La pochette du véritable premier album de Movietone, Day And Night, est à l’exacte image du groupe de Rachel Brook : d’une discrétion absolue, d’une nature secrète à peine dévoilée, tout en finesse amère. L’album bleu, comme j’aime à l’appeler, est comme un paysage sublunaire, stratosphérique, une longue étendue blanche où l’unité de la matière et des sons dévoile petit à petit toute la multiplicité des substances qui composent le monde. Les 7 titres qui s’enchainent comme un seul morceau fragmenté, sont d’un calme olympien où les arpèges de piano tout juste frôlés semblent vouloir envelopper de brume les chuchotements de Kate Bright, et les cordes nylon s’excuser de venir franchir les portes du silence. C’est bien en effet d’un jeu subtil avec le silence dont il s’agit dans cette alternance de paysages diurnes et nocturnes. Au centre du jeu, nulle conceptualisation à la Cage pour nous faire comprendre que la musique est un silence en suspens. C’est ici bien plutôt une expérience concrète offerte à nos sens et à notre perception que le groupe de Bristol nous propose. Toute réalité nait du silence et de la nuit, tout sens s’en dégage, déchire la trame du sommeil et des rêves, et y retourne pour mieux renaitre ailleurs, plus tard.
J’écoute cette album, par hasard, parfois plusieurs fois de rang, depuis sa sortie en 1997. Jamais un album ne m’a autant accompagné vers mes nuits et dans les méandres profonds de mon esprit. Rarement un album n’a autant répondu à mes exigences de vérité folle ; cet enregistrement d’allure DIY bricolée, mixé sur un 8 pistes analogiques à bandes laisse respirer une dynamique musicale exceptionnelle où chaque son est soit un souffle caressant soit un pic transperçant le cœur. Piano droit de fortune, guitare acoustique classique ayant déjà bien vécu, bandes enregistrées à l’envers, clarinette qui file, basse comme les patins d’un chat. Souffle coupé, gorge irritée. Dans les premiers temps du label Domino, à une période où Trip-Hop et Abstract Hip-Hop regorgeaient de créativité, Movietone offrait la possibilité de rêver autrement. Alors certes, on pourrait bien rapprocher leur musique des volitions post rock d’un Tortoise par exemple ou bien encore considérer leur ancrage dans la scène bristolienne de l’époque, je pense ici à Cup of Tea ou Monk and Canatella ou encore à The Third Eye Foundation (Matt Eliott est d’ailleurs invité sur le disque). Certes, la même année, Radiohead sortait son chef d’œuvre qui n’est pas sans faire aussi la part belle à un certain bricolage ultra-créatif. Mais les points de convergence valent davantage du côté de l’esprit que de la lettre. Day And Night possède ce je-ne-sais-quoi de parfaitement unique, que même Movietone ne réussira pas à réinventer avec autant de panache par la suite. Il accompagne un film intime où la subjectivité humaine fait défiler sa musique la mieux gardée. Comme le dit Prospero dans une formule célèbre de The Tempest de Shakespeare : We are such stuff as dreams are made on, and our little life is rounded with a sleep.
Maxime Meunier, auteur de ce texte, est programmateur à l’Excelsior/Superforma (Allonnes)