Le hip hop n’est pas une musique : c’est un art de vivre. Sun Burns Out se mue le temps de 2 articles Playlist en radio pirate pour vous fournir la musique de la rue! Et légalement! Alors enfile tes tennis, prends ton ghettoblaster et monte dans mon énorme bolide à ressort : direction le New York sauvage de 1984. Paré ? Allez les enfants, suivez MC Mr. Beat Machine dans le ghetto où les breaks rasent l’asphalte aussi vite que fusent les balles.
Bon, nous faisons face à un dilemme moral : comme vous le savez, la France va probablement accueillir un président très coercitif envers vous. Donc, pour accompagner le retour à l’ordre, nous allons vous apprendre à vous dé-ensauvager. Ça va filer droit avec le Z, ah ah ah [rire faussement diabolique] ! Attention, on ne vous dit pas de devenir des gens normaux : car quand on naît racaille, on le reste. L’idée serait juste de devenir une belle petite racaille docile. En un mot : aimable. En soit, ça consisterait juste à diminuer la jauge d’ensauvagement de la société et à limiter votre connerie à quelques vols à mains armés et règlements de compte gentillets (et si possible, entre vous), tranquille quoi. L’idée de cette playlist serait de « faire communauté », d’arrêter d’écouter la merde déversée sur Skyrock pour blédards au Q.I. de langoustes et, ainsi, ne plus vous inciter à commettre des fusillades dans les salles de concert ou dans des salles de rédac’ (vous savez, ce sont ces papiers qui sont présents aux tabacs). Un retour aux sources salvateur.
L’idée serait de vous calmer. Qu’on parle de sauvageons plutôt que de racailles. De se bastonner à la loyale, si possible sur un ring de boxe, sous le regard des vrais grands frères, plutôt que de ratonner (ou couper) la tête d’un prof ou se comporter comme des brigands. Et, si possible, de danser ! de vous dépenser ! Sois dans le move, écoute ce groove.
Reprenons notre sérieux. Car, oui, le délit de faciès est un peu facile. Car à l’époque où on vous emmène, c’est-à-dire la première moitié des années 1980, la situation des quartiers, en France tout du moins, était loin d’être celle catastrophique d’aujourd’hui. Le ton ironique se justifie de par le fait que votre MC se joue des différentes époques et pays (la France et les USA) en tentant d’établir des ponts et des va-et-vient. Mais même si un climat relativement bon enfant avait lieu en 1984, le feu était dans les cendres. Quant aux États-Unis, on ne sera pas nostalgique du Harlem de l’époque par rapport à celui d’aujourd’hui. Je sais que t’es pas con, mais on n’est jamais à l’abri quand pointe la tentation. Héroïne! Cocaïne! Alcool c’est haram!
Comme nous l’évoquions dans notre article sur Sidney et sa formidable émission H.I.P H.O.P, ce phénomène se situe au carrefour des cultures occidentale et africaine. Fruit de la rencontre entre le jazz, le rock et surtout l’électro, le rap des 80’s avait ce quelque chose d’expérimental, et n’avait pas cette forme normative du rap des bandes FM d’aujourd’hui. Ces 2 sélections, assez subjectives, quoique pas tant que cela, ont été influencées par la vision des émissions H.I.P H.O.P, mais également par les bandes originales des jeux vidéo Grand Theft Auto (en particulier GTA : Vice City et GTA : Vice City Stories, dont les histoires se déroulent en 1984), dont les sélections sont toujours un modèle de bon goût et de connaissance. Et on évitera les sempiternels Holiday de Madonna ou Rapper’s Delight de Sugarhill Gang qu’on a poncé enfant. Par ici et pas d’embrouille! C’est moi qui mène la danse! Allez hop, grimpe dans mon vaisseau !
01. The World’s Famous Supreme Team – Hey DJ (1984)
Allez, on commence tout en douceur. Hey DJ est fait pour les cool kids. Il y a tellement de coolitude qui s’y écoule qu’elle est amplement suffisante pour faire fuir la grisaille et embellir la banlieue d’un ciel bleu fiançailles. Nous sommes quelque part en Ile-de-France, mais aussi un peu dans le New York de 1984. Là est peut-être le miracle. Qu’il s’agisse d’une rue des Bosquets ou du fin fond du Queens, les petits frères flânent dans les rues entre cliques, rêvant sur les bancs, de fêtes, de filles et autres filouteries. The World’s Famous Supreme Team nous signe un slam énergisant et flottant, nous enjoignant à s’unir sur un accord de piano entêtant. Et que dire de cette guitare qui se la pète en arrière-plan. C’est un hymne à la joie qui jubile. Et, évidemment, à la camaraderie. À cet âge, les amis restent le premier amour.
02. Herbie Hancock – Rock It (1983)
On ne pouvait pas ne pas enchaîner avec cet hymne par lequel tout commença : Rock It. Emblème du mouvement presque dénué de forme à ses débuts, le morceau est abstrait et embryonnaire. Il est l’incarnation de l’inventivité folle et fourmillante des balbutiements du mouvement, car Herbie Hancock était issu… du quartier jazz (et pas que)! Avec le recul, Rock It nous prouve par A + B l’évidente filiation entre l’électro, le jazz et le rap (et cela même si ce morceau est uniquement… instrumental!). La piste sonore est mouvante, en 3 parties, et sa dernière est à foutre dans une crise épileptique vous et tout ce qui vous entoure avec. Vos objets vont commencer à tressauter ! Ce mélange entre les scratchs sauvages, la basse explosive, la voix robotique (dont se souviendront les Daft) et cette cadence rythmique pourrait prendre l’emprise des bras du premier lunetteux venu et le faire se mouvoir comme Michael Jackson ! C’est une musique de précurseur, presque laborantine. Et, tel un virus créatif, elle en contaminera plus d’un de manière spasmodique.
03. Grandmaster Flash & The Furious Five – The Message (1982)
La voiture coulisse doucement au ralenti devant un salmigondis de faune décadente : les grands frères sèment le vice, les dealers à la petites semaine soulagent les maux de la ville, les péripatéticiennes s’enfilent des aiguilles à la pause tapin. The Message, c’est encore mieux qu’inhaler la meilleure des beuh : The Message, c’est un cours de sociologie condensé en 7 minutes. Le morceau, avec sa durée atmosphérique et ces moments de flottement, aura marqué au fer plus d’un, qu’il s’agisse dans nos colonnes de Scalper pour son concentré social ou d’un Ice Cube qui rappera dessus, une décennie plus tard, pour donner le Check Yourself que l’on connaît tous. On y revend la mort sans aucun remord ici. Eh oui petit…
04. Afrikaa Bombataa & The Soulsonic Force – Renegades of Funk (1983)
Le dieu zoulou et son escouade Soulsonic Force attroupent tout leurs soldats de la danse en mode Guerriers de la Nuit non pas pour se foutre des patates de forains à Harlem, mais pour faire chauffer la gomme et foutre un ramdam de malade sur le macadam. Muni d’une architecture de beat dévastatrice et de cris de guerre pour haranguer les danseurs (« Say jam sucker / Say move sucker / Say groove sucker / Say dance sucker / Now move succer »), la troupe appelle à faire tomber toutes les frontières internationales et interplanétaires, à unir tous les marginaux, inadaptés et révoltés du passé et du futur zoulu-galactique pour ainsi fédérer toutes les énergies sous l’égide des divinités de la sueur, de la motricité et des gros sound systems. Ne tentez pas de les déjouer, rien n’arrêtera la vague de ces Avengers zoulous !
05. Planet Patrol – Play at Your Own Risk (1983)
Run D.M.C., Afrikaa Bambataa, Grandmaster Flash… et maintenant Planet Patrol. C’est dire si les débuts du hip hop se firent dans les pas des plus grands. Plus que les autres, ces quatre groupes ont confectionné des pistes qui empruntaient au funk et le mélangeaient à l’électro tout en rajoutant un zeste de chant et de rap. Play at Your Own Risk donne envie de dévaler les rues et de porter ses cojones, okay ? [voix d’Al Pacino dans Scarface] Poings serrés, mais tout cela avec la banane dans le slip et sur la bouche, la risquophilie dans la peau, prêt à foutre des beignes en dansant à côté de la disco-mobile pour sauver l’honneur bafoué d’un copain lors d’une bloc party féroce. La (longue) piste est complètement mutante : on passe de sonorités dubisantes à un clavecin électronique (dont un pont in-croy-able à 4’37) ; de couplets funk chantés en chœurs presque à la Imagination à des cris guerriers. Que ce soit dans la vie courante ou dans un sursaut créatif, foutre sa peau sur la table vaut décidément la chandelle. Play at Your Own Risk fait l’effet d’un coup de tazer dans l’âme.
06. Midnight Star – Freak-A-Zoid (1983)
Il était une fois une odyssée spatial black, une sorte de galaxie afro qui donnerait naissance à divers systèmes planétaires aux couleurs du folklore afro-américain. Le groupe Midnight Star constitue une planète à eux seuls. On imagine bien des pirates afro, cigarillos à la bouches, muscles scintillants, arpenter les routes stellaires pour se battre contre des panthères de l’espace et commettre du starship jacking. Entre les voix robotiques et cris d’un bestiaire extravagant, les arpèges de notes invraisemblables entre le funk et les bruits tressautant de flash et de lazers, son pont robotiquo-guttural légendaire (dès 4’38 sur la version étendue), son motto « I’ll be your freak-a-zoid / C’mon and wind me up » : il n’y a décidément aucun mot pour rendre compte de l’effet de Freak-A-Zoid, tant le morceau est à la fois inouï et inexplicable. Nous nous arrêterons donc là…
07. Whodini – The Freaks Come Out Night (1984)
Dans la nuit, ne te découvre pas d’un fil ; car au matin, on te baise comme cela nous plaît. Les monstres rôdent, se parquant contre les murs, prêts à se jeter sur le premier morceau de peau. Les estafilades sont prêtes à jaillir, les nyctalopes à sortir leur zizi pour vous parquer contre des grilles. Voix au Vocoder, slam décrivant les ruelles suintantes de vice nocturne, rythme flottant et vaporeux évoquant les démarches des paumés polytox’, Whodini a encore sévi, pile à l’heure où les boîtes de nuit s’ouvrent, pour mieux déverser dans les rues toutes les hordes de l’enfer urbain. À cette époque, les freaks étaient admis la nuit. Et c’était jouissif!
08. Zapp & Roger – More Bounce to the Ounce (1980)
Voilà un hymne sonore à la défonce. C’est simple : oser en faire la bande-son du périple vers la festoche avec les copains et votre caisse se transformera en épave, tout le monde jambe dessus hanche dessous. L’écouter revient à s’imaginer dans un film de Spike Lee et y voir une voiture qui crache ses baffles sous le soleil de L.A., avec comme occupants des gangs afro défoncés au chichon, hocher de la tête à l’unisson. Alors que Cher a démocratisé l’autotune, Zapp et Roger ont propagé l’usage du Vocoder, cet ustensile qui vous envoyait de l’électricité dans la gorge et conférait cette voix robotisée. Là encore, les Daft Punk et Chromeo doivent tout au duo. Quand on roule avec, on a l’impression que le châssis tortille du uc’ ; c’est dire à quel point on se reçoit une rasade de style dans les oreilles. More Bounce to the Ounce, c’est la définition même du cool.
09. 2 Live Crew – Get it Girl (1987)
« Get-get-get-get-get-get it girl […]« … Vous entendez ça? ça, c’est le bruit d’un cul qui virevolte dans tous les sens et cogne votre entrejambe, bien cambré- yalahhh… et hop là que j’te monte dessus – allez là que j’te donne des p’tits coups d’reins par-ci par-là – ouh oui c’est bon ça owoui c’est bon ça rend tout chaud tout moite en bas – mmh – délicieux ! Trois décennies avant la démocratisation du twerk par Kim Kardashian et Miley Cirus, 2 Live Crew prépare le monde à l’invasion des postérieurs, tout comme les grands noms que sont DJ Funk, DJ Deeon ou DJ Assault. Rien de plus régressif, après une journée à avoir dealé et tué, que l’excitation d’un gros cul qui vous fait la cour. On reconnait tout de suite les habitudes de ce sous-genre musical, avec ces courts bruitages ou samples de mots salaces répétés à outrance jusqu’à ce que votre calebar se transforme – Splash – Et merde : vous vous êtes transformé en baba au rhum…!
10. Trouble Funk – Pump Me (1982)
« Les gars! Sortez les ghettosblasters! On affronte les peaux-grises de Clichy pour reprendre notre territoire! Mais avec des mouvements de bassin! Petite aréna des familles, yalaaah. Allez les gars, jetez vous sur eux en rythme, montrons leur qui a le plus de style ! Allez pump up the volume! » Là encore, les mots ne suffisent plus pour décrire Pump Me. Ce n’est pas le plus original des titres, ni le plus galvanisant : tout le monde a pris de ce morceau pour le mettre dans sa propre gamelle. Et pourtant, comme The Message, cela parle de bloc parties, de sound systems, de shaker nos trucs, de pumper-l’up’er notre aine dans les vicissitudes de nos cités. Avec Trouble Funk, on sent l’odeur du mazout fumé, de la gomme qui s’use au soleil cinglant, de la matière vivante qui grouille de partout, l’atavisme d’un wilderness africain (les bruits de sifflet, les tam-tam, la danse des corps comme exutoire à la violence) partageable par tous, implanté dans l’urbanité des cités occidentales aussi tortueuses et infinies que cette loupe utilisée.
Bonus Track :
10*. Break Machine – Street Dance (1984)
Ce morceau, chanté et non rappé, ne peut qu’évoquer les rues d’un New York en chaleur et où une équipe de joyeux drilles slaloment en rythme entre les golden boys et autres latinos errants pour faire propager le rythme dans toutes les peaux. Morceau facile d’accès s’emparant du mouvement hip-hop pour l’adresser au grand public, de la même came que les Into The Groove ou Holiday de Madonna, Street Dance est un parfait morceau introductif au courant hip-hop, même s’il s’apparente plus à de la pop-dance et qu’il n’emprunte qu’au courant que les percussions. Tout comme (Hey You) The Rock Steady Crew du Rocksteady Crew, ce morceau est né de la communion entre trois danseurs, faire-valoir du morceau conférant direct une street cred’ au morceau, un chanteur et les producteurs de… Village People ! Ils sont partout ces français ! La voix très « musique de série B 80’s type Kickboxer ou Cobra » et le sifflet euphorisant doivent y être pour quelque chose, pour sûr. Rien de mieux pour vous dissuader de commettre des larcins et utiliser plutôt votre chakra à bon escient. Si t’as les nerfs en boules, reste cool !
Allez, c’est fini pour ce soir. Et n’oubliez pas, comme l’a toujours dit notre seigneur :
Peace, love, unity… and have fun mes frères et sœurs!
02. Herbie Hancock – Rock It (1983)
03. Grandmaster Flash & The Furious Five – The Message (1982)
04. Afrikaa Bombataa & The Soulsonic Force – Renegades of Funk
05. Planet Patrol – Play at Your Own Risk (1983)
06. Midnight Star – Freak-A-Zoid (1983)
07. Whodini – The Freaks Come Out Night (1984)
08. Zapp & Roger – More Bounce to the Ounce (1980)
09. 2 Live Crew – Get it Girl (1987)
10. Trouble Funk – Pump Me (1982)
Bonus Track :
10*. Break Machine – Street Dance (1984)