Primal Scream / Come Ahead
[BMG]

5.9 Note de l'auteur
5.9

Primal Scream - Come AheadOn a jamais beaucoup écrit sur Primal Scream sur Sun Burns Out. Il faut dire que notre dernier véritable engouement pour Bobby Gillespie et le siens date d’un quart de siècle, avec le décisif XTRMNTR. On venait alors d’entrer dans les années 2000 et le groupe signait un véritable brûlot électro-punk-funk techno-révolutionnaire, très politique, agressif, anti-police, etc. Le disque marquait un durcissement sonique des Écossais comparé aux disques (eux aussi très cools) de la trilogie Screamadelica, Give Out But Dont Give Up et Vanishing Point (notre chouchou mais c’était en 1997). Sans vouloir faire dans l’historiographie, le groupe nous a paru par la suite surjouer sa partition avec des albums à la rébellion un peu trop fabriquée à notre goût (Evil Heat/ Riot City Blues), le transgenre Beautiful Future (peut-être le dernier qu’on a vraiment écouté) et les deux disques marquant un retour (relatif) aux sonorités hippy-psychédélique un peu plus légères que sont Chaosmosis et surtout More Light.

Il faut avouer qu’on navigue depuis plusieurs années à des années-lumière de ce son là et que Gillespie n’ayant jamais brillé pour la densité de ses textes, on est à la fois sûrement trop vieux pour ces bêtises et plus vraiment connecté à l’énergie qui se dégage (selon le plus grand nombre) du groupe. Come Ahead ne fait pas exception malheureusement, même si on doit lui reconnaître quelques qualités. Évidemment Martin Duffy n’y est plus (pour cause de mort), Mani non plus. Le disque comme on l’expliquait en évoquant les premiers singles est bâti autour du travail en solo du leader et du soutien technique et artistique apporté par le producteur David Holmes. Comme tous les disques de « producteur », Come Ahead est ainsi un peu plus joli et soniquement élaboré qu’il n’est réussi. Comme souvent chez Primal Scream, il y a plus de rythme et d’attitude que de très bonnes chansons. On peut se laisser faire par la pochette stylée (photo du père de Gillespie) et par l’ouverture rétro-funk Ready To Go Home sans retrouver sur ce premier morceau la vivacité d’antan, ni autre chose que l’expression d’un vrai savoir-faire dans l’élaboration de ce genre d’ambiances. Le morceau suivant, Love Insurrection présente à peu près les mêmes caractéristiques : un chant laid-back en retrait et une rythmique qui nous rappelle les titres bâclés des Happy Mondays, qui ne fonctionnent vraiment dans la durée que lorsqu’on est suffisamment chargés pour ne pas se demander pour quelle raison ils durent aussi longtemps (6 minutes). Innocent Money lance les hostilités contre la bourgeoisie, les riches et les puissants sur un texte particulièrement bien troussé et qui met en cause la théorie du ruissellement chère à Emmanuel Macron.

The bourgeois bastards just keep stealing
And selling the dreaming of the lies, lies, lies
That undermine our lives
The slugs at the bottom feed the wolves at the top
Growth spreads upwards ever only
There’s no trickle down, trickle down, trickle down, trickle down

Cette prise de position politique et ce petit cours en direct de macroéconomie ont un petit côté incongru et une allure qui ne collent pas du tout à la musique. On se demande vraiment pourquoi il faut chanter cela ainsi et pourquoi on danserait à la manière des années 60 en se lamentant sur les inégalités sociales. Sur un thème tout aussi risqué (la faillite de l’Europe, le Brexit), Primal Scream signe un autre morceau, Deep Dark Waters, qui ne nous emballe pas plus, éteint et avec des sonorités hispanisantes qui arrivent comme un cheveu sur la soupe. La dernière et troisième chanson politique refermera le disque. Settlers Blues revient longuement (plus de neuf minutes) sur les persécutions britanniques au sein du Royaume Uni, le colonialisme et l’immigration forcée vers les Etats-Unis. C’est une chanson « historique » aux ambitions inédites pour Gillespie et au contenu très profus qui fait écho indirectement aux questions migratoires et à l’oppression occidentale. La musique est très monotone et enrobée de tristesse par l’usage de choeurs. L’ensemble est trop démonstratif et ne dégage qu’assez peu d’émotion. Gillespie n’est pas Dylan ou Springsteen. Aime qui pourra.

A côté de ces morceaux étranges et pas vraiment convaincants, le plus intéressant sur ce Come Ahead est peut-être bien les chansons les plus simples et intimes qui découlent directement du mode de composition en solo de Gillespie… avec lui-même. Le chanteur noue une jolie balade sentimentale (un brin gnangnan) sur le pouvoir de l’amour qui soigne avec Heal Yourself. Ca ne casse pas trois pattes à un canard mais c’est soyeux et plutôt élégant. Il monte d’un cran avec un Melancholy Man qui saisit notre homme au coeur d’une dépression.

Trapped in his tired body
Never listens to his soul
When it’s flooding like a river
And crying like the wind
Wasted years of solitude
In a prison of bones & skin
If only he could open his eyes
He’d see the Kingdom within

La musique n’a aucune espèce d’intérêt jusqu’à une succession de ponts assez étonnants (un cuivré et jazz, l’autre en shred de guitare dégoulinant) qui suscitent la curiosité. Il y a une recherche de justesse dans ces deux morceaux qui les rend presque aimables, tandis qu’on reste peu convaincu par la tentative d’accélérer le tempo sur un Love Aint Enough assez poussif. La chanson anti-guerre False Flags fonctionne légèrement mieux que Settlers Blues mais ne présente pas un pouvoir d’immersion et narratif suffisamment puissant pour justifier sa longueur. On pourra mesurer, en terme de songwriting, sur un schéma (et une durée) assez similaire, la différence de niveau avec le passionnant I Bury The Living de Morrissey sur Low In High School.  L’intention est bonne mais on passe assez loin de grandes chansons.

On préfère au final quand les Primal Scream restent dans leur registre spirituel, hédoniste et bien balancé, comme sur The Centre Cannot Hold, que lorsqu’ils s’aventurent, sans avoir réfléchi suffisamment à la forme qu’ils donnent à leur propos, sur des territoires trop vastes pour eux.

Disque à la genèse compliquée et étalée dans le temps, Come Ahead est un album valeureux, plutôt intéressant mais qui souffre d’une ambition mal calibrée et d’une vraie dispersion dans l’intention. Sa mise en sons séduisante dissimule à peine une inspiration inégale et un vrai manque d’intensité qui en diminuent fortement l’impact.

Tracklist
01. Ready To Go Home
02. Love Insurrection
03. Heal Yourself
04. Innocent Money
05. Melancholy Man
06. Love Ain’t Enough
07. Circus of Life
08. False Flags
09. Deep Dark Waters
10. The Centre Cannot Hold
11. Settlers Blues
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