La Luz / Floating Features
[Hardly Art / PIAS]

8.8 Note de l'auteur
8.8

La Luz - Floating FeaturesLe groupe de filles le plus inspiré de son époque est de retour et livre avec ce Floating Features, un album aussi envoûtant que maîtrisé. Dans son registre si particulier, un temps baptisé « surf noir » pour désigner ce mélange de surf rock et d’ambiances de films noirs qui hante ses compositions, les La Luz n’ont jamais sonné aussi bien, aussi justes et aussi féminines. Floating Features se déploie sur onze titres à la production riche et somptueuse comme un road movie invraisemblable où des pétroleuses naïves et à la poitrine et aux cuisses savamment découvertes se confrontent au rêve américain d’aujourd’hui. Disque d’aventures et disque d’amour, disque qui parle des rêves des jeunes femmes et de leurs peurs, Floating Features est à la fois nimbé d’un voile évanescent produit par l’empilement des couches de guitares et d’une limpidité sidérante quand les chansons dévoilent leurs mélodies et leurs influences. C’est accessoirement un album d’instrumentistes inspirées où l’équilibre des guitares, des voix et des rythmiques atteint un raffinement proche de la perfection.

A la conquête de l’Ouest

Il y a un caractère passionnant dans la musique de La Luz qui tient au contraste entre l’apparente proximité sonore des titres et l’infinité des variations qu’elles abritent. La Luz est aussi folk (Mean Dream) que pop (l’incroyable Loose Teeth). La Luz est un groupe de rock progressif des années 70 et un groupe de rock psychédélique, en même temps qu’un groupe de filles des années 60. Mais c’est avant tout un groupe qui sert de la dynamite à tous les étages et étonne par sa capacité à renouveler ses effets tout en évoluant dans un mouchoir de poche. Floating Features impressionne d’emblée par l’aplomb d’un titre éponyme, instrumental, dont l’objet est d’installer l’ambiance. Cela ne dure que 2 minutes et quelques mais la projection est immédiate. La Luz a une capacité extraordinaire a vous plonger dans son univers coloré et romanesque, faisant de l’écoute du disque une grande immersion dans une Amérique de western, de personnages interlopes, de femmes fatales et de filles d’à côté. Ceux qui ont vu le clip de Cicada savent que les filles ont entrepris, cette fois-ci plus encore que les fois précédentes, de jouer avec le second degré. On pense aux westerns sud-américains et à ces films qui mettaient en scène Brigitte Bardot ou Jeanne Moreau avec des révolutionnaires mexicains. C’est là que ça se passe. On sent la poussière et les cactus, on sent aussi la route et l’idée selon laquelle l’Amérique serait encore et toujours (et contre Trump et sa bande) un terrain d’expression individuelle. La Cicada est un titre parfait, suggestif et traversé par la mythologie de l’Ouest. « In the air so hot and sweet we heard it in the breeze. Metallic shimmering of invisible things. Will we ever have our own house ? Will we ever be in one place long ? », chante Shana Cleveland. Les textes sont abstraits et concrets à la fois, remarquables d’équilibre entre la force universelle des images et l’évocation des espoirs de la jeune trentenaire.

Rêve éveillé

Le titre le plus évident du disque est probablement Loose Teeth, un immense single à la dynamique irrésistible. Cleveland se lamente sur sa solitude et abandonne l’idée d’appeler son mec pour mieux divaguer ou faire ce qu’elle a à faire toute seule. C’est du grand art : un morceau qui navigue entre une country à la Tarantino et l’esprit des Pixies (ou des Breeders), empreint d’une sensualité redoutable. Les titres avec cette force de frappe ne manquent pas sur cet album. On a parfois l’impression de se la couler douce et de flotter en apesanteur (Mean Dream ou le planant California Finally) avant de revenir assister à des scènes d’anthologie. Le découpage dramatique de l’album est une grande réussite. On passe du chaud au froid, du suave au sec à un rythme divin. Les morceaux de bravoure se multiplient à l’image de The Creature, un autre des sommets du disque. Cleveland est cette fois dans sa chambre, au lit et une fois encore seule quand une créature mystérieuse rampe vers elle et la caresse des pieds à la tête. L’impression est saisissante, menaçante comme l’incube (si l’on considère que c’est un homme) et attentive comme la créature des marais. On se croirait dans une version érotique du Lullaby de Cure. Floating Features joue à merveille  de ces images ambigües pour maintenir le désir et susciter la curiosité. L’effet de séduction fonctionne aussi bien sur les hommes (forcément) que sur les femmes. Le relatif classicisme de la chanteuse est sans arrêt contrarié par les initiatives de Lena Simon à la basse et de la fabuleuse Marian Li Pino à la batterie. Ce sont elles qui détraquent les morceaux et leur donnent ce cachet insensé.

On concédera aux plus exigeants qu’un ou deux morceaux (My Golden One et Greed Machine, uniquement) n’apportent pas grand-chose à ce qui a été dit avant mais cela laisse neuf titres décisifs et qu’on ne pourrait trouver nulle part ailleurs. Lorsque Cleveland s’avance dans la lumière pour entonner la berceuse balade Walking Into The Sun en voix de tête, on est déjà à genoux en train de rendre les armes.

Entre le doo-wap et le shalala, l’espace des possibles semble infini. Floating Features est un chemin de beauté et d’étonnement remarquable, le meilleur album du groupe sans conteste et un album de série Z unique en son genre qu’on réécoutera avec le même plaisir pendant les quarante prochaines années en rêvant de guitares tordues et d’harmonies vocales.

Tracklist
01. Floating Features
02. Cicada
03. Loose Teeth
04. Mean Dream
05. California Finally
06. The Creature
07. My Golden One
08. Lonely Dozer
09. Greed Machine
10. Walking Into The Sun
11. Don’t Leave Me On Earth
Ecouter La Luz - Floating Features

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