d’une bourgeoisie ou néo-bourgeoisie dominantes ou ceux d’une classe populaire qui n’aspirerait qu’à les imiter en mode dégradé pour exister. Cibles faciles pour se mettre les gauchos indés dans la poche que de taper à tout va sur les start-uppers de la macronie et les prolos qui louchent un peu trop à tribord vers le goulet ? Probablement un peu mais Gwendoline va plus loin en taclant à l’envie son propre public parfois opportuniste :

C’est qui ces gens trop stylés qui s’prennent en photo partout
Qui veulent devenir pote avec moi depuis qu’on fait des concerts
Ceux qui nous ont bien appris c’que c’était la définition d’être une grosse merde
Quand ils nous ignoraient hier

Aigrie Gwendoline ? Sans doute un peu, syndrome non pas d’une génération en particulier mais de toute une frange d’un pays que ses élites décrivent volontiers en déclassement permanent, irresponsable, peu performant tout en se gaussant du spectacle offert par les mouvements sociaux réguliers sans jamais se pencher sur les véritables origines de ce mal-être généralisé.

Alors, dans cet univers de boites à rythmes martiales et dansantes, de basses électroniques qui tordent les boyaux et de guitares fantomatiques qui ne souffre que de peu de variations (quelle étonnante et rafraichissante rythmique exotique sur Héros National tout de même), Mickaël et Pierre scandent leur misanthropie et noient leur colère dans quelques vers définitifs qui deviendront comme leurs ainés de l’album précédent le signal du ralliement des troupes lors de leurs futurs concerts : « Car ce monde est génial » (Conspire), « Golf, poney, transat, selfie » (Clubs), « J’veux passer à la télé » (Héros National). Ailleurs, ce sont directement les titres des morceaux déclamés 100 fois comme un mantra qui emportent l’adhésion sur Merci La Ville ou la conclusion Parce Que J’ai Rêvé D’être Riche qui prend dès le disque une forme chorale préfigurant la puissance live du morceau. Surtout, fidèle à des origines musicales plus pop, Gwendoline maitrise avec une certaine perfection la science du refrain aguichant et fédérateur, souvent associée d’ailleurs à un univers alcoolisé (Rock 2000, Pinata) tout comme celle du gimmick chatoyant qui vient très régulièrement éclairer et adoucir la noirceur du disque, parvenant à faire de cet univers parfois hostile et déprimant de beaux moments de communion dansante ou même de grâce presque tendre.

Nul doute alors que C’est à moi ça qui devrait être à nouveau soutenu par une interminable tournée qui ne négligera ni les grands festivals, ni les petites salles plus confidentielles, trouvera lui aussi son public ; son hétéroclite public. Car c’est sans doute la grande force de Gwendoline, cette capacité à toucher, peut-être pas tout à fait de la même façon ni pour les mêmes raisons un auditorat intergénérationnel, les uns louant un post-punk qui, dans la forme comme dans le fond, n’a peut-être jamais aussi bien porté son nom et les autres se retrouvant dans la contradiction de cette expression quasiment festive des maux profonds d’une société dont la fragmentation sur l’autel de l’individualisme en particulier ne cesse de s’accentuer. Gwendoline, témoins sincères d’une jeunesse désabusée, délivre un second album aussi sombre qu’il est efficace et confirme la place grandissante qu’il prend en marge d’un panorama musical d’ici souvent un peu morne et tiède. Reste à savoir jusqu’où les deux compères que ce succès a véritablement chopé par surprise, sans le moindre calcul, assumeront l’intensité de cette lumière projetée sur leurs cirés noirs.

Tracklist
01. Conspire
02. Clubs
03. Rock 2000
04. Si J’préfère
05. Héros National
06. Merci La Ville
07. Palace Meetic
08. Le Sang De Papa Et Maman
09. Pinata
10. Parce Que J’ai Rêvé D’Être Riche
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