La probabilité que la chanson française soit là plutôt qu’ailleurs est une évidence. Celle qu’elle gagne du terrain pour se tailler un jour une place en vitrine (médiatique) est clairement moins forte, même s’il ne faut jamais désespérer. Les médias aiment les branques, les losers, les gens qui ne sont rien mais pas au point de propulser Poupard dans l’aristocratie variétoche du jour au lendemain. L’audace s’arrête chez nous à Julien Doré. Le CD de Cérémonie Malgache s’est déjà écoulé à 25 exemplaires dans une édition splendide assemblée à la main par les orfèvres du Choléra Cosmique. C’est un foutu début avant l’invasion des H&M, Séphora, Carrefour et autres grandes enseignes, les ventes par wagon et les honneurs/horreurs de la presse féminine. Le mainstream n’existe plus nulle part. La seule musique qui vaut est une musique de tribus, d’artisanat d’art, qui remplit des petites salles et des grands coeurs.
Poupard n’en est pas à son coup d’essai : sa première livraison (2018), Vésanie, était déjà un grand disque. Son album suivant, Nous avons joué tous les deux (2019), sorti chez Petrol Chips, n’était pas en reste. Le duo sévit en couple comme Bonnie and Clyde, admirable et follement terrestre, « la tête dans les nuages et les pieds dans… « sur terre, comme on dit, c’est-à-dire au plus près d’une vie qu’on imagine à peu près normale, aérienne et travailleuse. On ne va pas surjouer l’ancrage prolétarien. On n’en sait à peu près rien, mais il y a une intensité et une sincérité dans les livraisons de Poupard qui clouent sur place et confèrent une pureté immédiate à leur musique. Sous leurs allures lo-fi, les sept morceaux qui composent cette Cérémonie Malgache sont captés et enregistrés avec beaucoup d’intelligence et de précision. Cela saute aux oreilles sur l’un des meilleurs morceaux du disque, Coma, un monologue d’apparence prosaïque chanté parlé par Laurie Morcillo qui, tel un bon Shyamalan, donne sa solution dès le début dans sa mise en son. On entend des voix et des choeurs à l’arrière-plan qui prennent tout leur sens au moment du dénouement. C’est du grand art, mélancolique, tendre et surtout redoutablement efficace. L’électro cadencée du duo est irrésistible, ligne claire d’une synth pop fulgurante et qu’on n’avait pas rêvée si belle et légère depuis Denim ou Elli & Jacno.
En moins de vingt minutes, David Livaticki et Laurie Morcillo, épaulés par un Pierre Gheno décisif sur le tubesque Pendant des Mois, produisent un disque-mirage qui nous propulse dans un univers fascinant par sa capacité à s’abstraire du sens commun pour gagner un ailleurs amoureux et protecteur, une bulle de quiétude où le couple matrice s’oppose avec fierté aux lois du monde et aux forces contraires. Pendant des mois jongle avec les mois évoquant immanquablement le splendide Février du Dominique A des débuts. HLM est une chanson d’amour extraordinaire, intransigeante et radicale mais aussi follement crue et géniale sur son dernier vers notamment. Il faut du cran pour écrire à ce niveau de vérité. L’exécution confine à la perfection, millimétrée jusque dans la légère suspension du chant qui précède la dernière punchline rimée bouche ouverte.
On peut trouver cela un peu chiche (le minimalisme, les rimes) mais Cérémonie Malgache est d’une précision chirurgicale jusque dans ses approximations. De Kojak à un Vous n’irez plus stupéfiant de beauté, le groupe tutoie, par un hasard qui n’en est pas un, la grâce d’un âge d’or musical situé quelque part entre les années 70 et les années 80. Un Flic au Coeur tendre ressemble à une BO d’un film de Bébel, bondissant de toit en toit et en majesté sur les hauteurs de Paris, tandis que la disco malade de Vous n’irez plus parle d’une mort cruelle et anonyme avec le sourire aux lèvres et le pantalon de velours d’un Houellebecq de vingt ans. Poupard et Giscard ne font qu’un, emplit de l’espoir et du progrès qui précède le grand effondrement.
Cérémonie Malgache est un disque-rituel où l’on sacrifie à l’ancien monde et au rêve de bonheur enfoui pour ressusciter l’envie et la chaleur humaine. C’est un disque-fugue sur le couple, l’amour et la modestie du temps présent. Un disque-monde qui tient dans la main et fond comme un bonbon Picorette, fourré dans un « sac à dos malade« .