Il y a ceux qui, d’abord, restent sur la réserve, évitent le moindre effleurement, fuient les regards, suspendent leurs phrases sans les achever, font languir l’autre jusqu’au jour où la passion les a consumés et qui se donnent alors corps et âme, avidement, goulument, sans retenue ni pudeur, oubliant toute langueur dans les derniers instants, dans un don de soi charnel.
Il y en a d’autres qui aguichent, plongent leur regard dans celui de l’autre au détour d’une confidence mutine puis passent à autre chose avec désinvolture, glissent un baiser dans le cou avant de s’éclipser, laissent leurs doigts courir sur l’épiderme. Ceux-là mêmes érigent le préliminaire au stade ultime, repoussant sans cesse l’abandon des corps. Pour eux, le désir prime sur la jouissance.
En musique, c’est un peu pareil. Certains ne laissent aucun signe avant-coureur jusqu’à exposer leur album d’une traite pour miser sur l’effet de surprise et créer le coup de foudre. A contrario, d’autres préfèrent préparer le terrain bien en amont, distillant les singles au fur et à mesure, pour mieux s’installer notre quotidien. Girl In Red est de ceux-là.
Au moment de découvrir enfin son premier album, on connait déjà cinq des onze chansons qui constituent If I Could Make It Go Quiet (AWAL). En premier lieu, on a déjà usé et abusé de Midnight Love que la jeune Norvégienne a divulgué depuis de longues semaines. Avec sa construction progressiste, la chanson chavire les âmes sensibles, comprime le cœur et délie les poings serrés. Elle a tout d’un classique de pop à guitares.
On oublierait presque que Marie Ulven n’est encore qu’une toute jeune femme à peine sortie de sa chambre (22 ans et des rêves encore plein la tête), tant ses propos sont forts, crus et pertinents. Plus d’un l’a déjà érigé en « queen queer » parce qu’elle assume ses choix avec l’assurance de ceux qui ont déjà vécu plusieurs vies. Bien évidemment quand elle s’éloigne des indie-songs comme son dernier single en date (You Stupid Beach) taillé pour les college radios américaines, pour injecter des touches de r’n’b’ sur Serotonin qui ouvre l’album ou Body And Mind sur lequel elle se prend pour une diva girl-power, on est un peu paumé. Ça part dans tous les sens et manifestement, c’est avec un appétit jubilatoire qu’elle n’a pas voulu choisir à l’heure de son premier album. En effet, dans la foulée, elle baisse la garde et se met à poil pour exposer ses espoirs et ses doutes (Rue). De là, elle s’enfonce progressivement dans ses doutes intimes, tout en montrant l’étendue de son spectre vocal, du murmure à l’envolée puissante. Il n’y a pas l’ombre d’un doute, c’est sur ce terrain pop qu’on la préfère, comme I’ll Call You Mine, love song survitaminée qui emporte tout sur son passage.
Éminemment contemporain, If I Could Make It Go Quiet profite de l’exaltation dont son auteur fait preuve, tout autant qu’il le subit. Girl In Red y brasse les inspirations et aspirations qui parviennent à filtrer jusqu’à son cocon d’adulescente en voie d’émancipation. Œuvre de jeunesse d’une grande intensité, l’album est l’expression d’une jeune femme qui expose ses doutes à l’âcreté du monde qui l’entoure. C’est à la fois passionnant et attachant, déroutant et réconfortant.