Peter Perrett / The Cleansing
[Domino]

9 Note de l'auteur
9

Peter Perrett - The Cleansing

L’accueil critique réservé à ce quatrième album solo de Peter Perrett (e72 ans) est à la hauteur du talent du bonhomme et peut-être même de nature à lui faire envisager avec effroi de retourner dans le trou noir qu’il a hanté pendant au moins deux décennies (le terrifiant Back In The Hole). On se souvient lors de la première reformation de The Only Ones en 2008 au Shepherd’s Bush de Londres à quel point il nous était apparu fragile et sur le fil. Perrett semble depuis s’être éloigné suffisamment des drogues et de leurs conséquences (sur son souffle notamment) pour connaître enfin un âge d’or. How The West Was Won en 2017 puis Humanworld deux ans plus tard, disques tous les deux accompagnés de tournées, ont amorcé une reconquête artistique tout à fait immorale (Perrett n’a jamais renié ses années noires, fait l’apologie du ménage à trois et n’a jamais été réputé pour être un type bien) que ce The Cleansing prolonge de manière amplifiée (20 morceaux) et remarquable de bout en bout. A ses deux fils qui l’entourent depuis son retour, Perrett a ajouté, pour ce disque, quelques consultants de luxe qui disent aussi l’ampleur de sa réhabilitation et sa cote critique chez les stars du rock : Bobby Gillespie de Primal Scream, même s’il s’entend assez peu, est présent sur une petite moitié des morceaux, Johnny Marr joue de la guitare sur deux titres. Le guitariste des Fontaines DC, Carlos O’Connell, vient lui aussi très souvent à l’appui du maître de cérémonie (qui, en matière de guitare, n’a en réalité pas besoin de grand monde), tandis que Jim Sclavunos des Bad Seeds fait une apparition. Ce casting VIP pèse assez peu sur le disque qui est tout entier occupé par la présence d’un Peter Perrett décidé, sans doute, à déposer à nos pieds son grand œuvre (?) avant d’en finir. On peut citer ainsi Solitary Confinement, qui accueille Gillespie/Marr et Sclavunos mais est essentiellement joué à la guitare acoustique, comme une jolie chanson confessionnelle de boyscout à la mélodie pompée sur le bien plus fringant et rigolo Why Dont You Kill Yourself de The Only Ones. On prendra d’ailleurs gare de ne pas s’emballer en faisant la louange du disque qui reste souvent bien en deçà en termes de dynamique et d’allant de la moindre des productions de l’ancien groupe de Perrett. On pourra aller vérifier ça en réécoutant ce live à Chicago enregistré en 1979 dont on avait causé à sa sortie : Perret a du mal à rivaliser avec son double flamboyant de l’époque de même que John Perry à la guitare est inégalable. Alan Mair et Mike Kellie avaient également un rôle décisif dans l’édifice. On n’oubliera pas non plus que le meilleur disque solo de Perrett est sûrement le premier, Woke Up Sticky, sorti en 1996 et dont on avait causé avec Richard Vernon l’un de ses artisans.

Ceci étant précisé, il n’en reste pas moins que The Cleansing est un disque impressionnant par la qualité des compositions, par leur nombre évidemment, et la variété des thèmes que cela permet à Perrett d’aborder. Le Londonien choisit d’entrer dans son disque mausolée par la voix dynamique sur un I Wanna Go With Dignity qui rappelle brillamment la vivacité d’engagement de son ancien groupe. C’est foutrement efficace, entêtant et juste assez répétitif pour que Perrett fasse traîner sa voix sur le refrain et contourne la facilité. Le ton est distant, légèrement hautain à la Lou Reed et la description clinique et dérangeante. On pourra mesurer tout du long à quel point cette posture est cultivée avec bonheur par un Perrett dont l’écriture précise, inspirée, souvent ironique et comique, fait merveille ici. Disinfectant parle une nouvelle fois de l’arrivée de sa maîtresse dans sa vie et du pouvoir « désinfectant » de l’amour sur la douleur d’être au monde. The Cleansing qu’on pourrait traduire comme le Grand Ménage ou le Nettoyage de Printemps, n’a rien à voir avec un exercice de repentir ou une demande de pardon. Le sublime Fountain Of You est d’une ambiguïté totale (à l’image du hit du groupe Another Girl, Another Planet) quant à savoir si on parle d’amour ou d’un bon shoot (« it’s time to roll up your sleeves/…/ it’s what i live for »). Au soir de sa vie, Perrett est toujours aussi déterminé à soutenir son propre passé et à ne pas considérer qu’avoir consacré ses meilleures années à se shooter était une erreur radicale. Alors que la fascinante et un brin désolée All That Time laisse penser qu’il y aurait eu mieux à faire (« all that time i thought I was having fun/it can never be replaced/ all those memories gone to waste »), la souffrance qu’on cherche à faire taire autorise toutes les errances. Le Crystal Clear qui referme le disque est lui-même tout sauf clair et se referme sur une métaphore chargée de regret : « it’s crystal clear, it’s crystal clear/ The chamber is full, but they keep feeding you ammunition ».

Tout ou presque est bon ici et surtout follement intéressant et formidablement bien écrit. Perrett a toujours eu la réputation d’être un être froid, insensible et assez peu sentimental. Cette supériorité qu’il a développée sur les autres et ses propres émotions a bien sûr été renforcée par son addiction, mais transparaît, à plus de soixante dix ans, dans ses approches qui restent plus cliniques et narquoises qu’à la recherche d’une « morale » ou de leçons à tirer. En refusant de « conclure » et d’enseigner, Perrett réussit à conserver intacte sa figure d’ange noir à la fois inquiétant et resplendissant. On se marre avec lui sur l’iconoclaste et presque surréaliste Secret Taliban Wife et on ne peut que valider le constat qu’il véhicule, de titre en titre, d’un être humain, foutu et accablé par la vie, que personne ne vient jamais soustraire à son triste sort. Toutes les opérations de sauvetage échouent et on finit toujours tout seul et abandonné. L’autre peut nous aider, nous enthousiasmer pendant une petite période de temps… et puis cela passe et on revient au point de départ. C’est cette philosophie pessimiste qui domine et s’exprime aussi bien sur Solitary Confinement, chanson presque ridiculisée par l’usage de ses (propres) chœurs, que sur le suicidaire Do Not Resuscitate, autre titre étrange qui met en cause la thèse qui voudrait que ses trois albums récents aient représenté une « nouvelle vie » pour lui. Est-ce qu’un tel type peut être heureux ? Est-ce qu’il fait autre chose que nous donner ce qu’on est venu chercher ? En corrupteur de la jeunesse (sur l’électro Women Gone Bad) ou en pêcheur qui ne sait rien sur rien (The Cleansing ou Survival Mode), Perrett a de faux airs d’un Dom Juan qui en appelle à Dieu pour savoir ce qu’il mérite vraiment et poursuit son art coûte que coûte (Art Is A Disease).

The Cleansing, contrairement à ce que son titre exprime, n’a rien d’un grand déballage et encore moins d’une entreprise de purification de l’âme et du corps. Ce n’est pas le disque d’un type qui vient présenter ce qu’il a retenu de la vie, mais plutôt la mise en avant esthétique et consciente « à des fins artistiques » de bribes décousues d’introspection qui émanent d’un sceptique ou d’un agnostique jamais repenti et qui, à sa manière, continue de se délecter de sa propre noirceur et de sa propre insensibilité. Qu’on lui prête une intention autre que celle de chanter et de se mettre en scène comme il l’a toujours fait est un contre-sens complet. Peter Perrett est une machine à fabriquer des chansons cruelles et émouvantes. Il n’a jamais été question pour lui de devenir un type respectable, un bon père ou un oncle sympathique. Un (beau) monstre d’égoïsme/érotisme et un prédateur redoutable. « It’s like every song I ever wrote’s about you/ eshghe man », tente-t-il de nous entourlouper une dernière fois sur Mixed Up Confucius. C’est dans ce rôle du séducteur, du diable et du menteur qu’il est le meilleur. Mais quel disque !

Tracklist
01. I Wanna Go With Dignity
02. Disinfectant
03. Fountain Of You
04. Secret Taliban Wife
05. Solitary Confinement
06. Women Gone Bad
07. Survival Mode
08. Mixed Up Confucius
09. Do Not Resuscitate
10. The Cleansing
11. All That Time
12. Kill A Franco Spy
13. Set The House On Fire
14. Feast For Sore Eyes
15. There For You
16. Art Is A Disease
17. World In Chains
18. Back In The Hole
19. Less Than Nothing
20. Crystal Clear
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