On a dit par le passé tout le mal qu’on pensait de l’école math-rock, sa logique musicale qui, selon nous, amenait (en fonction de l’application qu’on en faisait) à renoncer à la mélodie-référence pour d’apparentes variations factices qui consistaient, du point de musical, à descendre ou monter un escalier marche à marche. Le genre a pâli depuis dix ans et plus grand monde ne le pratique dans l’épure et le radicalisme. Plus grand monde, sauf peut-être les Italiens de Melee dont la conviction et l’intensité suffiraient presque à nous faire changer d’avis. Le groupe est composé de deux garçons, Guido et Mario, dont on ne sait pas grand chose et qui propose chez Araki Records un disque coup de poing qui se tient quelque part entre le manifeste math-rock (du son pour le son) et le post-hardcore noisy à l’Américaine.
Le résultat est stupéfiant d’abnégation et décliné avec une telle absence de remords et de second degré qu’on en vient à se laisser emmener par le flux/flow basse/batterie et à ne plus savoir où on a la tête (qui forcément, tourne, tourne, tourne).
Melee est un disque rapide, qui en plus accélère. On est saisi d’emblée par la cadence folle d’un 250 qui verse assez vite dans un sublime et balancé Spiaggia. La musique virevolte, explose, part dans tous les sens avant de se rassembler à la manière dont Terminator 3 compte ses gouttes de mercure. C’est l’impression générale que donne le disque : un truc qu’on éparpille façon puzzle sur la première partie des morceaux, du matériel sur lequel on marche et qu’on glisse sous les meubles avant de (magie) compter jusqu’à deux ou trois et de regarder l’étrange spectacle de son ré-assemblage. Curieusement, on est incapable de penser à quoi cette musique se réfère et c’est ce qui fait sa qualité première. Le bruit nous environne, mâtiné parfois de programmations faiblardes, mauvais larsens et secousses purement électriques, avant de revenir par la porte entrouverte. Pizza n’a évidemment rien à voir avec une vraie pizza. Ni anchois, ni sauce tomate, juste une proposition qui s’étale et se ramasse entrecoupées de rares respirations plus rock et de moments qui comptent. Quelle musique étrange ! Quel brouet indélicat ! Quel brouillard ! Quelle force !
La musique de Melee est assez incroyable par la détermination qu’elle affiche et les certitudes qu’elle dégage, comme si les deux musiciens empruntaient un chemin qu’ils avaient arpenté mille fois au décibel près. Cette détermination fout un peu la frousse mais rend cet ensemble, hautement contestable, convaincant et imposant. Les morceaux brefs (moins d’une minute) côtoient des plages plus ambitieuses de quatre ou cinq minutes sans que cela semble justifié par la volonté de développer plus ou moins un thème. Les choses se font, se défont, se prolongent ou s’arrêtent par l’application d’une volonté omnisciente et qui semble avoir en tête un truc qu’on ne perçoit pas. Spada pique notre curiosité, puis se casse sans laisser d’adresse. La musique de Melee brille par son incommunicabilité et son caractère monolithique. Elle est posée devant nous et nous regarde la regarder.
Cet album est une curiosité à ce titre qu’on recommande chaudement, sans trop savoir si ce qu’on raconte a un semblant de vérité.