Thierry Jourdain / My Bloody Valentine Tempus Fugit
[Le Boulon]

8.2 Note de l'auteur
8.2

Thierry Jourdain - My Bloody Valentine Tempus FugitL’été sera shoegaze. Après la venue à Paris de Phil King et Emma Anderson de Lush, on pourra se replonger sur la plage dans l’itinéraire chaotique et à ellipses (longues, longues ellipses) de My Bloody Valentine sous la plume précise, documentée et fluide de Thierry Jourdain. Le bonhomme est un serial writer rock incroyable qui n’en finit plus de nous offrir en français des (premières) biographies de qualité, limpides et très bien construites. Après Elliot Smith (le Mot et le Reste), Vic Chestnutt récemment (on y reviendra, chez Playlist Society) ou encore R.E.M (en 2022, au Boulon déjà), Jourdain revient sur la carrière du plus grand groupe shoegaze du bonhomme… après Jesus and Mary Chain.

En s’appuyant sur une série d’interviews réalisée pour le livre, 7 pour être exact, qui, à l’exception de David Conway (premier chanteur et fondateur du groupe en 1983, parti en 1987), ne comprennent aucun membre du groupe, et sur une exploitation plutôt habile du fonds documentaire disponible, Jourdain réussit à nous embarquer dans cette aventure assez singulière puisque le groupe, fondé donc en 1983, a la particularité d’avoir mis assez longtemps avant d’en venir à son premier album (Isn’t It Anything, 1988), d’enquiller sur une carrière assez brève (avec son chef-d’œuvre Loveless, en apothéose), avant de disparaître pendant plus de vingt ans. Jourdain revient ainsi sur l’équilibre entre les musiciens du groupe qui, peu à peu, versera dans une prise de contrôle totale de Kevin Shields sur le travail en studio, mais aussi, de manière intéressante (on était moins au courant de tout ça), sur les débuts du groupe et sa longue transhumance vers la renommée. On apprend ainsi des choses sur la rencontre entre Shields et Colm O’Ciosoig, personnage fascinant et dont on peut mesurer l’impact sur les débuts du groupe mais aussi le talent depuis qu’il travaille aux côtés d’Hope Sandoval. On apprend que c’est Gavin Friday (Virgin Prunes) qui conseilla à Shields de quitter l’Irlande pour devenir un musicien à part entière, ce qui nous conforte dans l’idée qu’il faudra un jour édifier une statue au bonhomme pour son oeuvre. Son rôle de conseiller occulte auprès de Bono serait aussi à étudier. Bref, Jourdain passe du temps à raison à nous expliquer comment le groupe finit par prendre sa forme définitive avec Debbie Googe à la basse et Bilinda Butcher, petite amie de Shields, au chant, et surtout comment My Bloody Valentine va réussir après pas mal de tâtonnements à trouver sa voie.

Le reste est assez connu. Le bruit, le mélange de distorsion et de mélodies, la grâce infinie de l’ensemble et la confrontation avec une musique qui « nous fait violence » tout en nous hypnotisant. Les expérimentations d’un Shields qui déprime, devient fou, et se retranche peu à peu dans une recherche dont on ne connaîtra sans doute jamais grand chose, ni les ressorts, ni les mécanismes, ni les clés. L’histoire de My Bloody Valentine est frustrante, malgré l’apparence médiatique et communautaire (celle des fans qui traitent le groupe avec la plus grande religiosité). On découvre (on ne le savait pas vraiment) que My Bloody Valentine est jusque dans les années 90 un groupe qui tire le diable par la queue, sans le sou, vivant dans un squat et qui bénéficie de conditions matérielles très très difficiles malgré son succès critique. De labels en labels, le groupe peine à s’extraire de ce qu’il est : un groupe indé qui vend moyennement et se monnaye mal, un groupe qui produit trop peu pour franchir des échelons. Cest paradoxalement après Loveless, album décisif et somptueux, que My Bloody Valentine en accédant à une forme de reconnaissance matérielle, à la fois s’enrichit (ils achètent… une maison avec un studio dedans) et explose. Le conte est assez moral quelque part mais désespérant. Butcher et Shields tentent de résister mais le temps s’étire (tempus fugit) et le couple/groupe s’étiole jusqu’à ne plus battre qu’un tout petit peu. Jourdain parle avec soin des carrières dérivées, des contributions individuelles à d’autres travaux (Primal Scream, le travail sur la Bo de Lost In Translation, Hope Sandoval and The Warm Inventions, etc), en même temps qu’il relate les signes de vie donnés par Shields durant les 22 années qui sépareront Loveless de m b v, le troisième album du groupe et dernier disque en date d’une formation fantôme, qu’on aura finalement plus souvent vue sur scène (avec des tournées en 2007, 2009, 2013 etc) qu’écouté sur sa platine pour de nouvelles oeuvres. Lorsque la rédaction du livre s’achève, l’histoire n’est évidemment pas terminée. On attend toujours, dans un mélange de suspense, d’angoisse et d’inquiétude. Qu’attendre encore de Shields et des siens ? My Bloody Valentine ne tient probablement plus que sur un fil nostalgique. L’hypothèse selon laquelle le groupe resurgirait et serait capable de proposer quelque chose de nouveau n’est néanmoins pas morte, tant on imagine qu’à l’instar d’un Brian Wilson (auquel il est souvent comparé ici), Shields a encore un génie/du génie qui lui parle au coeur de l’oreille et circule dans ses amplis.

Le site du Boulon
Le site officiel de My Bloody Valentine

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Daniel Blumberg est le roi des Minus
Le titre est facile mais ce Minus inaugural qui présente l’album du...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *