PJ Harvey / I Inside The Old Year Dying
[Partisan Records]

6.3 Note de l'auteur
6.3

PJ Harvey - I Inside The Old Year DyingL’entrée en matière, Prayer At The Gate, de ce nouvel album de PJ Harvey, qui est parmi les disques les plus attendus de l’année, donne le ton : I Inside The Old Year Dying sera une affaire de minimalisme et de précision, une affaire de délicatesse et d’attention portée à ce qu’on entend à peine. Le son, capté et produit par Flood et John Parish, est naturaliste, comme saisi à la base des instruments, si bien qu’on en entend les vibrations jusque dans les moindres détails, quand l’ensemble n’est pas agrémenté de sonorités comme prises sur le vif qui donnent à l’ensemble une réalité immédiatement saisissable (les chœurs ou bruits de gamins à l’arrière-plan sur Autumn Term). Le disque ressemble à un temps gagné sur la vie (ou la mort plutôt), un temps gagné contre le temps comme il y a des terrains gagnés sur la mer et rendus constructibles grâce au travail de l’homme.

Ici, c’est l’artiste qui construit ses barrages, étale une lande de terres pour faire reculer les fantômes et la mélancolie. C’est l’artiste qui sème les graines d’humanité qu’on entrevoit à travers des portraits parfois hermétiques et qui agissent comme autant de dévoilements, de rideaux tirés sur un monde âpre et paysan dans l’âme. Les tempos sont ralentis, à des années lumières de la mémoire rock et brutale qu’on peut avoir de PJ Harvey, les accompagnements rachitiques et folk comme sur le magnifique Lwonesome Tonight, dialogue quasi protestant ou venu de chez Jane Austen où l’on se croirait au début du XIXème siècle, donnent l’impression qu’on entrevoit la scène depuis un appareil à remonter le temps.

Are you Elvis? Are you God?
Jesus sent to win my trust?
Love Me Tender, are his words

As I’ve Loved you, so you must. 
Thrice she draws her lips to kiss
Mouthing for his mouth in vain
Thrice her lwonesome kisses miss

My love, will you come back again 

Par delà l’ambiance générale qui fait penser à la rencontre improbable de Will Oldham et de Lana Del Rey, ce qui surprend c’est désormais le traditionnalisme des situations dépeintes par PJ Harvey. La langue est vieillie en couveuse, travaillée à l’extrême pour revenir à un mode d’expression qui rappelle autant les triturations sur la langue sudiste de William Faulkner que les travaux les plus avancés de Will Self. Il faut les lire les textes pour prendre toute la mesure du travail poétique qui accompagne la musique. Les textes sont faits pour claquer en bouche, pour rimer, pour perdre l’auditeur. Les « s » deviennent des « z » sur le remarquable The Nether-Edge, dont la mélodie n’émergera finalement que durant les 30 dernières secondes tandis que la voix est attaquée tout du long par un écho parasite. Les images fusent et enivrent tant elles sont nombreuses entre le « panier d’ombres » et « l’air qui ressemble à un océan démonté ».

La musique n’est que sporadiquement séduisante et construite selon les anciens codes. On croit retrouver PJ Harvey qui chante pour de vrai sur la chanson titre et on doit avouer qu’après plusieurs écoutes, c’est celle-ci qui nous convainc le plus, celle-ci qui nous fait regretter cette écriture sèche et tendue entre folk et rock qui est délaissée ici. Mais comment ne pas la suivre aussi lorsqu’elle plonge tête baissée dans le sacré et le mysticisme d’un All Souls ? I Inside The Old Year Dying prolonge les travaux poétiques de la chanteuse avant d’être un nouvel album. On sait que PJ Harvey, après l’album précédent, semblait en avoir fini avec les chansons et cela s’entend un peu ici. Tout est comme éteint et hanté, comme s’il s’agissait de s’en remettre au rythme soufflé par le vent et les éléments. Sur I Inside The Old I Dying, tout est surjoué et la chanson n’existe plus. C’est l’exercice poétique qui prime comme si on se retrouvait nez à nez avec une prêtresse ou une druidesse en voile de soie dans un festival de poésie néo-gothique du Dorset, un grand marché bio et carnavalesque.

I laugh in the leaves
And merge to meesh,
Just a charm in the woak
With the chalky children
Of evermore.

On se croirait chez les Wicca ou une lointaine héritière d’Emily Dickinson, dans une réplique vaporeuse et fuyante d’un Dead Can Dance new age (A Child’s Question July). Ce qui agace le plus, c’est que cette poésie à base d’éléments naturels et de relations homme/femme à l’ancienne, ne transpire jamais la modernité. August est une belle chanson mais une chanson qui ne représente rien pour l’auditeur d’aujourd’hui. Ce monde là n’existe pas. C’est un fantasme de néo-rural, une représentation erronée du temps. Le reproche principal qu’on fera au disque est bien d’être sorti complètement de l’époque, tant par son style que sur la forme. PJ Harvey avait toujours incarné pour nous jusqu’ici une forme de « femme moderne », sensuelle et partagée entre des forces qu’on identifiait bien (la frustration, la violence, un lien au passé, ses origines campagnardes). Elle est entièrement débordée et avalée cette fois par les forces du passé. La dernière ruade du disque, A Noiseless Noise, de loin la meilleure chanson du lot, nous la restitue presque intacte et combative en diable. Cette seule chanson suffit à faire basculer ce qu’on pensait du disque : on peut s’en satisfaire, trouver cela magique ou splendide en se laissant envahir par le sens du sacré qui vient avec la démonstration de force poétique, ou considérer que la vraie PJ Harvey ne revient que pour le final et qu’elle s’est laissée manger par l’intellectualisme et sa propre envie de complexifier son propos.

 Il est à peu près certain (A Noiseless Noise l’annonce) que le prochain disque sera celui qui compte, celui de la réaction et du retour en grâce. On peut céder à la fausse séduction de I Inside The Old Year Dying, à son style et à sa texture dépouillée et finalement plus sophistiquée qu’elle en a l’air, mais aussi penser que ce n’est qu’un disque de transition, le faux-nez surjoué de quelque chose qui vient. La probabilité qu’on se trompe ou qu’on passe à côté d’un chef d’oeuvre en puissance n’est pas mince mais on peut aussi considérer que cette longue complainte surannée n’est pas ce qu’il nous faut.

Tracklist
01. Prayer At The Gate
02. Autumn Term
03. Lwonesome Tonight
04. Seem An I
05. The Nether-edge
06. Inside The Old Year Dying
07. All Souls
08. A Child’s Question, August
09. Inside the Old I Dying
10. August
11. A Child’s Question, July
12. A Noiseless Noise
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