De la lenteur et des cuivres. On n’aurait pas misé sur ce couple là pour porter un album de rock indépendant alors qu’on rêvait depuis quelques mois de punk et d’éclats, d’électricité et de colère. Mais la voix de Paul Banks suffit souvent pour changer le plomb en or. C’est sur son étrange attrait que repose en grande partie le charme de Muzz et la capacité de cet album à tenir aussi bien la distance. Le chanteur d’Interpol y intervient dans ce registre si particulier qu’il cultive pour ses enregistrements solo. La voix ne s’y présente pas (et on le regrette souvent) sous sa forme majestueuse de baryton à voix grave. Elle est doublée d’effets, nimbée dans une gangue qui la grignote et la fait trembler, mais qui lui confère aussi une séduction irrésistible, une vibration qui la fait ressembler parfois à la profondeur et à la solennité de celle de Matt Berninger de The National, en plus fragile et complexe .
Dans le gang des voix irrésistibles, Banks se situe en haut de l’échelle. On a beau vouloir entendre et réentendre celui qui intervenait sur Turn On The Bright Lights, Banks nous a jusqu’ici, et presque toujours, offert autre chose comme s’il s’évertuait justement à tourner autour du miracle originel sans vouloir y repasser. Les chansons de Muzz sont tenues à bout de voix par un chant habité et fainéant, fatigué et d’une classe insolente qui éclaire littéralement les meilleurs titres du disque comme le sublime Bad Feeling ou l’indispensable et économe Broken Tambourine. Muzz est un album morne et désolé, qui ne relève presque jamais le tempo et la tête. C’est un album à bien des égards paresseux mais qui, sur son faux air, dégage une langueur et une sérénité qui font un bien fou.
Ne parler que de Paul Banks quand on parle de Muzz ne rend sans doute pas justice au travail de ses compères du jour. Muzz se présente en effet comme un supergroupe, certes déséquilibré, où Banks côtoie Matt Barrick, batteur de The Walkmen, et le producteur Josh Kaufman. Banks et Kaufman se sont croisés à l’étranger durant leurs études supérieures de gens bien nés. Barrick est venu après, mais les trois hommes sont amis depuis longtemps et évoluent tous les trois au cœur du rock new-yorkais. L’écrin musical qui accueille la voix de Banks est à la fois sophistiqué et bien léché. C’est un mélange de rock classique et d’arrangements cuivrés et jazzy qui impose le respect et résonne avec classe aux oreilles des gens cultivés. Un brin de blues et de produits du terroir sur Knuckleduster, piano et effets bidon sur l’ennuyeux Chubby Checker. Tout le monde sait jouer et se tenir en place. La musique de Muzz a de vrais faux airs de The National, les mêmes tics et la même sale tendance à ralentir le tempo pour espérer gagner en impact et en densité. « Plus tu es lent et plus tu auras l’air intelligent. » « Plus tu es plombant et plus tu creuseras profond. » Ce sont désormais les préceptes qui font loi et l’on peut s’y laisser prendre. How Many Days est juste du bel ouvrage. Ca grésille comme il faut, ça inspire le menace, et encore ? Le groupe respecte le code de la sortie de route à la lettre et s’arrête au stop avant de plonger dans le vide en faisant couiner un saxo à l’arrière-plan. On pourrait qualifier ça de surfait et de toc, s’il n’y avait cette sensation d’être confronté à quelque chose d’agréable à l’oreille, de solide et en soi de réconfortant.
La voix de Banks apporte le supplément d’âme et propulse ces ritournelles anodines et ciselées par la jet set indé dans un univers presque extraordinaire et troublant. Il suffit de contempler Red Western Sky, l’un des morceaux les plus enlevés, pour décoller et frissonner de joie. Muzz joue de l’Americana pour les Palaces et la 1ère classe des longs courriers. C’est l’album qu’on aimerait écouter avant d’aller se faire aspirer le gras du bide et épiler le torse dans une clinique en marbre. Le soleil est rouge, le décor du même carton pâte que les paroles :
Red western sky I will follow you
With my pagan hat, tell me what to do
I will stand all night, I will walk to you
I will burn in fire, the shaking is new
But when I find you, the body will be clean
Send the dust in, send the rest to me
Sitting lonely shapes, infinite
Send the best in for me
And the rest remains still so sudden
In the mess
mais c’est si bien fait qu’on répète le refrain à la deuxième écoute. Everything like it used to Be démarre et c’est rebelote :
We made our star dancing beneath this very sky
I’m saying gonna make them fall to their knees
On this you can rely
We’ll make them bleed again, Amen
Oh wow wow wow
Oh wow wow wow
On se croirait chez U2 où ce genre de groupe mais avec la poésie énigmatique (et souvent débile) de Banks en plus. Sous l’apparente facilité, ce n’est pas du tout simple à faire. Muzz est un groupe savant et un groupe surdoué qui sait comment faire en sorte que l’auditeur se sente important et considéré. C’est un album qui donne le sentiment d’être intelligent et de faire partie d’un monde de privilégiés et d’amateurs de belles choses. On est peut-être pas tout ça. On n’en fera peut-être jamais partie. Mais aimer Muzz nous donne le sentiment d’avoir compris quelque chose à New-York et à l’Amérique, d’avoir un meilleur salaire, une plus jolie femme et une vie meilleure. On peut trouver ça cruche mais c’est une raison suffisante pour écouter un disque.
02. Evergreen
03. Red Western Sky
04. Patchouli
05. Everything Like It Used To Be
06. Broken Tambourine
07. Knuckleduster
08. Chubby Checker
09. How Many Days
10. Summer Love
11. All Is Dead To Me
12. Trinidad
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