On ne peut pas dire là comme ailleurs que c’est la musique qui fait tout mais prétendre qu’elle n’y est pas pour grand chose serait se beurrer les lunettes. Le succès de Matrix vaut autant par son motif graphique (les chiffres verts sur fond noir, scintillants et qui défilent) que par la présence essentielle du Mérovingien (on déconne) et bien sûr les thèmes musicaux amenés dans les précédentes versions par Don Davis (la part orchestrale) et complétés par une setlist de feu (sur le premier volet) où l’on retrouvait aussi bien Prodigy, Rob Zombie que Marylin Manson.
Si le volet 4, Matrix Resurrections, un four d’audience injustement, se tient aussi bien, c’est par la grâce d’un scénario bien troussé soutenu par des acteurs toujours formidables mais aussi parce que le duo Johnny Klimek/Tom Tykwer livre une BO au poil, référencée et ultradynamique. Klimek et Tykwer forment un duo de compositeurs original puisque le premier est australien, compositeur classique à qui l’on doit la BO de quelques uns des films de son compère allemand, justement, qui officie (ce qui est assez rare) à la fois en tant que scénariste, réalisateur et compositeur. Tykwer a réalisé parmi ses films connus Cours, Lola, Cours, mais aussi le Parfum. Les deux hommes ont bossé sur la BO de Cloud Atlas (probablement leur chef d’oeuvre), réalisé par les Wachowski et deux ou trois autres trucs. Klimek avait aussi fait un excellent boulot pour George Romero sur sa reprise de Land of The Dead, film de zombies avec… Dennis Hopper et Asia Argento. Sur Matrix Resurrections, l’exercice tient en deux idées : primo, s’appuyer suffisamment sur l’héritage musical du passé pour assurer la continuité (legacy) du film 4 par rapport à la première trilogie; deuxio, en foutre plein les yeux et les oreilles pour tenter de démontrer qu’en matière de combats et d’actions Matrix 4 est plus dense et spectaculaire et plus tout que les précédents.
C’est autour de ces lignes directrices que le duo travaille avec application et un vrai savoir-faire. Cela démarre par une belle relecture du thème principal de Don Davis à l’ouverture (Opening) qui sur cinq minutes colle de très près à l’original en créant toutefois une petite distance qui vient annoncer le discours méta (assez bluffant) du scénario. Ceci étant dit et fait, la BO va assez vite passer à l’action et déchaîner les éléments orchestraux, allant jusqu’à saturer la bande, l’espace et globalement à nous épuiser. Dans la durée (tout ceci est évidemment trop long, trop agité comme à peu près tous les blockbusters), on se réfugiera ainsi du côté des plages les plus lentes, les plus réflexives qui sont à la fois plus subtiles et reposantes que d’autres. Cela n’enlève rien à l’efficacité du duo qui envoie, par exemple d’emblée, un Two And The Same, où les percussions s’entrechoquent jusqu’à l’intox avant de rencontrer des cuivres survitaminés, eux-mêmes dynamités par un nouvel assaut de percus. On retrouve son calme pour le retour de Trinity ce qui permet de souffler un peu. Lorsque Klimek et Tykwer laissent causer le piano, on a droit à d’excellents moments mais qui ne durent jamais très longtemps. Ca pète sévère sur It’s In My Mind et ainsi de suite. Le mouvement « on y va piano » avant de lancer les chevaux se reproduit ainsi systématiquement avec suffisamment de variété et de malice pour qu’on ne s’en lasse pas trop. L’enchaînement plage 6 (Set And Setting)/plage 7 (Into The Train) est ainsi un modèle du genre, le jeu consistant à annoncer et pour ainsi dire à « contenir » l’explosion qui advient dans l’espace de repos ou de paix qui précède. Set and Setting incorpore ainsi un brin d’inquiétude à sa matière qui va (comme une ligne de code) se dégrader en un danger. On voit bien dès lors que le discours tenu par la musique se met en phase avec le scénario du film : tout est affaire de dégradation, de leurre et de contamination. La musique se change en elle-même et en son contraire : on ne sait pas s’il faut en croire ses oreilles. Les compositeurs ne dédaignent pas utiliser une voix ou recourir à quelques artifices électroniques pour aller taquiner nos (vieux) souvenirs de la BO de Don Davies. C’est plutôt bien fait sur Broadcast Depth et encore mieux sur la plage baptisée Exiles. Celle-ci est intéressante car la composition tourne autour du pot (de terre) que constitue la BO originale comme si elle voulait la rejouer à la note près, mais sans y aller tout à fait. Dans l’univers digital, on appellerait probablement cela un « même » ou une sorte de réplique, un virus ou ce que vous voulez : l’effet produit est assez troublant créant une forme de familiarité propice au ressouvenir en même temps qu’elle matérialise à la perfection l’idée selon laquelle les temps auraient changé.
Sans doute complique-t-on parce qu’on le veut une BO qui reste malgré tout dominée par deux ou trois paires de gros sabots et de gros pétards (Simulatte Brawl ne vous laissera aucune chance d’en réchapper) mais on veut voir dans ce Matrix Resurrections un peu plus qu’une BO pour gros bourrin du slip, même si on aurait aimé aussi entendre plus de séquences inspirées par la figure christique du Néo des débuts. On pourra tenir à peu près le même discours sur le film : soit en soi une variation très réussie, maline et vraiment profonde sur le même thème qui réussit (presque) à rivaliser avec l’intérêt du premier opus (ce qu’on croit pour de bon), soit c’est un pâle successeur/décalque d’une franchise qui était de toute façon passée assez vite à côté de son sujet. On choisit notre camp : si on oublie le volet 2 qui était raté, on a toujours pensé que le mouvement ouvert avec le 1 et conclu plutôt intelligemment sur le volet 3 valait son pesant de cacahuètes métaphysiques. En rajoutant la couche méta (on imagine que Scream 4 nous fera la même chose au carré) qui caractérise les relectures de notre époque, Wachowski (on ne se risque plus à dire soeur/frère/humain) a fait le travail et plus que respecté le cahier des charges. Klimek/Tykwer font de même : ils ne font pas pipi dans la legacy et entrouvrent des perspectives avec une forme de complexité et de subtilité juste compatibles avec ce que l’industrie du blockbuster peut supporter.
Autant dire pour terminer que le gadin public du film condamne toute chance qu’on y retourne avec les mêmes. On ne sait pas si c’est bien ou non. A noter que ceux qui récupéreront la BO numérique auront droit à des remixes à foison de quelques uns des thèmes du film qui sont tout à fait estimables. On aime notamment le travail que font les deux compositeurs principaux du thème iconique désormais Neo and Trinity. C’est du bel ouvrage.
Pour dire la vérité, on a hésité à critiquer aussi la « soundtrack » du film qui présente, comme souvent chez les Wachowski, tout autant d’intérêt que la version orchestrée, avec, par exemple, ce grandiose White Rabbit piqué au Jefferson Airplane.
02. Two and the Same
03. Meeting Trinity
04. It’s in My Mind
05. I Fly or I Fall
06. Set and Setting
07. Into the Train
08. Exit the Pod
09. The Dojo
10. Enter IO
11. Inside IO
12. Escape
13. Broadcast Depth
14. Exiles
15. Factory Fight
16. Bullet Time
17. Recruiting
18. Infiltration
19. I Like Tests
20. I Can’t Be Her
21. Simulatte Brawl
22. Swarm
23. Sky Scrape
24. My Dream Ended Here