Philip Goth : la profonde mélancolie de l’homme ordinaire

Philip Goth
Crédit : Wyndham Garnett

Si vous n’achetez qu’un disque sur Bandcamp cette année, faites que ce soit celui-ci. En 30 ans de critiques rock, on n’a été l’objet d’un tel choc à l’écoute d’un artiste nouveau et totalement inconnu qu’à 4 ou 5 reprises. L’une d’elle a été quand on a entendu pour la première fois Daniel Johnston à la radio. C’était l’album Hi, How Are You, il y a une éternité. Une autre était quand notre copain de dortoir a ramené le premier album de Nirvana dans la chambre. Tout le monde s’est tu pendant un long moment. C’était un sacré bordel. On a pensé en découvrant l’impressionnant disque de Philip Goth que ces deux là n’étaient pas très loin et qu’un démon capitaliste avait enchaîné l’âme poétique et torturée d’un vieux punk à une guitare et un synthé, puis l’avait soufflée dans le corps d’un Américain moyen de trente-cinq balais. Vous saisissez l’idée ? Ce disque est une révélation et une œuvre qui contient tout un monde. Il est sombre comme la mort et plus humain qu’humain, plus émouvant et sensible que tout ce qu’on a pu écouter ces dix dernières années. Philip Goth est fragile et puissant, intense, profond et élevé à la fois, virtuose et maladroit, déprimant et stimulant. C’est un disque nourri par la culpabilité et le dégoût qu’on éprouve parfois contre soi-même après une journée merdique. Il sonne aussi comme un jour lumineux passé à jouer avec les enfants. Philip Goth chante comme ce gars un peu fou qui te regarde dans les yeux quand tu te rends au travail. Le dingo ordinaire.

English version below.

N’ayez pas peur. Ce n’est pas une publicité. Juste de la musique. Écoutez la voix de Philip Goth, si vous avez l’occasion. Faites le pour de vrai et vous ne le regretterez pas. On ne fait pas partie de son équipe marketing. On n’est pas associé aux profits. Possible que ce soit lui l’album de l’année. On verra cela plus tard. Interview découverte.

Vous vous appelez Josh Rawson. Vous étiez membre pendant dix ans d’un groupe qu’on connaît mal en Europe et qui s’appelle The Felice Brothers. C’est un groupe qui a joué notamment autour de 2010 avec le Dave Matthews Band. Un groupe intéressant, qui est un peu plus qu’un simple groupe folk. Quand avez-vous intégré ce groupe et quelle était votre place en son sein ? 

Je venais de décrocher mon diplôme et je sortais du lycée. J’étais un loser complet. Je n’avais ni ambition, ni envie de quoi que ce soir, ni espoir. Mes amis ont commencé ce groupe et ils m’ont dit que je jouerais de la basse. Alors c’est ce que j’ai fait.

Vous étiez jeune. Vous venez de quel genre de milieu ? Vous habitez New York maintenant. Vous êtes de ce coin là ?

J’ai toujours vécu à Upstate New York, au Nord de la ville. J’ai grandi à Highland, juste de l’autre côté de la rivière Poughkeepsie. Mais j’ai pas mal circulé.

Comment vous êtes vous intéressé à la musique ? C’était une affaire de famille ?

Mon père était musicien. Il composait des jingles pour les vendeurs d’automobiles.

Vous étiez quel genre d’adolescent ? Et quelle musique vous écoutiez à l’époque ? Vous citez assez souvent le rap dans le disque.

J’ai toujours écouté beaucoup de rap. Wu Tang Clan. Bone Thugs N’ Harmony. Redman. Outkast, DMX. Tout ce qui passait sur les radios rock alternatives à l’époque. Et bien sûr Nirvana. Et la musique punk un peu plus tard : les Clash, les Replacements, les Misfits. Vers l’âge de 15 ans, je me suis plongé dans Neil Young et Leonard Cohen et aussi Dylan, ce genre de machins là. La musique à ce moment là était à peu près tout ce que j’avais.

(avec les Felice Brothers – Josh Rawson à la basse à droite du chanteur, sur l’image)

Vous avez quitté les Felice Brothers il y a plusieurs années. Qu’est-ce que vous avez fait depuis ? J’ai lu que vous viviez de petits boulots, du jardinage, etc. Est-ce que votre idée c’était d’évoluer en solo et de voler de vos propres ailes ou vous vouliez juste vous reposer après des années de tournées incessantes ?

Je suis parti du groupe dans l’idée d’enregistrer un album solo. J’avais une idée assez précise du genre de musique et de groupe que je voulais faire et avoir, de la façon dont je voulais que ça sonne, sur le plan esthétique. Je voulais vraiment aller au bout du bout de la manière dont j’écrivais les chansons jusqu’à présent, en allant sur de nouveaux terrains. Mais ça m’a pris beaucoup plus longtemps que prévu et je n’avais pas un rond et, pour dire la chose, j’étais complètement à l’Ouest dans ma vie et dans ma tête. J’ai été dans ce groupe pendant tellement longtemps que mon CV ressemblait à celui d’un gars qui avait passé 11 ans en prison. J’ai passé des dizaines d’entretiens d’embauche qui étaient carrément cauchemardesques pour cette raison. J’ai dû lutter sévère. J’ai décroché des boulots bizarres : j’ai fait concierge, coursier, livreur, des boulots comme ça. J’ai travaillé dans une ferme. Repeint des clôtures. Envoyé des mails commerciaux à la chaîne. Je n’ai pas vraiment cessé pendant tout ce temps d’écrire des chansons et d’essayer d’enregistrer mais j’avais besoin de payer ce foutu loyer. Je n’ai jamais compris comment gagner de l’argent. Je dois être allergique à ça. En ce moment, je suis jardinier paysagiste. J’enlève les mauvaises herbes, je tonds les pelouses, je me débarrasse du mulch, je souffle les feuilles mortes. Mais ça valait ça. Le disque existe.

Serpico et Ashbery au bar à salades

A quoi ressemble votre vie en ce moment ? Vous viviez seul à New York ? Quand on écoute votre disque, on a l’impression d’un gars qui passe son temps à observer et à mater les gens, planqué dans un coin, comme un ermite romantique et baudelairien sur les bords. Mais peut-être est-ce que je me goure et que vous passez votre temps à faire la fête avec des mannequins en vous droguant…

Je vis avec la mère de mon enfant et celui-ci dans une petite maison dans la ville de Philmont. Non, je ne fais pas la fête avec des mannequins. Le truc le plus fou que je fais maintenant, c’est de fumer une cigarette magique sur le bas-côté de la route après le boulot. Il y a des moments où ça peut aider d’avoir un objectif en vue pour avancer dans la vie. Mais je ne fais même plus ça, je n’en ai plus besoin. D’un autre côté, oui, toutes les choses que je raconte et ce que vous dites : ça m’est vraiment arrivé.

Parlons du disque maintenant. Ca démarre ainsi : « singing is really embarrassing but i’d do anything for laugh. » Ca donne le ton. Ca fait partie des meilleures entames que j’ai entendues depuis des années. C’est une chanson sur la mort et le tragique. De l’humour noir, c’est ça ?  Et puis il y a cette image de l’inspecteur Serpico qui traverse la rue devant nous avec une canne pour s’engouffrer dans une voiture de sport. Ca vient d’où cette image ?

J’ai vraiment vu Serpico au bar à salades de l’épicerie. Il s’appuyait sur un gros bâton de marche. Et il avait cette aura qui rayonnait autour de lui. J’avais l’impression qu’il était fait de cristal. Il en avait partout sur lui. Une quinzaine au moins. Des cristaux qui étaient si puissants et qui irradiaient tout autour, beaucoup plus nombreux que je n’avais l’habitude d’en voir. Et je savais que c’était vraiment ce que je voyais, que cela se produisait vraiment et que cela allait devenir le titre de la première chanson du disque.

Philip Goth - You Don't Know What I've Been Through, BroDans le même morceau, vous faites référence au poète John Ashbery qui, en plus d’être un merveilleux poète, était l’un des artistes les plus secrets (et accessoirement homo) de New York. Votre narrateur est aussi discret qu’un fantôme. Le gars qui regarde mais ne participe pas. C’est dans votre nature, d’observer ? L’art vient de cela ?

Je ne veux pas rentrer dans le détail des textes parce que c’est à vous de trouver à quoi ils vous font penser. C’est ce qui est amusant. Les gens s’y glissent et interagissent avec le texte pour y insuffler ce qu’ils veulent. Mes textes sont construits comme des mystères miniatures. Mon but est de vous faire ressentir les choses. Mais je ne me la raconte pas artiste. L’hermétisme, tout ça. En fait, j’ai juste vu John Ashbery dans la même épicerie que Serpico. C’est ma vie ça. Je ne suis pas observateur pour deux sous. Je suis un mec débile.

Le disque est impressionnant. Les textes sont incroyables. Vous mettez sur la table des histoires ultraréalistes et effrayantes qui m’ont fait penser à Lou Reed, pour la précision, la force et ce regard d’outsider sur lequel repose le point de vue. Vous les chantez en revanche d’une manière fragile et en mode lo-fi, ce qui nous ramène plutôt vers des types comme Daniel Johnson ou Daniel Treacy des TVPS.

Daniel Johnston est mon héros absolu. Des choses comme Hi, How Are You ? et Songs of pain ont agi comme des fenêtres sur des mondes alternatifs pour moi. En les écoutant, j’avais le sentiment de nager à l’intérieur des yeux de Daniel. Ces disques étaient l’étalon auquel je me mesurais quand j’écrivais. Littéralement le mot « outsider » m’a donné de la force quand je l’ai découvert comme mot. Avant que je fasse et assemble cet album, les gens qui entendaient mes chansons ne les aimaient pas vraiment. Il n’y avait pas de mélodie. Je ne sais pas chanter et mes chansons étaient trop bizarres. Ce mot et ce statut d’outsider, parce qu’il existait, m’ont autorisé à me laisser aller et à m’exprimer comme celui que j’étais. C’est à ce moment là que j’ai commencé à me sentir bien dans la peau de celui que j’étais.

Comment voyez-vous New York aujourd’hui ? On est assez loin de la vision touristique d’une ville moderne, riche, blanche et opulente ?

Je ne répondrai qu’en parlant du Nord de la ville. Il y a plein de millionnaires qui débarquent et qui achètent des maisons dans le coin en ce moment, pour en faire leur résidence secondaire après le covid. Je n’ai plus les moyens maintenant de vivre dans cette partie de la ville. Je vais devoir déménager. Les seuls boulots qui existeront demain pour des types comme moi consisteront à servir les besoins de ces riches répugnants. On aura le choix entre souffler leurs feuilles comme je fais, peindre leurs baraques, installer des toilettes ou leur servir de la bière et des pizzas. Heureusement, la classe des serviteurs et des employés vivra peu longtemps en raison du cancer du poumon et du diabète. Avec un peu de bol, on pourra trouver notre bonheur en matant Too Hot To Handle sur netflix (Séduction Haute tension – une sorte d’Ile de la Tentation). Mais l’automne rattrape les choses ici : c’est ce qui peut arriver de mieux au Nord de New York. Les premières neiges sont magiques également. Il faudra qu’on me coupe la tête avant que je parte de ce coin. Ou je vivrai dans une tente.

Est-ce que vous avez travaillé seul sur tous les titres ? A la maison ? Cela ressemble à une approche lo-fi mais si l’on y regarde de plus près, il y a un gros travail de production sur la musicalité, les synthés, la programmation qui amène beaucoup d’amplitude et de la respiration au disque. Si on prend Creeps Everywhere par exemple, c’est une chanson qui évolue beaucoup et qui semble complexe avec des effets sur les guitares et les percussions.

Il y a eu deux ou trois contributions d’autres musiciens mais l’essentiel a été joué et travaillé en solo. Assis dans une chambre comme un gland. A faire et refaire jusqu’à ce que ça soit satisfaisant. Creeps a effectivement une chanson difficile à mettre en boîte. Là encore, c’était juste moi, assis dans une pièce. Et je peux vous dire que c’est rudement difficile parfois. J’ai enregistré tant et tant de versions de ces chansons.

Il y a 11 morceaux sur le disque. Est-ce que vous aviez beaucoup d’autres choses en stock ? Comment est-ce que vous écrivez d’ailleurs ? Comment ça fonctionne pour vous ?

J’avais écrit l’équivalent d’un album entier avant d’en venir à ces chansons qui sont sur le disque. Probablement quelque chose comme douze autres morceaux. J’étais en recherche de quelque chose et la plupart du temps, ça ne fonctionnait pas. En fait, je crois que j’étais obligé d’en passer par là, par ces chansons là pour en arriver où je voulais aller. Il ne faut pas craindre de faire des trucs merdiques. Tu dois atteindre le moment où tu n’as plus peur de rien. Je ferai tout ce qu’il faut pour accoucher d’une chanson. Parfois j’ai juste un accord en tête. D’autres fois, un roulement de batterie. Je suis vraiment un vrai crevard qui a besoin d’écrire et de démarrer par quelque chose. J’accélère des samples de Mariah Carey. Je me promène. J’écris des trucs à l’ancienne, avec un crayon dans un calepin. Tout ce qui marche à un moment donné, je m’en empare. Ma seule règle c’est qu’il faut que cela soit excitant. Il faut que je ressente de l’excitation pour ce que je fais pour que ça fonctionne et que j’aille au bout. S’il n’y a pas suffisamment d’énergie à l’œuvre, j’envoie tout bouler et je m’y remets. C’est pas tellement que je recherche le truc qui fera que la chanson est devenue assez bonne. Je veux que ce soit si fort pour qu’à chaque moment j’ai l’impression de tomber du haut d’un arbre.

Votre écriture est très littéraire avec de fortes connotations sociales. En France, quand on évoque la chanson américaine qui évolue dans ce registre, on pense généralement à des gens comme Dylan, Springsteen et Neil Young. Est-ce que votre écriture s’inspire de cette veine ou plutôt des écrivains des années 70, de la Beat Generation et de ses poètes ? Il y a aussi une référence à Shakespeare sur Raptor Feathers qui est une très belle chanson pop, peut-être la plus douce et caressante du disque.

Je me sens proche de Daniel Johnston. J’ai découvert sur le tard David Berman des Silver Jews. Un ami m’a dit que je lui ressemblais et quand j’ai écouté pour la première fois ce qu’il faisait j’ai eu l’impression que je faisais la connaissance de mon grand frère caché. J’ai toujours considéré que Kurt Cobain était intouchable et une forme de perfection. Je ne pourrai jamais écrire de façon aussi magique et belle que lui. Je l’ai idolâtré. Kim Deal. John Waters. Prince. Aphex Twin. Je suis qu’après 34 ans passées à entendre du Dylan, du Springsteen, du Neil Young chaque jour, mon cerveau a du se changer en bouillasse. Mais je n’ai jamais vraiment rêvé à avoir ma tronche en grand sur un musée de la guitare. Ces mecs font des chansons à leur image. Elles le sont toutes. Jonathan Richman fait un peu plus que ça. Je m’identifiais plus à un gars comme ça. Ou alors plutôt à un gars qui était assis à côté de Jonathan Richman dans le métro.

Daniel Johnston et David Berman font de la Pole Dance à leur enterrement

Vos chansons sont toutes très sombres. Prenons par exemple Pole Dancing 4 Funerals. Ça parle de suicide, de drogues et de stress traumatique. Quelle est votre proximité avec ces sujets ? Est-ce que ce sont des choses qui vous ont occupé, des histoires que vous avez croisées ou vécues ?

Toutes ces choses me sont arrivées.

J’ai été très impressionné par la manière dont vous abordez des thèmes comme la folie, les antidépresseurs, les troubles de l’esprit. Cela ressemble un peu à du Daniel Johnston mais avec sans la naïveté et le côté innocent, comme si vous regardiez tout cela en souriant, comme si cela n’avait pas d’importance. Il y a une distance entre ce que vous chantez et la façon dont l’interprétez. Un type distant mais qui est en même temps complètement impliqué dans la vie quotidienne…

Ça roule. Vous avez complètement raison. Parfait. Bien dit. Je m’en tiens là !

On a pas encore parlé de votre nom de groupe. Philip Goth. C’est cool comme nom. C’est en rapport avec l’écrivain Philip Roth ? Une référence à la musique gothique. Du folk morbide ?

Pour moi, c’est un nom de groupe mais je suis la seule personne que j’ai réussi à convaincre de me rejoindre. Je ne suis pas Philip Goth comme David Bowie est David Bowie. C’est plus comme… Steely Dan sauf que je n’ai même pas un ami un peu bizarre qui peut se tenir à côté de moi. Je sais que certaines personnes peuvent trouver ça étrange mais c’est comme ça. De toute façon, les gens sont gênés par plein de choses. Mes noms de groupes préférés sont, comme je l’ai dit, Steely Dan et Pink Floyd et Black Flag. Les trois sont comme de petites énigmes qui renferment un monde entier. Ils peuvent vouloir dire ce qu’on veut. Philip Goth m’est venu il y a une dizaine d’années pendant que je me baladais. Ce n’est pas en rapport avec Philip Roth, c’est juste un truc qui sonne bien. Mon vrai nom Josh Rawson te fera plutôt penser à un gars qui te sert le café dans un bistrot avec un scone sans gluten. Philip Goth sonne plutôt comme un machin que tu pourrais voir gravé sur un bureau au lycée ou tatoué sur l’épaule d’un étranger dans un rade dégueu.

J’aime bien le vers « i never cry but if i did i’d never stop » sur Vacation in Newburgh. Vous avez pleuré pour quoi la dernière fois ? Etait-ce de joie ou de douleur ?

La petite sœur de ma copine m’a passé l’enregistrement qu’elle avait fait de Dream A Little Dream of Me. Je crois que je me suis mis à pleurer dès que j’ai entendu les premiers mots. Je suis complètement parti en vrille. Je pleure à tout bout de champ. Tu peux peut-être t’en douter en écoutant ma musique. Ah ah !

La basse joue un rôle intéressant dans vos morceaux. Cela a été votre instrument principal pendant des années. Est-ce que vous composez parfois à la basse ou est-ce que vous travaillez sur les synthés que l’on entend aussi ? Vous avez un vrai talent pour créer des rythmes tordus mais vous faites aussi preuve d’une vraie sensibilité aux mélodies. Qu’est-ce qui fait que vous vous en tenez rarement à ce que commanderait une « harmonie juste » ? Vous ne pouvez pas vous empêcher d’introduire de l’étrangeté et du chaos dans chaque chanson ?

J’ai joué de la vraie guitare basse sur pas mal de morceaux. Mais il y a aussi beaucoup de basse synthétique. Il m’est arrivé de détester la guitare basse, de la délaisser parce que je ne pouvais plus la toucher. D’autres fois, c’était l’inverse, je la saisissais et je me disais : « je suis le meilleur bassiste de la planète et de tous les temps. » J’essaie vraiment de faire de la bonne, bonne musique intéressante. Je ne suis pas un grand musicien. Je ne suis même pas un musicien du tout. Je ne sais même pas vraiment jouer de la basse. Je n’y connais rien. C’est de la fumée, du vent. Un leurre. Je déteste les musiciens.

J’adore The Last Song I Ever Wrote. C’est un petit joyau d’indie folk. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur cette chanson. Vous y parlez de Kurt Cobain. Vous nous avez dit que vous le vénériez. Il avait des goûts musicaux très larges, depuis de vieux morceaux jusqu’au punk anglais, et à la pop. Comme lui, vous semblez avoir conscience que chanter des choses déprimantes et tristes renvoie aussi à un « marché de la douleur ». Où est la vérité ? Où est la pose ? Est-ce que le gars qui chante va aussi mal ? On a toujours une position un peu perverse en vous écoutant : on aime que vous chantiez sur vos problèmes et que ce soit le plus sombre possible tout en sachant qu’on ne vous veut non plus pas tout le mal que vous traversez…. Vous semblez vous-même n’accorder pas beaucoup de foi dans les artistes torturés…

Je ne veux rien dire sur cette chanson précise parce que je pense que ça foutrait tout en l’air. Je respecte les grandes idées que tu peux avoir sur ça, toutes ces questions intéressantes. D’une certaine façon, j’ai toujours rêvé et espéré que les gens révèlent ce type de pensées, de sentiments et d’expériences en entendant mes chansons. J’adore ça vraiment. C’est quelque chose que j’ai toujours recherché. Mais si je me mets moi aussi à disserter et à pontifier, à me prendre au sérieux, cela voudrait dire que tout ça c’est foutu. Ta vision est plus vivace que ce que je pourrais dire. Il faut laisser le mystère être un mystère.

Est-ce qu’il y aura une édition physique de votre disque ? Un CD ou un vinyle ? Le label est celui avec lequel vous aviez travaillé pas mal du temps des Felice Brothers, n’est-ce pas ?

Oui, le label a l’intention d’en graver une vingtaine ! Et je vais peut-être fabriquer des cassettes dans mon garage à l’unité. Le marché est nul à ma connaissance pour ce disque. C’est ce qu’on pense et c’est ce qu’ils me disent du moins.

Est-ce que vous avez des plans pour tourner ? L’Europe à l’horizon ? Évidemment d’autres chansons ?

Pas de tournée. Pas de concert. Pas d’agent. Pas de blé. En fait, possible que vous soyez la seule personne qui aime ma musique ! Je vous suis très reconnaissant pour ça et pour l’attention que vous portez à mes chansons et pour y avoir réfléchi avec autant de profondeur. Je voudrais bien aller vivre en France. J’en ai soupé de cet endroit.

Retrouvez très vite la playlist commentée de Philip Goth dans la rubrique Playlist. Avec notamment Sibylle Baier. 

Philip GothPhilip Goth : Infinite Melancholy of The Ordinary man

If you need to buy only one LP on bandcamp this year, it should be this one. After 30 years reviewing music, we’ve only had such an encounter with a new and totally unknown artist 2 or 3 times. One of them was with Daniel Johnston with Hi, How Are You. It was ages ago but we remember the day we’ve heard it on the radio. Another one when our student dormitory-mate brought Nirvana first LP in the room. It was a big mess around. Nobody did say a word. We immediately thought, listening to the impressive Philip Goth’s first delivery, the guy or band was a kindred spirit of those two, a sort of lonely tortured poetical soul from the punk era trapped in a white American body and nailed to a guitar (and a synth) by a capitalist demon. Get the general idea ? This LP is worth a million and contains a world within. It is dark as hell but more humane, moving and sensitive than anything you’ve heard this decade. It is frail, powerful and intense, deep and low at the same time, virtuoso and awkward, depressive and comforting. Philip Goth is the guilty conscience you get when you’ve done with another shitty day. He is the sound you hear when you are happy playing with your kids. And also the guy who stares at you with madness in the eyes when you go to work. The everyday mad man.

Dont be afraid. It is just about music. Listen to the voice of Philip Goth. Please do it for real this time if you go through those words. You won’t regret it. It is as simple as that. We are not from the marketing unit. Not interested to profits. It may be our Best Album of The Year. We’ll see that later on.

 Your real name is Josh Rawson. You were a member for something like a decade from the quite unknown in Europe band The Felice Brothers. I happen to have noticed the band when they did play (in 2010 or something) with Dave Matthews Band. Interesting band, which is much more than a folk rock band. When did you step in the band at first ? And what were you doing at the time ?

I had just graduated high school. I was a loser. I didn’t have any kind of aspirations or hopes. My friends started this band and told me to play bass and I did.

I guess you were quite a young guy. Where were you from ? What is your background ? You are living now in NY. Are you from New York ? Have you always lived there or in the area ?

I’ve always lived in Upstate New York. I grew up in Highland right across the river from Poughkeepsie. But I’ve done a lot of traveling.

When did you get your interest in music ? Family connexion ? Guitar or instruments at home ? Brothers and sisters ? I’m just trying to find how you can get one day to such an intense solo work… almost coming from nowhere from me… .

My dad was a musician. He made jingles for local car dealerships.

What kind of a teenager were you ? What kind of music were you into ? Folk blues ? You mention rap a lot on the LP. Not to say much good things about it…

I always listened to a lot of rap. Wu tang clan. Bone Thugs N Harmony. Redman. Outkast. DMX. All the alternative rock radio that was happening at the time. Nirvana of course. Punk music later on. The Clash. The Replacements. The Misfits. Around 15 I got into Neil Young and Leonard Cohen and Dylan and shit like that. Music really meant everything to me.

You’ve left the band a few years ago then what did you do ? I’ve read you are living on small jobs, gardening and stuff (you mention it in the record). Did you change life with an idea in head to come as a solo artist or did you just want to rest from touring life, etc ?

I quit to make this record. I had a vision of a type of band I could make and how I wanted it to feel and the aesthetics. I really wanted to push beyond the kind of songs I had always been writing into a new place. But it took such a long time and I was broke and out on my ass. Since I had been in the band for so long my resume looked like I had been in prison for 11 years. I had a lot of embarrassing job interviews. I really struggled. I got odd jobs working property management and errand boy type of shit. Worked on a farm. Painted fences. Dabbled in email marketing at night. I tried to write songs and record all the time but I had to pay the rent. I never have figured out how to make any money. I must be allergic to it. Right now I do landscaping. Weeding, mow the lawn, throw the mulch, blow the leaves. But it’s been worth it. I’m just glad this record exists.

Can you tell us about your living conditions ? Do you live alone ? How is your life like ? When listening to your music i was figuring a life dedicating to observing the others, like a writer or a stalker, noticing things in the corner… like a romantic hermit, baudelairian figure you know. But maybe i am wrong and you are partying with models every night in clubs, doing drugs…. Which side are you on ?

I live with the mother of my kid and my kid in a little house in the town of Philmont. I’m not partying with models. The most wild shit I do is occasionally smoke a secret cigarette on a pull off on the highway after work. Sometimes it helps to have something to look forward to in life. But I don’t even do that anymore. At the same time all these things really did happen to me.

Let’s come to the LP itself and your music. First line sounds like « singing is really embarrassing but i’d do anything for a laugh ». It sets the tone. That’s one of the best starting verse i’ve heard for years. The song is talking about death and drama then. Black humor, is it what you’d call it ? It is quite a strong opening with the stupefying image of Serpico and his cane crossing the road to his sports car… Where do you get that from ?

I saw Serpico at the Salad Bar of this grocery store. He had a big walking staff. His aura was really shining that day. I don’t know how many crystals were on his person. Maybe 15? Though it could be less and they just were more powerful than the crystals I have been around in my normal day to day. I knew as it was happening that it would be the title of the first song on the record.

You reference in the same song poet John Ashbery who being a wonderful poet is also known for having being one of the most secret (homosexual) writer from NY. The narrator sounds like a ghost observer to me, the guy who looks at thing. Is that your own nature ? Looking scrupulously at things ? Is that where you art starts from ?

I don’t want to explain too much about my lyrics because they are supposed to be whatever you want them to be. That’s part of the fun. Is people inserting themselves and interacting with it how they want. They are built like little mysteries. They are designed to just make you feel things. But now I got all that artist shit outta the way: I saw John Ashbery at that same grocery store too. It’s all my life. I don’t really observe things. I’m a dumb person.

The LP is really really impressive. The lyrics are amazing. You bring scary realistic stories which made me think about 70s NY artists like… Lou Reed for accuracy, strength and outsider point of view but sung with a fragile and lo-fi vision which brings the father figure of a few singers i love like Daniel Johnson or English Daniel Treacy from the Television Personalities.

Daniel Johnston is my hero. Things like “Hi, How Are You?” and “Songs of Pain” really were windows into different worlds for me. I would listen to them and feel like I was swimming in Daniel’s eyes. They were the template for what I was trying to make. The word “outsider” really gave me strength when I discovered it. Before I made this album most people who heard my songs didn’t like them. There were no melodies, I couldn’t sing, they were too weird. The term outsider made me feel like I could let go and really be myself. I finally felt comfortable in my own skin.

What is your today’s vision of NY ? We are far from the touristic vision of a rich, white and opulent city.

I’ll only comment on upstate New York. All these millionaires from the city are buying up all the real estate after COVID for their second homes. I can’t afford to live here too much longer. The only jobs that will exist soon will be serving the obnoxiously wealthy. Whether it be blowing their leaves like I do or painting their houses or installing their toilets or serving them pizza and beer. Hopefully the serving class will live short lives due to lung cancer and diabetes and find the meaning in a Netflix show called “too hot to handle.” But the fall is absolutely the most beautiful thing that’ll ever happen to you in upstate New York. The first snow too. They would have to cut my head off before I left. Or just raise my rent.

Did you work on all the songs on your own ? Home studio ? Playing all the instruments ? It often starts with quite a lofi approach but the production, musicianship and programming brings a real amplitude and breath to the whole record. Creeps Everywhere for example is a real complex and evolutive songs full of wonderful effects, roaring guitars and percussion work. How did you work on that one ?

There are two or three parts made by other people but everything else was me. Just sitting in a room sucking. Over and over again. Trying to find a way in. Creeps was a hard one to get down. I would just sit in a room. Which is really hard to do sometimes. I recorded many, many different versions of these songs.

The LP is 11 songs. Did you have much material ? How do you generally come up with songs ? Sketches ? Motives ? Lyrics ? What’s your writing process ?

I wrote about an album’s worth of material before I got to these songs that actually made the record. Probably like 12 other songs.  I was searching and it really wasn’t working most of the time. I needed to dig through all those ones till I found what I was looking for. Not being afraid to suck. You want to feel fearless. I do anything to come up with a song. Maybe I’ll have an opening line in mind. Maybe it’ll just be a drum loop. I’m so desperate to get something down. Speed Up Mariah Carey samples. Take walks. Literally write things in a notepad with a pencil, real old timey style. Whatever works I will take it. My main rule was: It has to be exciting. I have to literally get excited for it to make it. If I didn’t feel a certain amount of energy I threw it away and tried again. I never wanted it to be good enough. I wanted it to feel like I was falling out of a tree.

Your writing is very literary and with a strong social vision. In France, when we are talking about this kind of vein from the US, we generally have in mind people like Dylan, Springsteen and to a less extent Neil Young. Is your writing tradition rooted into American classic rock or into something more underground, i mean like the beat generation or those 70s writers and poets i was referencing ? In terms of music influence, can you tell us who you feel close to ? i’ve also noticed the shakespearian reference of Raptor Feathers which is a wonderful pop song, maybe the sweetest tune from the whole LP.

I feel close to Daniel Johnston. I was late in discovering David Berman of the Silver Jews. My friend told me I reminded them of him and when I first put one of his songs on it was like discovering I had an older brother. Kurt Cobain always felt unattainable and perfect. I could never be as magical and beautiful as that. I worshipped him. Kim Deal. John Waters. Prince. Aphex Twin. I’m sure after 34 years of hearing Dylan, Springsteen, and Young every day must’ve completely warped my brain into sludge but I never felt like I could have my face plastered on a guitar center. All songs are almost created in their image. Jonathan Richman felt a little more like it. Or a guy Jonathan Richman would sit next to on the subway.

There is a darkness which tingles every song. Let’s take Pole Dancing 4 Funerals. It is about suicide, drugs and psychological distress. How close did you personally get to those subjects ? Did you go through dark times or have you been impressed by stories or people you knew who did ?

Those things happened to me.

I’ve been really impressed by how your deal with madness, painkillers, mind turmoil. It sometime sounds like Daniel Johnston but without the naivety and innocence, just as if you were looking at it with a smile, as if it had not that much importance at all. That’s what is chilling and fascinating here : the distance between your singing and what you sing. You seem to be a very distant man though you are totally involved in everyday life….

Yeah that feels about right. Perfect. Well said!

I havent asked yet about your Philip Goth moniker. It is really cool. Is it Philip Roth related ? A reference to Goth music… death folk.

I see it as a band name and I am just the only person I could convince to be in the band. I am not Philip Goth, like David Bowie is David Bowie. It’s more like Steely Dan and I just don’t happen to have a weirdo best friend standing next to me. I knew people would be confused by it but whatever. People are confused by everything. My favorite band names are the aforementioned Steely Dan and Pink Floyd and Black Flag. They all seemed to be like little enigmas containing multitudes. They could be whatever you wanted them to be. The words Philip Goth came to me about ten years ago on a walk. It’s not about Philip Roth, it’s just a vibe. Josh Rawson sounds like the guy who serves you coffee and a gluten free scone. Philip Goth sounds like something you could see carved into a desk in a highschool or tattooed on a stranger in a disgusting bar.

I like the line « i never cry but if i did i’d never stop. » on Vacation in Newburgh. What made you cry last ? For joy and pain ?

My girlfriend’s little sister played me a recording of her singing “dream a little dream of me”. I think she uttered just one word and I was crying my eyes out. Completely lost it. I cry all the time. You can probably tell from my music. Ha ha!

I like your bass rythms all along. That was your main instrument for years i guess. Do you compose on the bass or do you use synths which are very present here too ? You’ve got a real talent to create distorsed rythms and emotions but also a real melodic sensibility. What prevents you to stick to the « right » harmony and makes you bring strangeness in every tune and song ?

I think I played real bass guitar on a couple of the songs. There is definitely a lot of synthetic bass. Sometimes I completely hated the bass guitar and couldn’t touch it and sometimes I was like whoa I am the greatest bass player who ever lived. I tried really hard to make good, interesting music. I am not a great musician. Or even a musician per say. I can’t even play bass. It’s all just smoke and mirrors. I hate musicians.

I love the Last Song I Ever Wrote. It is indie folk rock at its best. A real gem. Can you tell us about this song ? You are talking about Kurt Cobain of course. You seem to have a closeness to his figure : he did love a large range of music and musicians from oldies to punk to English pop. You seem very conscious singing about sad things is a way to make people feel concerned. Like a « pain » marketing business. Where is the truth ? Where is the show ? That’s always the question. Is the guy singing as bad as this ? We, the audience, have this perverse position : we like you singing about despair though we dont wish you harm or anything wrong. You seem to have a kind of natural distrust for tortured artist….

I don’t want to say anything about that song because it’ll ruin it. You seem to have so many great ideas about the songs and interesting questions. I always hoped people would bring their own thoughts, feelings, and experiences into them. I love that. That’s what I dreamed of happening. Me digressing and pontificating about what they mean would just ruin it. Your takes are so much more alive. Let the Mystery be.

Do you think there will be a physical edition of your LP ? CD or vinyle. The label is one you did work with the Felice Brothers isnt it ?

My record label is planning on printing like 20 cds. And I might dub cassettes in my basement one by one. There is not a market yet in existence as we know it for this record. That’s what they tell me anyway.

Do you have plans for touring ? Europe in sight ? Other music on the way ?

No touring. No shows. No booking agents. No money. I think you are the only person that lik0es my music! I appreciate you and thank you very much for caring about these songs and for thinking so deeply about them. I want to live in France. I am tired of this place.

Within 2 days, follow Philip Goth in a remarkable commented playlist in the playlist section. With Sibylle Baier. 

Crédit photos : Wyndham Garnett

La chronique de My Debut Novel.

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
[Soup Music #5] – Jul / C’est pas des LOL
[D’or et de platine]
Le rap français est un écosystème complexe. Au sommet de la pyramide...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *