Skullcrusher / Quiet The Room
[Secretly Canadian]

8.3 Note de l'auteur
8.3

Skullcrusher - Quiet The RoomPour des raisons de place sur les étagères, on a jeté récemment notre intégrale de Stina Nordenstam en se disant qu’on était désormais trop vieux pour se laisser faire par ce genre de musique. C’était évidemment avant qu’on se retrouve à écouter le nouveau disque de Beth Orton, Weather Alive, et encore avant qu’on ne croise le chemin de Skullcrusher et de son superbe Quiet The Room.

On oublie toujours à quel point ce genre de musique est irrésistible et envoûtant. Chaque résurgence/incarnation de ces filles qui chantent, haut et au creux de l’oreille, nous fait glisser le persil du pavillon et demander autour de nous qu’on nous ligote au mât pour ne pas risquer de nous jeter à l’eau. Les premiers EP de Helen Ballantine, la jeune américaine qui se cache derrière le pseudo de Skullcrusher (un truc de muscu), nous avaient mis sur la piste du miracle : voix de tête, arpèges cristallins et fond électro folk, mélancolie et lointaine parenté que notre limier d’alors la voyait entretenir avec Idaho et Nick Drake (en reprise).

Le premier album de Skullcrusher est aussi beau et lumineux qu’un soleil de brouillard à Los Angeles. C’est un album qui n’offre aucune surprise manifeste, ni volonté de révolutionner quoi que ce soit, mais qui s’offre à nous dans toute sa spectaculaire perfection pop, cafardeux et précis, poétique et craquant comme le nougat. La tonalité est délibérément folk. Sur le bandcamp de l’intéressée, l’argument promotionnel met en avant un disque qui évoque le « bruit d’une fenêtre qui s’ouvre, ou d’une barrière qui s’abaisse »…. manière de ne rien dire de bien précis mais aussi de caractériser une musique qui échappe à son propre contenu.

De quoi parle Skullcrusher ? C’est à l’écoute une question qu’on se pose à peine. Les textes sont des morceaux d’introspection mais aussi à de nombreuses reprises des interrogations sur ce qui fait la perception : comment la lumière agit sur le coeur, comment l’air se frotte à la peau, ce genre d’observations précieuses et vaguement désuètes qui construisent le vague à l’âme. L’intérêt de ces chansons n’est souvent pas littéral : il se situe dans le jeu de dévoilement/occultation qui s’instaure entre la chanteuse et nous. Sur It’s Like A Secret, on trouve ces mots là :

I read a story today
She put in words this feeling
And I’m still living in it
I see you through the window

Le résultat est un peu hermétique, mais pas suffisamment pour que l’idée générale nous échappe. On pourra reprocher à l’interprète de flatter notre goût de l’abstraction et quelque part de ne pas dire les choses franchement. C’est ce flou artistique, ces images hamiltoniennes qui font mouche et constituent le charme de l’ensemble. Il y a quelques pièces instrumentales assez belles comme le pastoral Outside, Playing, et des chansons qui semblent vouloir fuir avant d’être entendues, à l’instar de Sticker, une vignette fantomatique mais géniale dont on ne résiste pas à l’envie de reproduire le texte, à peine audible en direct :

Take a picture of my room
Hold the colors, green and blue
Looking back, do I recognize it?
Put a sticker on the door
The ink is rubbed out, the edges torn
If I go there, do I even notice?
By the stairway, I’m listening
To their voices echoing
For a moment, they could be laughing

L’album entier semble prendre comme un décor une maison de poupées dont on ouvrirait les fenêtres une à une. On pense (en moins flippant) à la Maison des Feuilles de Mark Danielewski, où les dimensions se déplient au fil de la lecture, en dégageant une profondeur et une richesse insoupçonnée. C’est le cas sur Window Somewhere, chanson anodine mais néanmoins à tiroirs dont la densité émerge lentement du néant.

Il serait faux de dire que la musique de Skullcrusher est marquante ou qu’elle bouleverse quoi que ce soit, mais elle impressionne ou imprime comme un visage passé laisserait une trace en suaire sur un linge défunt. L’impression de dilution/évaporation est très présente laissant à l’oreille un mélange savoureux d’inachevé mais de promesses infinies…. abandonnées aux écoutes qui suivent.

Ce disque n’est pas le plus spectaculaire du monde mais il est probable qu’on ne l’épuisera pas facilement et qu’il pourra nous accompagner longtemps après sa sortie.

Tracklist
01. They Quiet The Room
02. Building A Swing
03. Whatever Fits Together
04. Whistle of The Dead
05. Lullaby In February
06. Pass Through Me
07. Could It Be The Way, I Look At Everything
08. Outside, playing
09. It’s Like A Secret
10. Sticker
11. Window Somewhere
12. (Secret instrumental)
13. Quiet the Room
14. You are my House
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