Mechanimal / Crux
[Inner Ear Records]

8.7 Note de l'auteur
8.7

Mechanimal - CruxA situation exceptionnelle, musique exceptionnelle. Les Grecs de Mechanimal dépassent la limite des genres pour nous servir avec ce Crux, royal et brillant de bout en bout, une expérience musicale électronique, surréaliste et qui ressuscite le vieux rêve de l’art total. Mechanimal présente avec ce disque un portrait en dix tableaux d’un pays à la dérive, accablé par les maux sociaux et les tares que les responsables politiques et les insuffisances individuelles et collectives ont précipité.

Crux est un disque politique, dominé par le chant mécanique et grave de Freddie Faulkenberry, lequel alterne une livraison sépulcrale semi-industrielle et un spoken word vaguement décadent. Cette litanie sinistre, faite de désastres, d’accusations et renoncements, est accompagnée par les arrangements électroniques majestueux de Giannis Papaioannou, leader du groupe, compositeur unique et, ici, autre moitié opérationnelle du groupe qui intègre dans ses contours de circonstance un batteur et une chargée de réalisation artistique. Mechanimal crée avec gravité une sorte de conte musical lugubre et sombre qui finit, par sa détermination et son emphase, par inspirer une forte mélancolie et une aspiration à la poésie. Sharon est, à cet égard, un titre qui frôle la perfection. Le baryton Faulkenberry s’adresse à une fille disparue et se languit de la retrouver. « Fading in heaven/ Fading with you/ In a dream in heaven/ Far away/ Sharon/ You were nice, eternal/ Eyes/ Angel/Sister/ From the shadows ». On pense à Bauhaus et à toute une filiation gothique qui n’est plus en cour aujourd’hui et que le groupe ressuscite avec brio, tandis que Jimmy Polioudis de Vagina Lips joue de la guitare à l’arrière-plan. Sur Stolen Flesh, c’est le fantôme de Lou Reed qu’on croît croiser au chant, évoquant la mort devenue la compagne du narrateur, quand les morts se multiplient dans les hôpitaux et les villes. Le morceau est glaçant et prophétique. Il faut danser jusqu’à la fin, répète Faulkenberry d’une voix désolée et détachée du sinistre spectacle.

Mechanimal rivalise d’audace pour décrire ce monde apocalyptique auquel nous avons, malgré nous, abouti. Easy Dead est brutal et sans échappatoire. « Easy money/ Easy Girls/ Easy Friends/ Easy Dead », voici le mouvement proposé dans une narration en voix off singée sur les films d’horreur. La rythmique est idiote, taillée pour bousculer. Le cœur de l’album est moins pop que l’entrée en matière. Les temps sont troublés. Mechanimal initie un durcissement mécanique qui fonctionne parfaitement. La liaison électro-métal est évidente sur l’énorme Scavengers qui parle d’empires effondrés et de respect. On pense à la puissance d’impact des premiers Prodigy, en plus lourd et en plus désespéré. Il n’y a plus de lumière et l’humanité laisse sa place à un monde de machines et d’hommes-robots kraftwerkiens sur l’ample et presque dansant Razor Tube. Le mouvement d’ensemble est remarquable. On croit entendre chanter Nick Cave sur l’énorme Red Mirror, balade nocturne habitée dans une ville de science-fiction. La narration l’emporte sur l’hypnotique Hospital of The Storm qui fait penser à l’univers terrifiant de l’Allemand Sweet William, dans les années 90. Le final, la Poverina Delle Ossa, est bâti sur un cut-up, une archive de film. On y perçoit l’immense tristesse qui vient avec la mort et la disparition des derniers hommes. Le morceau est somptueux, stupéfiant et tutoie le sacré. On se prend à pleurer devant la peine et la peur, devant les souvenirs qui défilent et qu’on laisse échapper.

Dans d’autres circonstances, on aurait aimé écouter cet album magistral pour se faire peur et se convaincre que le monde allait mal. En ces jours particuliers, il constitue la bande son parfaite pour compter les jours et regarder par la fenêtre.

Tracklist
01. Ghetto Level
02. Sharon
03. Stolen Flesh
04. Easy Dead
05. Scavengers
06. Razor Tube
07. Red Mirror
08. Hospital of The Storm
09. Vanquish
10. La Poverina Delle Ossa
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