Stuart Braithwaite / Spaceships over Glasgow Mogwai Mayhem and Misspent Youth
[White Rabbit / Hachette]

6.8 Note de l'auteur
6.8

Stuart Braithwaite - Spaceships over Glasgow Mogwai Mayhem and Misspent YouthL’histoire est belle mais la biographie ne réserve finalement qu’assez peu de surprises. Qu’on s’entende bien : il était indispensable que quelqu’un raconte un jour l’histoire de Mogwai et que ce quelqu’un le fasse avec sérieux, application et émotion, ce que fait parfaitement bien Stuart Braithwaite, le principal protagoniste et leader historique/fondateur du groupe écossais.

Depuis que le rock a dévissé les statues des guitar heroes et autres leaders charismatiques (depuis My Bloody Valentine et consorts disons – même s’il y a eu des rechutes sérieuses), on peut aimer des groupes, petits ou grands, sans rien connaître de la vie de leurs membres. C’est le cas dans les musiques électroniques comme c’était jusqu’ici le cas au sujet du plus grand groupe (instrumental) écossais de l’histoire. On a bien du voir Mogwai une dizaine de fois sur scène, écouter ses disques un bon million de fois et encore hier guetter la réédition en vinyle de Come and Die Young et Young Team, en ne sachant à peu près rien sur le groupe, si ce n’est sa ville d’origine Glasgow et ses accointances avec ses amigos de Chemikal Underground comme Arab Strap, les Delgados et quelques autres.

C’est ce que vient réparer Braithwaite avec ce joliment titré Spaceships over Glasgow (il y raconte notamment avoir vu un OVNI un soir de retour agité) qui reprend classiquement depuis l’enfance de son leader les étapes qui ont mené au succès qu’on connaît et au dernier album en date, somptueux, As The Love Continues. Fils d’un fabricant/inventeur de téléscopes (le seul du pays) et d’une médecin généraliste, Stuart Braithwaite nous raconte son histoire qui est un peu celle de tous les gamins né au milieu des années 70 (il est de 1976), vivant à la campagne, et qui tombent en fascination devant les musiques de l’époque. Braithwaite vibre au son de The Cure et un peu plus tard de Nirvana. Il aime Sonic Youth, My Bloody Valentine et bien sûr Jesus and Mary Chain, les presque voisins d’East Killbride qui explosent au milieu des années 80. Le livre parle du jeune garçon et de la façon dont il devient peu à peu obsédé par la musique, le jeu de guitares, la scène. Un gros tiers du livre est consacré à la naissance de cette passion au sein d’un milieu familial aimant, compréhensif et dominé par la figure d’un père inventif et libéral. Braithwaite est protégé par sa soeur aînée qui n’hésite pas à l’emmener, encore gamin, à la ville proche (Glasgow est à une heure de route) pour ses premiers concerts.

Les temps forts de cette première partie sont consacrés à ses premiers émois électriques au contact de Jesus and Mary Chain et surtout de The Cure, la grande histoire d’amour du bonhomme qui se soldera par une amitié tardive avec Robert Smith et plusieurs invitations à ouvrir pour le groupe de ses rêves. Braithwaite, tel Richard Francis Burton à la Mecque, se déguise en femme pour passer le barrage de l’âge et réussir à s’infiltrer dans ses grandes messes qui l’hypnotisent et commandent sa vocation. Les pages sont soignées, émouvantes, drôles souvent, jusqu’au moment où le jeune garçon hérite de sa première guitare et se met à jouer pour de vrai.

Spaceships Over Glasgow nous en dit long sur le groupe mais avec un classicisme et une absence de vraie surprise qui pourra lasser ce qui lisent pas mal de livres de ce genre. Braithwaite découvre les drogues, se pinte régulièrement, se fait des amies, conserve sa première petite amie pendant une petite quinzaine d’années et se fraie dès 1976 (et ses débuts) un chemin plutôt facile et sans trop d’encombre jusqu’à la sortie de son premier disque, le single Tuner/Lower. John Peel les couve et les aidera à l’occasion, tandis que la croissance du Mogwai (sans eau et toujours après midi) se fait parfaitement. Le groupe s’étoffe pour l’enregistrement du premier album dont le succès immédiat propulse Mogwai très vite dans une autre dimension.

Etrangement, Braithwaite, malgré la belle sincérité de sa plume, directe et élégante, ne nous passionne pas tant que ça à partir de là. L’auteur raconte les tournées, les rencontres, quelques anecdotes sur les festivals, les fiestas, les soirées arrosées avec Arab Strap, quelques concerts qui font date et comment le groupe développe sa brillante carrière. Alors qu’on adore le groupe et ce qu’il fait, on reste malheureusement un peu extérieur au récit, incapables de faire le lien (artistique) entre la musique qu’on a adorée et la vie de cet homme là. Spaceships Over Glasgow nous parle d’un type qui aurait pu être notre ami, notre contemporain, notre frère mais dont la musique, puissante, enlevée, délicate, existe dans un ailleurs et un espace-temps qui n’interagit pas tant que ça avec la vie de ses… personnages. Braithwaite se sépare de ses nanas et plonge à chaque fois dans la déprime. Victime du succès du groupe, il s’aveugle et picole, multiplie les excès. Il se répare (ce qu’on découvre) en se baladant par exemple avec les filles d’Elastica en tournée. Il s’exile, enregistre des voix à New York, et puis, à chaque fois, se reconcentre pour sortir le meilleur album possible. Le fils de ses parents a reçu une solide éducation et réussit tant bien que mal à ne pas ruiner sa propre carrière, rétablissant à chaque fois la situation (la sienne et celle du groupe) quand il s’agit de prolonger l’aventure et de se remettre au travail.

L’histoire de Braithwaite est assez emblématique de celle des groupes presque sans visage (on le connaît pour sa bouille et son bonnet), sans histoire véritable et qui se situent à la charnière des grands groupes décadents et des groupes mainstream hyper-professionnels qui dominent le rock de stade aujourd’hui. Mogwai a un pied et trois orteils dans le premier monde (celui des saoûlards indé, des amateurs, des semi-pro, des bohémiens), et le reste (deux orteils, trois ou quatre) du côté des bons garçons et de ceux qui savent tout de même donner le change pour ne pas tout gâcher. C’est cette prévalence finale de ce « bon tempérament » qui à la fois nous enchante (ce gars là est des nôtres) et nous trouble, comme s’il manquait toujours quelque chose ici, le glam, le spectaculaire, le crade. Le livre s’achève tout bêtement sur la mort bouleversante et émouvante du père, l’occasion de réfléchir à l’endroit d’où l’on vient et à l’idée d’héritage.

Spaceships over Glasgow se lit avec plaisir et avec émotion. Il permet de se conforter dans l’idée que ces types sont nos semblables, nos frères… et que les belles histoires n’arrivent pas qu’aux autres (enfin si…). On n’a pas lu tant que ça de témoignages d’artistes qui sont nos exacts contemporains et la chose est troublante : mêmes références, même itinéraire mais destin si différent. Pour le reste, on peut bien écouter Mogwai sans s’embarrasser avec ça.

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