La couverture de l’album ne fait pas tout mais elle joue un sacré rôle dans la fascination qu’exerce sur nous d’emblée l’univers mis en musique par Ninja Cyborg. Les amateurs de notre chouchou Umberto seront à la fête tant le travail de Martin Antiphon et Marc Botté, duo pyrénéen à qui on doit un Night of The Cobra ep tout aussi recommandé, fait écho à celui du maître américain et par ricochet aux années synthétiques (les 80s) des films de SF cheap, de fantastique horrifique et de kung fu bricolo. The Sunny Road, le deuxième EP du duo, suit les pas imaginaires d’un ninja justicier aux prises avec ce qu’on imagine être des méchants qu’il dégomme au sabre, fuit lors de dangereuses poursuites en voiture avant de retrouver les siens (ou d’autres), têtes blondes et amoureuse aimante, sous un chêne centenaire. On croise des militaires imaginaires, idiots et belliqueux, des moustachus et surtout une gamme de synthé vintage qui donnent à ce magnifique essai un cachet remarquable.
La synthwave a beau être à la mode, elle aboutit à plus de mauvais disques qu’on ne pense. Il ne s’agit pas simplement d’aligner les machines de brocante et de les faire chanter comme à l’époque. Ninja Cyborg est moins électro qu’un Kavinsky et moins kitsch et toc que beaucoup d’artistes français de la mouvance, englués dans un second degré délétère. Le groupe réussit à capter, avec application, une certaine forme d’authenticité et à ressusciter l’ambiance mi-claustrophobe, mi-anarchiste de ces anciens films. L’ouverture, Supramount Pictures, est particulièrement efficace dans le genre depuis la présentation ronflante du studio jusqu’à un développement, The Sunny Road, d’à peine trois minutes qui porte une magnifique scène d’ouverture/d’action servie par un crescendo redoutable. A Walk With Jane est tout aussi réussi dans sa progression et semble venir tout droit des sessions secrètes de Prophecy of The Black Widow, l’album de 2014 d’Umberto. On n’est jamais bien loin de l’école italienne, la meilleure dans le genre, du génial Fabio Frizzi notamment.
Le groupe se paie une affreuse pièce chantée avec un SkyDiving aussi atroce que les chansons qui venaient ponctuer les scènes d’amour ou d’action fusionnelle de ces nanars là. Ninja Cyborg quitte progressivement le champ de la dark synth pour quelque chose de plus psychédélique et roublard sur un Masters of Fury plus opportuniste et à l’efficacité plus mécanique. On préfère de beaucoup lorsque les musiciens se la jouent en dedans et produisent des titres ambient et à la construction plus lente et progressive tels que Lightning, pièce remarquable et qui nous plonge (comme son nom ne l’indique pas) dans une nuit de cinéma, menaçante et anxiogène. C’est dans ce genre de constructions savantes que le groupe excelle en renonçant aux effets faciles et aux références trop explicites. PsychoPanic est bien dans le ton, tout en retenue et en effets contrariés jusqu’à un final criard qui constitue l’une des meilleures choses qu’on trouvera ici. Le générique de sortie, plus classique, agit comme le traditionnel trait de lumière qui propulse les héros rescapés vers un lendemain fait d’espoir et (sans doute) de menaces réitérées.
The Sunny Road est une belle réalisation et un mini-album plein de promesses qui ravira les nostalgiques de ces séances où l’on buvait entre amis dans le canapé après avoir été emprunter deux ou trois VHS au vidéo-club. Ce monde là n’existe plus mais il en reste des traces : quelques films difficiles à regarder en gardant son sérieux aujourd’hui mais surtout ces échos sonores et musicaux, ces souvenirs auditifs de frissons passés, érotiques et glacés de nos années adolescentes. Ninja Cyborg nous redonne ce goût là avec un savoir-faire et une science qu’il faut saluer et qu’on espère vite retrouver en long format.