Umberto / Helpless Spectator
[Thrill Jockey]

8.4 Note de l'auteur
8.4

Umberto - Helpless SpectatorC’est la révolution de palais chez l’ancien maître de la fausse BO horrifique Umberto : Matt Hill n’est plus tout seul et a ouvert les portes de son univers. L’homme vit désormais en couple et navigue en équipe. Ce premier album enregistré pour le compte de son nouveau label Thrill Jockey en est une illustration remarquable : l’artiste américain y intègre pour la première fois des instruments traditionnels et accueille sur cinq plages le multi-instrumentiste de Chicago Aaron Martin dont le maniement du banjo et du violoncelle vient enrichir la vision cinématique et nostalgique de l’artiste, en même temps que rénover de fond en comble son paysage mélodique.

Helpless Spectator est un album magnifique qui, après l’excellent Alienation, d’il y a trois ans maintenant, impose définitivement Umberto parmi les grands compositeurs de musique instrumentale de l’époque. Helpless Spectator permet à Matt Hill de renouer avec son passé au sein d’Expo 70, tout en explorant plus intensément les liaisons cachées, souterraines et secrètes entre la musique classique, les BOs de films, le rock atmosphérique ou psychédélique à la Tangerine Dream et le giallo des origines. Helpless Spectator semble sur son titre considérer la musique d’un point de vue révolutionnaire à l’échelle d’Umberto. Alors que sa musique s’intéressait jusqu’ici à ce qui se passait sur l’écran, donnant à voir des moments d’intensité dramatique, des cris et des frissons à travers des albums comme Night Has A Thousand Screams, le nouvel album invite dans un mouvement contraire à poser son regard sur le spectateur. Ce n’est plus ce dernier qui produit le point de vue mais le spectateur qui est observé dans l’attitude de passivité réceptive qui le caractérise. Au lieu de filmer l’écran, Umberto pose son regard sur le fauteuil et le public, dans un mouvement à la De Palma, qui non seulement renverse la perspective mais se heurte à un secret encore plus difficile à percer : que pense le spectateur ? Qui est-il ? Que peut-il face au déferlement de sensations et d’images ?

C’est à ce questionnement que tente de répondre le disque. Cela ne se traduit pas par un pensum théorique, même si le titre du disque est emprunté à un livre que l’artiste met en avant intitulé The Origin of Consciousness in The Breakdown of the Bicameral Mind d’un certain Julian Jaynes. L’idée est de démontrer que la conscience, contrairement à ce que l’on pourrait croire, est en capacité de prendre le contrôle du corps mais aussi que cette prise de contrôle, une fois perçue, est déjouée par autre chose et ouvre la voie à un « sans contrôle » qui n’appartient plus à personne. Il y aurait donc une troisième entité qui se niche quelque part entre la mécanique du corps et celle de l’esprit qui « produit de l’efffet ». S’agissant de musique instrumentale, on se contentera de toute façon d’écouter les propositions mélodiques qui en découlent et d’en apprécier l’extrême raffinement. Car c’est ce qui frappe ici, la délicatesse des arrangements, la subtilité des pièces qui sont plus chaudes, accueillantes et comme entourées de mille précautions.

Umberto prend son temps et travaille ses synthés de façon plus progressive. Cela donne des pièces incroyables de délicatesse et qui se présentent à nous comme des énigmes telles que les morceaux d’ouverture Hidden Thoughts et Leafless Tree. Les chansons taquinent ou dépassent presque toutes les cinq minutes, dans un souci de développer les motifs dans la sérénité et une temporalité ralentie. Cette orientation plus paisible n’enlève toutefois rien à la verve d’antan. Spontaneous Possession est un titre passionnant du début à la fin. Le motif séduisant de l’ouverture explose à mi-chemin dans un crescendo splendide qui fait penser à du Mogwai millimétré. Reflection installe un climat expérimental presque post-industriel avant de revenir à une forme de giallo robot et prog rock déroutant. L’originalité d’Umberto fait merveille dans sa manière de nouer des séquences inattendues entre elles, sans que les coutures soient apparentes. On se situe la plupart du temps dans un mid-tempo d’apparence un peu morne mais qui ouvre des dimensions en cascade laissant entrevoir une profondeur de champ extraordinaire. On ne peut que s’extasier sur la beauté phénoménale d’une pièce telle que Sadness, Happiness, Disgust and Surprise qui est peut-être la plus spectaculaire du disque. La structure est organique et classique, avant qu’une forme de contamination horrifique n’intervienne, là encore à mi-chemin. Le piano déraille et fait dévier le morceau, à lui seul, vers un monde étrange et dangereusement privé de repères. Le titre illustre à merveille cette reconversion technique d’un Umberto qui, au final, produit un même effet de dérangement des sens et de l’esprit, peut-être plus radical qu’avant, par d’autres biais et à travers l’affirmation troublante d’une voie classique inexplorée jusqu’alors. Absent Images est un titre également somptueux, délicat et triste comme un violon à l’agonie.

Umberto cède dans cette conversion un peu de l’originalité qui rendait sa musique reconnaissable entre mille. Il gagne en revanche une nouvelle direction qui s’annonce tout aussi passionnante et se tourne résolument vers l’exploration d’une intériorité jusqu’ici inatteignable, insoupçonnée et qui s’avère, à l’écoute de ce Helpless Spectator, aussi riche en tourments, en émotions et en frustrations que les motifs de surface d’hier. Moins spectaculaire peut-être mais plus séduisante et dense, plus près de l’âme et des forces obscures qui la composent, la musique relève le pari d’une rénovation qui augure d’un futur riche et infiniment excitant.

Tracklist
01. Hidden Thoughts
02. Leafless Tree
03. Spontaneous Possession
04. Reflection
05. The Higher Room
06. Sadness, Happiness, disgust and surprise
07. Absent Images
08. Arroyo
Ecouter Umberto - Helpless Spectator

Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
22, rev’là Sunflower Bean !
Dans la valse des sorties de saison, on a failli se laisser...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *