Peter Perrett / How The West Was Won
[Domino Records]

7.9 Note de l'auteur
7.9

Peter Perrett - How The West Was Won

Cela faisait une vingtaine d’années qu’on attendait tranquillement le retour de Peter Perrett. Woke Up Sticky reste, après tout ce temps, l’un de nos albums préférés et réécouter ad lib les trois albums de The Only Ones et leurs déclinaisons (on recommandera un double cd immortel de Peel Sessions), nous aura bien occupé. On avait assisté les larmes aux yeux à la reformation de The Only Ones à la Brixton Academy avant de se désespérer que l’album de reformation annoncé alors n’ait jamais vu le jour. Finalement, ces vingt années auront passé vite. On imagine que la vie de Peter Perrett elle-même se sera écoulée devant ses propres yeux comme si elle n’avait jamais eu lieu. On a écrit des pages et des pages sur sa foutue légende noire. Ce que raconte sa biographie est à la fois fascinant pour les amateurs de rock et terrifiant. Perrett a passé des décennies dans la même pièce, à se shooter et à survivre. Il est ressorti de manière épisodique d’un semi-coma narcotique pour composer quelques chansons et amorcer des retours avortés. Après quatre années d’abstinence, l’homme a récupéré forme humaine et une partie de son ancienne beauté. Sa voix a été retravaillée pour récupérer un peu de souffle et de puissance. Ses premiers concerts réclamaient une prise d’oxygène entre les chansons. Peter Perrett a désormais 65 ans et trois mois.

Tenir un nouvel album entre les mains (et les oreilles) est en soi un petit miracle. Qu’il soit aussi bon que l’est How The West Was Won est moins surprenant. Peter Perrett a composé des chansons incroyables et qui figurent parmi les meilleures productions du post-punk. Les années 1978-80 ont été ses meilleures et ses plus prolifiques. Ses quelques sorties ces trente-cinq dernières années ont toujours été impressionnantes, comme si la vie qu’il menait et son entreprise d’auto-destruction massive n’avaient jamais eu de prise sur sa capacité à composer. How The West Was Won confirme ses incroyables talents de compositeur, de chanteur et de parolier. Accompagné par un groupe solide et plus sérieux qu’inspiré (mené par ses deux fils), Perrett revient avec une série de titres remarquables et très proches de ce qu’il faisait par le passé. Le rythme est souvent un peu ralenti. Le chant décliné dans un parlé/chanté qui lui donne de faux airs de Lou Reed nasillard ou de Dylan est souverain. La production a fait un travail impeccable et fait sonner l’ensemble à la manière des Only Ones, c’est-à-dire dans un registre rock classique « à guitares » qui caractérisait le groupe. Ni punk, ni rock, l’ancien groupe de Perrett, emmené par le prodige John Perry (qui manque un peu ici), jouait trop bien pour l’époque, ce qui lui donnait une allure de vieux machin académique face à la concurrence. Ce côté vieillot n’a pas disparu mais passe aujourd’hui pour de la classe et du classicisme.

L’album démarre avec une histoire de l’Amérique somptueuse, How The West Was Won, vaguement pompée mélodiquement sur le Sweet Jane de Lou Reed. C’est un titre impressionnant et dont le texte devrait s’enseigner dans les écoles de songwriting. Pour un retour, difficile de faire plus réussi. Le titre fait 4 minutes trente mais on aurait pu le suivre encore pendant des siècles. Peter Perrett ne fera qu’assez peu de commentaire social sur cet album. L’homme parle comme toujours de ses émotions, de ce qu’il vit, de son histoire d’amour éternelle avec son épouse Zena. L’amour et sa propre vie sont les deux grands thèmes de l’album. An Epic Story fait partie des chansons qui évoquent sa relation romantique avec la mère de ses enfants. C’est une chanson merveilleuse sur laquelle Perrett retrouve la dynamique de ses meilleurs morceaux. Son chant est vif, fluide et énergique. Les guitares filiales servent à merveille la romance familiale et on se régale à un train de sénateur. Le lugubre Hard To Say No, ironiquement servi par des cœurs shalala, dresse une carte du tendre nonchalante et désabusée. « Some people are lovers. Some are dreamers. Some relie on impulse. Some are writers. Some avid readers…. Sometimes i find it hard to say no. You cant please everyone before you go », analyse Perrett. How The West Was Won est chanté par un homme qui se tient entre la vie et la mort. Les chansons sont prononcées depuis le bord de l’abîme. On ne sait pas si Perrett s’en est définitivement échappé ou s’il devra y retomber dans quelques mois ou quelques années. Le type est plus un revenant qu’un mort-vivant. Il sait qu’il n’est que de passage et c’est cette position si particulière qui donne toute sa force à l’album. On imagine que l’homme a vu des choses affreuses et s’est approché des centaines de fois de sa propre mort. C’est cette science supposée qui rende chacun de ses réflexions philosophiques si dense, son humanité aussi précieuse qu’elle est précaire.

Tous les titres ne sont pas aussi forts que les trois premiers et dire que How The West Was Won est un chef d’œuvre serait faire peu de cas des réalisations précédentes du bonhomme. C’est un album remarquable et digne, passionnant et magnifique, émouvant et à bien des égards d’une justesse émotionnelle bouleversante. Mais tout n’est pas merveilleux. Troika est élégant mais un peu poussif. Perrett y raconte, du point de vue de sa femme (quel pervers!), comment il lui a proposé à la fin des années 70 de vivre en trio avec une autre de ses conquêtes. Living In My Head est plus intéressant que réellement réussi. Perrett y déploie sur plus de six minutes un paysage fascinant en forme de résumé onirique de ses années d’addiction. C’est long et terrifiant, secoué par les seules vraies audaces de guitares de cet album. La chanson est plus ambitieuse que marquante. Perrett est finalement plus à l’aise dans ce qu’il a toujours fait de mieux : la chanson de 3 minutes. Man of Extremes est extraordinaire d’efficacité et de pertinence.  Le titre est beau, tenu, équilibré, sensible et simple comme l’air. Sweet Endeavour travaille dans ce registre et est presque tout aussi réussi. C’est un morceau de moyenne gamme à l’échelle de ce que Peter a fait de mieux. How The West Was Won bénéficie d’un final plutôt grandiose. On retrouve avec un bonheur infini le C Voyeurger qui avait été joué pendant la tournée de reformation de The Only Ones. Ce morceau est somptueux et parmi les meilleurs jamais composés par Perrett. C’est un morceau contemplatif et ample, un morceau élégant et qui élève l’auditeur à des hauteurs insoupçonnées. L’absence de refrain et de mélodie emballante en fait une exception dans le canon de Perrett mais il ne faut pas s’y tromper : c’est une chanson incroyable, captée avec la plus grande attention ici. Something in My Brain et Take Me Home viennent couronner le tout. Le premier est un récit à peine allégorique où l’on parle drogue et autodestruction. Comme lorsqu’il chantait Another Girl, Another Planet, Perrett entretient toujours une ambiguïté vis à vis de sa consommation de stupéfiants, incapable de condamner complètement ce qui a fait l’essentiel de sa vie pendant des décennies. Le dernier morceau qui sonne comme un morceau de conclusion (à tout ce qui vit et vivra après) est d’une force redoutable. Il tirera les larmes de tous ceux qui ont aimé Perrett par le passé. Le chanteur parle de sa famille, de sa vie, de ses échecs. C’est son My Way post-punk, son grand œuvre monté en un peu plus de quatre minutes. Le Take Me Home renvoie à la maison familiale qu’il a transformée des années durant en capharnaüm drogué, renvoie bien évidemment aussi à l’Outre Tombe, qui est sa destination et sa vraie maison depuis tout ce temps. Il y a un côté morbide à hanter ses périmètres, un côté malsain probablement à idolâtrer un tel type. Mais Peter Perrett est un héros. Ce morceau bâtit son mausolée. C’est un morceau beau à se damner, beau à le damner. Un morceau qui justifie son sacrifice et sa résurrection.

How The West Was Won doit être écouté autant pour les chansons qu’il embarque que pour la vie dont il rend compte. On ne doute pas qu’il fera découvrir le personnage à quelques curieux qui ne le connaissaient pas. Il s’adresse surtout (et très probablement) à des gens qui le tenaient depuis longtemps en très haute estime et qui seront enchantés de le retrouver vivant. Il y a une vie après la mort. Et peut-être bien une vie avant elle. Aussi pourrie soit-elle, on finit toujours par s’y attacher ou y trouver son compte.

Tracklist
1. How The West Was Won
2. An Epic Story
3. Hard To Say No
4. Troïka
5. Living In My Head
6. Man of Extremes
7. Sweet Endeavour
8. C Voyeurger
9. Something In My Brain
10. Take Me Home
Ecouter Peter Perrett - How The West Was Won

Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Les Canadiennes de Mayfly fascinent avec leur Black Water
Plus qu’une belle entrée en matière, c’est une petite révélation que ce...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *