S’il faudra encore attendre l’usure du temps pour mesurer la portée des réalisations Captured Tracks, le label new-yorkais a d’ores et déjà ça de différent par rapport à nombre de structures qui misent tout sur le « next big thing » : une vraie éthique, une approche humaine, voire artisanale, et une certaine esthétique – enfin encore que, depuis que le label-le-plus-hype-du-moment a livré dans le même temps, avec plus ou moins de succès, du folk psychédélique (les emplumés Widowspeak), des gothiques pas commodes mais captivants dans leur posture (The Soft Moon), un type complètement largué et fascinant (DIIV) et une palanquée de popeux bien inspirés (Charlie Hilton, Wild Nothing, Chris Cohen), on ne sait plus sur quel pied danser (allez essayer de trouver le dénominateur commun entre Dinner et B Boys…).
Alors pourquoi fallait-il garder Mourn dans l’écurie ? Déjà que Mike Sniper offre au quatuor une licence leur permettant d’exporter le premier album des Espagnols (Mourn – 2015) ressemblait à une passade de fin de soirée au festival Primavera ou à Benicássim. Le pouvoir de séduction de la jeunesse et du soleil. De là, à nouer une relation à long terme en produisant Ha, Ha, He., cela s’apparente à la marotte (ou la « danseuse ») du boss. C’est vrai qu’elles sont mignonnes et semblent sympathiques, les trois gamines dans leurs tee-shirts à l’effigie des Ramones (Antonio Postius est prié de rester planqué derrière ses fûts).
Mais une fois qu’elles auront fini de faire des clowneries en se photographiant, il faudrait quand même s’atteler à proposer autre chose que la fougue et la fraîcheur de la jeunesse à l’heure du si difficile second album. Ce que Mourn refuse tout net : Ha, Ha, He. livre onze chansons jouées pied au plancher. Ca braille, ça s’excite, ça vocifère, ça joue fort en bombant le torse (un comble). Parfois avec un certain talent, une candeur juvénile qui fait plaisir, une naïveté qui se confond avec de la sincérité, voire même une indéniable dextérité (la machine s’emballe mais sans le moindre dératé à l’allumage ni surchauffe à pleine vitesse). Mais il faut attendre Second Stage en fin de disque pour que les filles se calment (la rythmique et le riff de guitare restent toutefois dignes d’un groupe de death-metal sous anxiolytique). C’est long dans ces conditions un album – quand bien même la plupart des chansons n’atteignent pas les deux minutes chrono – soit tout l’inverse de Sunny Hill de Dropout Patrol qui parvient à dégager une tension de tous les instants, un truc qui prend à la gorge sans même vociférer, un charme malgré des atours peu avenants. Et si on pointe cette référence potentielle (et confidentielle, certes), c’est que Mourn laisse entrevoir très furtivement que sa maîtrise technique et sa spontanéité pourraient donner du corps et du cœur à ses compositions (le final Fry Me) lorsque pointera l’inéluctable essoufflement (le leur, le nôtre). Attendons donc la suite pour voir ce que Mourn sera alors capable de produire.