Luke Haines & Peter Buck / All The Kids Are Super Bummed Out
[Cherry Red Records]

9.4 Note de l'auteur
9.4

Luke Haines & Peter Buck - All The Kids Are Super Bummed OutDix-sept titres, deux CDs, une heure et sept minutes de musique et une réussite éclatante : c’est ainsi qu’on pourrait résumer notre avis sur ce deuxième album issu de la coopération entre le Britannique Luke Haines et l’Américain Peter Buck. On avait dit le plus grand bien de leur précédent ouvrage, Beat Poetry For Survivalists, sorti il y a deux ans, mais ce deuxième essai, All The Kids Are Super Bummed Out, est encore meilleur, plus puissant, moins guindé et plus libre, il permet à Luke Haines d’exprimer son agressivité naturelle de la plus belle des manières depuis peut-être 21th Century Man/ Achtung Mutha (2009) si l’on ne veut pas remonter à Baader Meinhof, en même temps qu’il libère un espace monumental d’expression à l’ancien guitariste de REM.

Ce qui épate d’emblée ici, c’est l’extrême qualité des titres. La voix de Luke Haines n’a pas changé depuis ses débuts : certains s’en lassent rapidement, d’autres adorent son phrasé, mais elle s’exprime assez différemment selon l’environnement dans lequel elle se pose. le nouvel album lui permet de briller dans un écrin rentre-dedans, sophistiqué et volontiers expérimental à l’image du costaud et brillant The British Army on LSD qui ouvre le bal dans un registre trippant et psychédélique convaincant ou encore du ravageur et définitif 45 Revolutions. Le ton est donné : Luke Haines opère en mode provoc et décomplexé et va proposer tout au long de ce disque le meilleur de lui-même en termes de méchanceté gratuite, de satire politique, de synthèses historiques et uchroniques mais aussi de mélodies géniales. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le LP n’est pas un nouvel album concept autour d’une quelconque réalité historique, décalée ou décentrée. Mais on y retrouve les obsessions habituelles de l’auteur pour l’armée, les OVNI, la mécanisation, les drogues, l’art, les médias et la politique.

All The Kids Are Super Bummed Out est un disque passionnant, aux ambitions démesurées et qui se double d’une efficacité addictive. On pense assez souvent aux compositions de Ray Davies des Kinks, par l’emploi de perturbations presque classiques dans la trame mélodique et musicale des pièces, mais le disque prolonge aussi avec une évidence savoureuse certaines des meilleures réalisations de The Auteurs. On retrouve ainsi la couleur caractéristique du groupe sur l’excellent Sunstroke, l’une des plus belles chansons du disque, ou la magnifique balade Won’t Even Get Out of Bed, qui semble répondre coup pour coup au Spent the Day In Bed de Morrissey. Bien plus loin, le rock endiablé de l’excellent Flying People n’aurait pas dépareillé sur Now I’m A Cowboy.

Le ton est délibérément rude et rock assez souvent, rappelant la vigueur de The Oliver Twist Manifesto (2001) et ces disques où Haines entrait volontairement dans des logiques confrontationnelles avec la société et son public. Sur The Skies Are Full of Insane Machines, ça bourrine pas mal autour d’une guitare d’arrière-plan que Buck n’avait pas fait sonner de cette manière depuis des lustres.  C’est parfois un peu balourd comme sur le premier single, Psychedelical Sitar Casual, peut-être l’un des titres les plus faibles du lot, mais souvent réalisé avec suffisamment de brio, d’intensité et de conviction pour qu’on en redemande. La liberté de ton vire par moment à des sortes de jams qui évoquent le jazz : c’est le cas sur le badin Subterranean Earth Stomp intrigant et qui progresse à tâtons, tandis que The Commies Are Coming fait le même travail dans un registre punk/pub rock tout aussi référencé. On retrouve avec bonheur sur Iranian Embassy Siege, les sonorités orientales menaçantes et hypnotiques qu’on avait adorées lorsque la bande à Baader croisait les détournements d’avion sur Baader Meinhof.

 Si l’adjectif ne renvoie à rien de précis, on sent au fil des écoutes qu’il y a dans l’exécution et l’interprétation de cette musique une vraie jubilation qui saisit les musiciens. Cette jubilation est communicative et produit une attraction électrique qui s’exprime aussi bien à travers des titres au tempo plus lent (le remarquable When I Met God… « he was dressed like a teddy boy », chante Haines), ou prononcés en quasi spoken word (l’impeccable Minimalist House Burns Down qui suit) que sur des chansons qui évoquent les bidouillages géniaux d’un Joe Meek comme les 7 minutes et quelques de Exit Space. Ce morceau est à lui seul un monument, par sa longueur et sa progression millimétrée. On n’est pas loin de penser qu’il constitue la réalisation majeure du disque et le sommet de la rencontre créative entre les deux hommes. Le crime et le collage sont parfaits jusque dans une dernière séquence (les deux dernières minutes) magistralement rythmée et interprétée qui figurera, sans conteste, parmi les grands moments musicaux de l’année en cours.

Le disque 2 est aussi passionnant et novateur que le premier est pop et efficace. Loin de diluer leur propos, les deux hommes proposent un florilège de pièces passionnantes et qui affichent chacune des qualités différentes. De You’re My Kind of Guru, envoûtante et un peu amusante, au caustique Diary of A Crap Artist, on rigole sec et jaune, en tapant du pied. And We Will sonne comme le délicieux mélange des Beach Boys et de Spacemen 3, avant que le plus généreux et accessible Waiting for The UFOs ne referme brillamment cette fenêtre ouverte sur l’imaginaire des deux quinquagénaires.

All The Kids Are Super Bummed Out est un album immense qui célèbre une rencontre au sommet entre deux rockeurs importants de ces trente dernières années. C’est un précipité bouillant et plutôt bien dégrossi de culture pop, d’histoire et de rock des années 50 à nos jours. C’est aussi un disque qui parle des époques déposées à nos pieds par le temps qui file et du monde dans lequel on vit avec une ironie et un mordant extraordinaires. On peut l’écouter pour se faire plaisir pour remuer la tête et taper du pied, mais aussi s’y immerger pour en sonder la profondeur et toute l’intelligence.

Tracklist
01. The British Army On LSD
02. The Skies Are Full Of Insane Machines
03. Sunstroke
04. 45 Revolutions
05. Won’t Even Get Out Of Bed
06. Psychedelic Sitar Casual
07. Subterranean Earth Stomp
08. The Commies Are Coming
09. The First Time I Met God
10. Minimalist House Burns
11. Exit Space (All The Kids Are Super Bummed Out)
12. Iranian Embassy Siege
13. You’re My Kind Of Guru
14. Flying People
15. Diary Of A Crap Artist
16. And We Will
17. Waiting For The UFOs
Liens

Lire aussi :
Luke Haines / Freaks Out ! [Nine Eight Books]

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Baby Volcano fait frissonner le zombie (chaton) qui est en nous
On a déjà évoqué la compilation RainboWarriors assemblée par Rebeka Warrior et...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *