Ce n’est pas parce que notre indomptable reporter avait déjà procédé à l’interview de leur psychiatre en son temps qu’on ne se devait pas de revenir sur la dernière production des Churros Batiment, Tendre Macaque, album qui bénéficie ces jours-ci d’une sortie en CD, augmenté de 5 titres (bonus EP), sur le label domestique Jolie Mamie Records.
Les Churros Batiment naviguent sur ce disque quelque part entre Alain Souchon, Jean-Louis Costes et un tribute band de Napalm Death. Là où des types comme Stromae font le buzz quand ils s’expriment sur la dépression et leur période de folie (basse), Litavicki et Gheno, les deux beaux gosses qui se cachent derrière Churros Batiment, pratiquent une musique d’authentiques tarés qui n’aurait aucune chance d’être soutenue ou rendue présentable pour le développement d’un projet musico-culturel à l’Asile d’Arkham.
A l’échelle de la chanson française, Tendre Macaque sonne à la fois comme une provocation redoutable et un approfondissement miraculeux d’à peu près toutes les forces en présence. Le disque, en dix séquences, passe allègrement de la poésie bringuebalante et authentiquement émouvante d’un Tendre Macaque beau à pleurer (et qui fait penser au fameux « épisode du singe » de Joey Starr), à l’hommage poudré et scato à Patrick Sébastien sur l’improbable C’est Très Coco, que vous vous retrouverez sûrement à entonner à tue-tête dans la bagnole avec vos gamins malgré votre répugnance initiale. Comme entre temps, les deux hommes auront craché le feu sur le trash metal débile de Esclave, mélangé Daniel Johnston et Joy Division sur Médicaments et repris brillamment le Dancing With Myself de Billy Idol, il est probable que vous vous rendiez à l’évidence et considériez comme nous que ce disque innommable, suicidaire et invendable est l’un des plus cools et intéressants que vous avez entendus cette année.
Contrairement à d’autres amuseurs bébête-pop, les Churros Batiment sont d’authentiques musiciens qui maîtrisent à la perfection les codes sonores et mélodiques du rock à guitares (qu’ils abordent avec ce projet) et de la chanson française. Chacune de leurs créations passe, à l’oreille, pour une parodie d’autre chose, un hommage ou une relecture d’un genre ou sous-genre, dont ils reprennent les codes avec un détachement, une aisance et une facilité extraordinaires. De ces emprunts, les deux hommes ne font jamais rien de commun ou d’attendu, mais détournent et concassent le résultat en le contaminant avec leur mauvais esprit, leur inventivité et leur poésie absurde. Le résultat est aussi génial, immédiat et dérangeant qu’un film réussi de Quentin Dupieux (il y en a quelques uns), décalé, comique et en même temps pétri de moments de grâce à nul autre pareil.
Cent mille est un excellent exemple de ce travestissement musical. Le titre démarre comme un morceau des Pixies ou de shoegaze italien, découvrant après une longue intro de manuel, une séquence désespérée sur la vanité de l’existence adolescente et l’absence d’amour. Derrière l’humour évident, Churros Batiment ne fait rien d’autre qu’inscrire ses pas dans ceux des grands groupes rock pop de l’époque, quelque part entre Pavement et Nirvana, rien que ça. Idoles fonctionne dans un registre similaire mêlant le désespoir d’un être fracassé et la destinée tragique des idoles d’enfance, tout comme Grésivaudan s’impose comme un titre magnifique sur la perte de repères et la folie qui gagne. La métacitation finale de la Soca Dance, chef d’oeuvre dansant de 1990, est un coup de génie éblouissant et qui s’affirme comme la « geste » la plus précieuse du disque entier.
Il y a presque toujours chez Churros Batiment une gravité qui vient déplacer l’humour apparent et ouvrir un puits existentiel profond comme le gouffre de Padirac. Evidemment, tout cela est fait dans un profond désordre et un mauvais esprit permanent qui vous empêcheront globalement de prendre Tendre Macaque au sérieux, de considérer même qu’il puisse, avec cette allure débile, être un album extraordinaire.
Les quelques facilités que le groupe s’offre, notamment sur le EP bonus (un Je suis une Merde, un peu caricatural), semblent agir comme un bouclier qui protège Churros Batiment de l’emballement et de la louange, tant il est évident que ces types là ne sont pas là, du tout, en définitive pour vendre des disques. On préservera ainsi leur ambition de demeurer des losers éternels, tout en vous assurant que Tendre Macaque est, dans le domaine musical, aussi déterminant, brillant et inspiré qu’a pu l’être Dumb and Dumber au cinéma. Et ce n’est pas un petit compliment.
01. Tendre Macaque
02. Esclave
03. Médicaments
04. Boulevard
05. Cent Mille
06. C’est très Coco
07. Pendre
08. Idoles
09. Grésivaudan
10. Dansant Avec Moi-Même
11. Arrête (bonus EP)
12. Je suis une Merde (bonus EP)
13. Je Sais Pas (bonus EP)
14. Mais Moi C’Est (bonus EP)
15. Spécial (bonus EP)