On s’en veut un peu de n’avoir pas consacré à ce standard absolu du disco et précurseur des musiques électroniques (1977), un de nos chansons-culte… mais les JO ont été plus prompts que nous, entraînant une déferlante de zooms, focus et autres analyses de la chanson qui, associée à la danse de Shaheem Sanchez, aura constitué l’une des bonnes pioches de cette cérémonie d’ouverture, pourtant pas tournée par l’excellence musicale.
En retenant le hit Supernature de Cerrone, chanson de 1977, les organisateurs prenaient le risque de la ringardise (il est de bon ton de dénigrer le batteur de Vitry-sur-Seine, coiffeur débutant et animateur au Papagayo…) mais aussi celui qu’on redécouvre un super titre pour lui redonner la pertinence qu’il avait à l’époque. Sur la scène électronique, le personnage de Cerrone donne lieu à un mélange de révérence et de moquerie. Le bonhomme a un parcours remarquable. D’origine populaire, on lui offre une batterie pour calmer ses nerfs. Il se lance dans la musique en solo et sans grand moyen, mais formule une vraie exigence qui l’amène à travailler dans des studios londoniens où il enregistre un premier morceau Love in C Minor, à partir d’un sample de musique de film porno. Personne ne veut de ce morceau qui se fraie un chemin au premier plan par plusieurs hasards heureux. Le disque tombe dans les mains d’un producteur new-yorkais à la suite d’une erreur de routage d’un carton de disques de Barry White. L’histoire se termine avec un succès de discothèques, soutenu par une imagerie avant-gardiste reposant sur l’usage d’une femme à (moitié à) poil aux côtés du bonhomme.
Après Love in C Minor, Cerrone explose avec ce Supernature dont une série de petits clips « porte d’entrée vers le catalogue du bonhomme », ressortis opportunément cette semaine, racontent l’histoire. Le morceau est composé à partir d’un synthé que le musicien s’est fait offrir. Il crée ensuite en vidéo un clip inspiré par l’univers de l’Ile du Dr Moreau, le roman de H. G Wells sorti en 1896, et s’arrête sur des textes supposément « co-écrits » avec Lene Lovich, qui prennent avec le temps une formidable portée prophétique concernant le développement durable et la mise en danger des espèces. Musicalement, le morceau est co-signé Cerrone/Alain Wisniak sans qu’on sache qui a fait quoi là-dedans.
Just don’t know, what it can mean
Things change out there (everywhere)
In the universe
And things get rearranged
Word, girl
It’s a superficial type of thing that’s happening
Once upon a time
Science opened up the door
They would feed the hungry fields
‘Til they couldn’t eat no more
But the potions that were made
Touched the creatures down below, oh
And they grew up in the way
That we’d never seen before
Supernature
Le résultat est assez miraculeux, entre protofunk, electro avancée, disco et musique spatiale. On se croirait dans un roman de JG Ballard, entre Sécheresse et le Monde Englouti. Le morceau aura du reste été le seul engagement artistique évoquant la menace climatique et l’écologie dans une cérémonie dominée par les enjeux socio-sexuels attachés à la diversité.
Dès lors, Cerrone se repose un peu sur ses lauriers et c’est à partir de ces années là 1977-1978 que son image de pionnier s’altère. Il abuse de la formule, produit, écrit peu, signe encore quelques tubes (comme le déjà plus contestable Give Me Love) avant de vivre de ses rentes. Il disparaît, laissant derrière lui un petit chemin semé de remixes et autres versions plus ou moins fumeuses. Cette éclipse met en doute sa conviction et ses motivations. En 2001, la relecture de son travail par Bob Sinclar, qui occupe un peu la même position entre menace mainstream et avant-garde artistique, le remet en selle. Mais l’essentiel de « l’oeuvre » tient sur quelques plages géniales composées avant les années 80. Les amateurs chérissent tout de même (par goût du kitsch) sa BO de Dancing Machine, film devenu un peu culte avec Alain Delon, Patrick Dupond et Tony Kinzinger. Il faut être fan de Delon ou de nanars pour s’enthousiasmer mais quel talent !
Le clip de Supernature a bénéficié (effet JO oblige) d’une restauration et d’une remastérisation qui mettent en valeur la créativité qui présidait à l’époque. C’est d’une beauté manifeste que la révision sublime en dévoilant de manière opportuniste les poils pubiens de la jeune femme qui apparaît au bout de 2 minutes. L’instant est fugace mais assez fabuleux. Ces quelques boucles qui passaient à l’as dans la version originale par pudeur et peur du scandale, sont ici dévoilées avec appétit par un mouvement ralenti qui les sublime littéralement et nous offre un moment de poésie et d’érotisme splendide. Bravo à Cerrone et ces équipes pour cette initiative qui a défaut d’être très féministe (rien de tel qu’une femme à poil pour prospérer dans le monde du disco – c’est ce qu’il faut retenir) souligne la modernité de ce chef-d’œuvre.
On retrouvera ci-dessous outre le clip original « sans poils », deux vidéos documentaires qui exposent un peu plus en détail l’histoire (vue par Cerrone) de ce morceau.
trop marrant. j’aime le ton incisif et humoristique.
Merci !