Wu-Lu / LOGGERHEAD
[Warp Records]

8.3 Note de l'auteur
8.3

Wu-Lu - LOGGERHEADLa hype est le plus souvent mauvaise conseillère. Elle ne donne accès qu’à des albums qui seront cramés le mois qui suit leur sortie : trop en phase avec les goûts et les tics du moment pour passer la saison. Il arrive toutefois qu’elle ait le nez creux, ce qui semble le cas pour Wu-Lu, aka Miles Romans-Hopcraft, jeune anglais qui vit à Brixton et dont le nom revient partout depuis un an et l’annonce de sa signature chez Warp Records. Le bonhomme n’est pas à proprement parler un débutant puisqu’il travaille sur ses morceaux depuis 7 ou 8 ans maintenant et fait partie du collectif Touching Bass, un intéressant regroupement d’artistes locaux du Sud de Londres qui mêle rappeurs, musiciens tournés vers l’africanité, soulmen, jazzmen et produit aussi à l’occasion d’autres musiciens. On renverra à l’impeccable compilation Touching Bass presents Soon Come qui vient de sortir celles et ceux qui voudront en savoir plus.

C’est au sein de ce vivier de talents que Wu-Lu s’est fait remarquer, alignant sur scène des performances incandescentes et qui ont mis en avant sa capacité à défier les genres et les catégories utilisées d’ordinaire pour décrire la musique. Son premier album, LOGGERHEAD, s’inscrit de fait dans cette grande quête d’une fusion complète des genres que poursuivent quelques artistes : réussir à partir d’une base hip-hop et dark soul (disons à partir du Tricky de la fin des années 90) à mêler jazz expérimental, musique indé et psychédélisme. On trouvera chez Wu-Lu aussi bien des réminiscences garage, jungle que des traces de soul ou de funk. Par simplicité et parce que cela nous semble le plus juste, le résultat nous ramène, bâti comme il est quasi exclusivement autour des rythmiques et de l’utilisation des basses à une version moderne et chantée du dub. Gonjasufi n’est pas loin, cLOUDDEAD non plus, ce qui paradoxalement renvoie assez précisément à des territoires connus et déjà en partie explorés.

LOGGERHEAD n’est ainsi pas tant un disque pionnier qu’une variation plutôt intelligente et très agréable à l’écoute sur les musiques transgenres. Il y a une modernité évidente dans les mises en sons qui se manifeste d’emblée sur le léthargique Take Stage, entrée en matière élégante, hypnotique et organisée simplement autour du flow baryton de l’artiste, d’une pulsation élémentaire syncopée et basse, et d’un choeur de femme posant à l’abstraction. On retrouve ce mélange dans une version plus musclée et agressive sur un Night Pill hanté. L’ambiance est souvent lourde, proche des sonorités industrielles (Blame), tandis que Wu-Lu propose, à travers ses textes, une critique en règle de la société de contrôle et policière actuelle (Facts). La structure des pièces est souvent assez simples rappelant les secrets de composition math rock, quelques boucles, heurtées et dérangées par des inserts, des notes isolées qui viennent faire dérailler ou paralyser le mouvement principal.

Scrambled Tricks est un excellent morceau, tordu et produit à la façon du jeune RZA, avec des craquements et un son indus qui relèguent les voix à l’arrière plan dans une sorte de brouillard, augmenté de sons de guitares et d’instruments organiques. Les bons titres s’enchaînent et creusent un sillon revendicatif et incisif, entrecoupé d’instants plus paisibles, parfois intriqués au cœur même des morceaux à l’image de l’excellent South sublimé par le couplet de Lex Amor. Le motif de guitare à l’entame se transforme en une rythmique aux accents quasi flamenco qu’une tension croissante va précipiter dans un instant horrorcore littéralement magique. C’est dans ces enchaînements presque improbables que le montage de Wu-Lu tient de la prestidigitation et du miracle, accouchant d’une forme rare de fusion musicale où l’on ne reconnaît plus grand chose.

Le temps de reprendre quelques forces, façon repos du guerrier, auprès d’un Calo Paste soyeux, Wu-Lu repart en marche avant pour une seconde moitié, peut-être un peu moins remarquable mais dominée par quelques morceaux forts et réellement marquants comme Blame, l’incendiaire Times, peut-être le morceau le plus indé grungy de tous, sorte de balade de jeunesse du Dinosaur Jr, le punk Road Trip (qui fait penser à du Prodigy au ralenti) ou encore l’expérimental et final Broken Homes. Sur cette seconde partie, Wu-Lu embrasse plus nettement les « musiques blanches » et ses influences indé. On pense parfois à la beauté immédiate et à la vivacité des premiers Bloc Party, la filiation entre les deux groupes n’étant jamais revendiquée. Il y a pourtant d’évidents échos historiques entre les formations comme cette volonté de ne pas reconnaître de limites et d’aller où le coeur et la rythmique les mènent.

LOGGERHEAD est à cet égard un disque très convaincant et endiablé, inspiré et porteur d’un souffle révolutionnaire assez rare. Dire s’il passera l’épreuve du temps est toujours difficile à dire mais il nous fera bien plus que la saison sur ses compositions et ses audaces. En 2022, il fait figure de création modèle et étalon.

Tracklist
01. Take Stage
02. Night Pill (feat. Asha Lorenz)
03. Facts (ft Amon)
04. Scrambled Tricks
05. South (ft Lex Amor)
06. Calo Paste (ft Lea Sen)
07. Slightly
08. Blame
09. Ten
10. Road Trip
11. Times
12. Broken Homes
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