Karl Kave & Durian / Total Liquidation
[Choléra Cosmique]

8.2 Note de l'auteur
8.2

Karl Kave & Durian - Total LiquidationLe duo suisse Karl Kave & Durian revient aux affaires après son Untergang und Finsternis de l’an dernier avec une compilation de quelques uns de ses anciens titres, raretés et autres nouveautés (du moins, des morceaux qu’on ne connaissait pas – mais on est loin d’être spécialiste du groupe) qui constitue une porte d’entrée royale et majuscule (ROYALE donc) vers leur oeuvre électronique et synthpop remarquable. Karl Kave (Carlo Reinolter de son vrai nom qui compose les musiques) et Andrin Uetz (aux paroles et au chant) font équipe depuis deux ou trois ans maintenant et la sortie chez Choléra Cosmique d’un premier disque intitulé Ungestüme Reiter, soit « Cavaliers Fougueux » en allemand, titre qui va à ravir à leur électronique aventurière et pleine de panache. C’est d’ailleurs ce même morceau titre qui ouvre le bal de Total Liquidation et nous offre un premier grand moment d’électronique vintage, dont tout ou presque évoque les meilleures pièces de Kraftwerk. Que ce soit dans l’usage des voix (un brin robotiques), l’équilibre global et l’emploi d’une électro voyageuse et toute en progression, le cousinage avec les Allemands est une référence incontournable et qui saute aux oreilles. Total Liquidation lui emboîte le pas dans un registre vocal plus émotionnel, politiquement plus critique et engagé, mais tout aussi mélancolique.

Les longs aplats ambient de Karl Kave dessine des motifs aériens et fuyants qui disent la tristesse de l’époque et la dépression (économique). On retrouve comme chez Kraftwerk une forme de douceur nostalgique qui, sans qu’elle ait à faire le moindre effort, s’affirme avec force comme une critique en creux de sa propre époque. Karl Kave & Durian s’engage néanmoins un peu plus nettement que ces prédécesseurs historiques dans le format chansons pour aboutir, sur Lonely par exemple, à une cold pop synthétique et très sophistiquée. On pense à une version glacée et digitale de Marble Sounds, aux frères amis de Plastic Operator, ces groupes qui jonglent avec les machines comme d’autres font pleurer les guitares. La voix de Uetz est ouatée et enveloppante, distillant avec légèreté une délicieuse somnolence qui sonne souvent comme une petite mort. Cola est une variation sur le titre La Vida Loca qui figurait sur leur album précédent. Le groupe s’ébroue en mode chill out sur des rythmes dansants et qui rappellent (pour le meilleur) le doux mélange des Pet Shop Boys, de Coil et du Homosexualis Discothecus de Raymond Alessandrini (pour la BO cultissime de Deux Heures Moins le Quart Avant Jésus-Christ.) Avec le chant en allemand, l’effet produit est autant kitsch que séduisant mais vite désamorcé par la froideur métallique du spoken word qui suit sur Noise About.

Total Liquidation explore un territoire fait de divertissement et de déception, débordant des catégories dans lesquelles on range d’habitude les productions électroniques. Mi-pop, mi-techno, les morceaux sont passionnants et joueurs, fascinants et hors du temps. Difficile de ne pas se croire quelques décennies en arrière à l’écoute du Goldenes Matriarchat ou de ne pas esquisser un sourire en se trémoussant sur le moqueur et fédérateur Hühnerei :

Wir gehen wieder auf die Strasse
Wir haben noch lange nicht genug
Wir bauen wieder Barrikaden
Den überall lauert Betrug

Die Arbeiter und die Bauer
Die Künsterinnen und die Kleinen
Die Utopisten und die Rauen
Alle die sich was zusammenreimen

Wir werfen jetzt das erste Ei
Auf den CEO von Spotify
Es fliegt ein rohes Hühnerei
Auf den CEO von Spotify

Hey Mister CEO von Spotify
Fang hier kommt ein Hühnere

On lit trop peu de textes en allemand pour se priver d’une citation complète des paroles de ce hit imparable (et inconnu de la plupart) qui fantasme une révolution réunissant les travailleurs et les bâtisseurs, les petits et les artistes, à l’assaut du patron de Spotify qu’on fracasse en lui lançant des œufs. C’est régressif, jubilatoire et bien fait, à l’image d’une musique électronique brillante, qui ne se prend pas au sérieux, mais s’avère d’excellente facture.

Ceux qui n’ont pas écouté de musique de ce genre depuis longtemps pourront y retourner sans mal. Les experts s’y amuseront comme de petits fous. Karl Kave & Durian nous rappellent à quel point la techno a raté le coche et aurait du/pu s’imposer comme un vrai instrument d’une contestation musicale, populaire et exigeante. Total Liquidation est à cet égard un disque exemplaire et rare.

Tracklist
01. Ungestüme Reiter
02. Total Liquidation
03. Lonely
04. Coca
05. Noise About
06. Goldenes Matriarchat
07. Hühnerei
08. Holy Elevator
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