Meg Baird est rare. Ce qui est rare est précieux. Donc…. vous connaissez l’histoire. Son premier album solo depuis quelque chose comme huit ans est une pure merveille où la jeune californienne (15 ans de carrière derrière elle néanmoins) délaisse sa guitare-signature pour se laisser porter par un piano plein de délicatesse. C’est celui-ci qui l’emporte sur le premier morceau de ce nouveau disque Furling (enrouler/enroulée en français) intitulé Ashes, Ashes. C’est un long morceau de près de cinq minutes, tenu sur un piano minimal que vient hanter à bonne distance la voix fantomatique d’une Meg Baird en succube stellaire ou Wicca post-folk. On serait bien restés dix minutes de plus dans cet état de léthargie dont on ignore (le titre donne un indice) s’il précède ou succède à la crémation de notre corps terrestre. L’impression d’apesanteur constitue un merveilleux sas d’entrée entre le monde et le disque.
Accompagnée de son comparse et compagnon d’Heron Oblivion (l’un des nombreux groupes avec lesquels elle joue), Charlie Saufley, elle signe à la suite un Star Hill Song, lumineux et chaleureux. La guitare drakienne joue sur la pointe des pieds et laisse jaillir la lumière naturelle entre les cordes et les accords, diffusant une chaleur que la voix splendide réfléchit. Entre pop et folk, on frôle ici, au ralenti, une sorte de perfection qui se prolonge un peu partout sur Ship Captains et le mélodieux Cross Bay, sur lequel les arrangements complexes et le jeu de guitares qu’on imagine en picking font merveille. La pureté dans l’expression et le jeu de guitares n’est jamais synonyme chez Meg Baird d’affadissement ou de simple illustration qui ferait de sa musique folk une sorte d’accompagnement chic pour magasins d’ameublement bobo. Elle a joué avec Will Oldham après tout et n’a jamais succombé à l’afféterie et aux effets spéciaux.
Il y a ici suffisamment de profondeur, de relances et de variations pour qu’on ait envie d’explorer chaque recoin de la partition. On sent la tristesse affleurer après le départ/la mort d’un proche sur Twelve Saints, immédiatement contrebalancée par la sensation de se lover (furling) dans un réconfort calin. The Saddest Verses porte bien son nom et est parcouru à l’arrière-plan par une ligne mystérieuse de guitare électrique. Ces ajouts de production amènent une profondeur au son qui permet aux chansons de dépasser leur simplicité initiale. Il y a bien certains titres qui sont plus classiques (ou pauvres), à l’instar de l’illustratif Will You Follow Me Home ?, presque badin comparé aux autres et sur laquelle elle semble vouloir attraper l’objet de son amour pour le ramener chez elle/mettre dans son lit.
Il y a dans ces aller-retour entre des thèmes élevés et quelques considérations plus terre à terre un joli reflet d’une vie de femme, exposé avec beaucoup d’honnêteté et de précision. On peut illustrer cela avec le final, Wreathing Days, qui enregistre le retour du piano à la mène, et qui est peut-être le morceau le plus bouleversant, émouvant et éblouissant du lot. C’est un jour de fêtes et un jour d’adieu, un jour de joie, de présence et de tristesse, un jour pour l’amour et le travail qui s’amuse sans doute des divers sens du mot « wreathing » (tresse, tortiller, etc) dans un monologue sublime et que n’aurait pas renié Pénélope. Le disque s’achève sur l’évocation de ces jours de vie qui commencent et se referment de la même manière.
Il y a plus tonitruant et relevé, plus âpre et plus spectaculaire que Furling mais c’est un disque à la générosité infinie, chaleureux et intense, qui vous donnera le sentiment d’avoir un chat sur les genoux, une terrasse avec vue sur la campagne ou un compagnon attentionné après et avant l’amour autour de vous.