N°1 SOPHIA / Holding On / Letting Go (Flowershop Recordings)
La domination est clairement moins évidente qu’en 2016 où l’ensemble de nos chroniqueurs l’avaient placé dans leur trio de tête. A force de tutoyer l’excellence, Robin Proper-Sheppard se heurte inévitablement à la force de l’habitude et à une lassitude dominatrice, comme si on en avait marre que Ronaldo et Messi se partagent le Ballon d’Or, qu’Emmanuel Macron écrabouille Marine Le Pen au second tour de la présidentielle ou que l’affaire Grégory rebondisse tous les deux ans. Il y a des choses qu’il est impossible de contrarier, des forces qui sont plus puissantes que tout. Holding On/ Letting Go de Sophia est disque de l’année et le doit avant tout à la force et à l’évidence de ses compositions. Disque plus rock, puissant, ample et peut-être plus classique que le précédent, ce disque est aussi un disque intime, qui évoque la détresse des temps présents, la combativité des humains que nous sommes, notre fragilité et la facilité à laquelle nous cédons à l’espoir en demain. D’où qu’on le prenne, il n’y a pas eu mieux et plus juste cette année.
2020 est une année à oublier pour les musiques live. Mais c’est une année inoubliable où de nombreuses personnes ont réappris à écouter de la musique et à en vivre littéralement. L’année aura donné plusieurs grands disques qui, aux côtés de Sophia, composent un quatuor presque égalitaire et assez somptueux :
N°2. LAETITIA SHERIFF/ Stillness (Yotanka Records)
Laetitia Sheriff fait rarement le déplacement pour rien. Son Stillness est beau comme un mirage. On ne vous cache pas qu’au sein de ce webzine malheureusement très masculin, placer en seconde position, une artiste féminine nous fait plaisir. Laetitia Sheriff signe avec cet album qu’on attendait depuis quasiment six ans un album qui, étrangement ou pas, n’est pas si différent de celui de Sophia, délicat et sonique, rock et tendre comme cette année brutale et confinée. Doux, rêche, délicat et traversé par une énergie vitale, vitaliste presque, Stillness est un album fédérateur et qu’on peut mettre entre toutes les oreilles. Il réconcilie aussi bien les amateurs de rock français, électrique et années 90, et ceux qui apprécient les musiques complexes et expérimentales. Chose non négligeable, il a une dimension tubesque qui n’échappera à personne et un potentiel de séduction massive qui ne court pas les rues. A force d’en vanter les qualités, on se demanderait presque pourquoi il ne figure pas en première position.
N°3 : EPIC 45 / Cropping The Aftermath (Wayside and Woodland Recordings)
Ceux qui nous lisent le savent : on éprouve une admiration et une passion sans bornes pour tout ce qui a jamais émané de la galaxie Hood/Epic45. Cela tombe bien car cette livraison du duo, composé de Rob Glover et Benjamin Horton, épaulés désormais par James Yates (de The Pattern Theory), bat au cœur nucléaire de cette nébuleuse. Entre pop à guitares lumineuse et électro stellaire, ce second album d’Epic45 en 2020 est une merveille sans nom, brillante, tubesque, cristalline et ultrasensible. Ceux qui étaient restés sur le souvenir du Outside Closer de Hood il y a plus de quinze ans auront l’impression d’y retrouver leurs pantoufles. Les textures sont similaires et les ambiances semblables à une tasse de thé prise en rase campagne, entre brouillard et chants d’oiseau. Il y a une beauté sidérante dans cette musique qui ne se dément pas au fil des 9 titres et 38 minutes du disque. La beauté est faite de lumière et de concision, de fièvre et d’indécision. Cropping The Aftermath aurait fait un foutu bon numéro 1. Est-ce qu’on peut recompter les votes ?
N°4 : THOUSAND / Au Paradis (Talitres)
2020 aura été une année rageuse, pleine de colère et de tempérament. On aura eu envie de crier, de pleurer et de massacrer son prochain. C’est sûrement ce qui aura empêché l’album de Thousand de décrocher la palme de notre classement annuel : son humanité, sa délicatesse. Au Paradis est un fantasme de pop française totale, l’alternative absolue au rock anglo-saxon, aux guitares qui rugissent et aux refrains qu’on entonne en braillant. Un peu Bashung, un peu Murat, un peu Orelsan aussi, Thousand a écrit les plus jolis mots de l’année 2020 et il les a chantés aussi, mis en musique avec un sens de la retenue et une précision qu’on avait pas croisées depuis la retraite d’Erik Arnaud. Thousand a la sophistication parfois répétitive et mélancolique d’un The National à la française. Il a l’intelligence et la tristesse pour lui. Voilà bien un disque qui ne méritait pas de gagner au jeu idiot des classements, un disque qui est un outsider né et un perdant véritable. Sans regret. Thousand finit tout seul et bon quatrième.
Photographie : Philip Lethen.