Christine and the Queens / Redcar, Les adorables étoiles
[Because Music]

7.3 Note de l'auteur
7.3

Christine and the Queens - Redcar les adorables étoilesOn avait quitté Christine and the Queens en mauvais termes avec Joseph. La chronique avait provoqué un tohu-bohu monstre dans l’industrie du disque, et on s’en était presque voulu. À l’époque, Héloïse Letissier traversait une tempête médiatique, s’apprêtant à se faire baptiser… Rahim. Finalement, elle opta pour Redcar. Pas « vélo », ni « traîneau et ses rennes », mais « rouge voiture ». Plus sûr. On meurt moins facilement d’être une voiture (et non dedans, nuance) qu’un Rahim, de nos jours ; on réussit mieux sa vie aussi. Bon, ça tombe bien, car on aime les grosses cylindrés. Surtout en ces temps d’essence cher : ce sont des objets en voie d’extinction. Un pas de… euh… un km/h de plus vers une possible réconciliation ?

Sortir du garage

Redcar, les adorables étoiles n’est pas l’album qu’on veut nous faire croire. On attendait un disque de renaissance, intoxiqué par une nouvelle déconstruction, plein gaz vers l’avenir de tous les moi possibles. Du tout ! Au contraire, c’est un album se cramponnant aux irréductibles années 80 du passé, new wave de papier glacé. Ma bien aimée byebye s’ouvre comme Unless de The Pale Fountains et sonne comme le Bryan Ferry plein phare. On sent comme un bourdonnement interne chez Redcar, le genre à pousser une major comme Because Music à donner carte blanche de peur de voir son artiste péter une durite. L’introduction est pleine d’élans, et à écouter les ébauches de direction de la voix de sa chanteuse, on entrevoit les intersections du morceau, ce qu’il aurait pu être avec un contrôle technique comme garant. Reine parce que despotique, c’est d’une liberté sans limite (de vitesse…) dont elle bénéficie. C’est souvent une chance pour un artiste ; cela peut aussi être un écrou.

Plus encore avec cet album, Redcar rappelle en tout point le débridement de John Maus, jusque dans ses phrases cryptiques et ses travers. À ceci près que celui-ci retourne ces mêmes sonorités, à première oreille 80’s, contre elles-même, évoluant alors plus drastiquement dans une bulle en dehors du temps et d’autres marqueurs. Ici, l’univers musical change de teinte, mais jamais de couleur. La transformation n’est donc pas aussi radicale qu’imaginée, d’autant plus quand elle se signalait en grande pompe par un changement de pseudonyme, décision plus que risquée pour un(e) artiste solo de cette trempe. Alors qu’on espérait un revirement aussi drastique la rapprochant d’une Aya ou de Dorian Electra, l’album tout entier est enrobé dans une simple (mais très belle) cuirasse 80’s / 90’s. My birdman ou à la claire fontaine pourraient être des morceaux figurant chez les Madonna, Sade ou Björk de ces années-là. Tacot intello qu’il est, Redcar se sent dans l’obligation à moulte révérences auprès de Michael Jackson, le temps d’un hennissement, ou Rihanna, l’espace d’une vocalise. Le génial et ramassé Looking for love met la gomme comme un morceau d’Underworld pour mieux prendre la corde d’Animotion, genre new wave romantique. Les sonorités de cuivres luisent comme les rampes de ces clubs dont Redcar emprunte l’ultra-esthétisme : l’ambiance viriliste du Only God Forgives de Nicolas Winding Refn entremêlée au queer du Querelle de R. W. Fassbinder, sans oublier Portier de nuit. Une ambiance Jean-Paul Gauthier qu’on aurait pensée übersexuelle mais qui conserve l’asexualité poétique de son ancienne chanteuse. Dommage, une volte-face brutale accompagnant sa nouvelle identité aurait été bienvenue.

On s’aide un peu du clip de la très moyenne La chanson du chevalier en avançant cela, mais force est de constater que la nouvelle Redcar ne tamponne pas vraiment dans le neuf. Et encore moins qu’à l’époque de Chris et Christine. Loin de là l’idée de dire que sa musique était précurseure, mais les premiers albums avaient cette liquidité, cette hybridité mélangeant astucieusement l’ancien dans du nouveau. Avec Redcar, les adorables étoiles, cette couche de peinture innovante s’évapore en même temps qu’elle délaisse la dimension hip-hop de sa musique d’hier, et cela malgré les multiples clins d’œil mentionnés.

Un jour, il faudra s’interroger sur cette étrange obsession qu’ont des artistes à la pointe du progressisme à se réfugier dans un automatisme conservateur : celui de chérir musicalement le passé. Bien que Héloïse Letissier ait beaucoup performé dans la bien-pensance de cette idéologie trendy validée par tous médias qui comptent, celle-ci s’est toujours paradoxalement refusée (consciemment ou non ?) à en badigeonner sa musique. Nous pouvons railler ou louer ses prises de positions extérieures en nos lignes, sans pour autant en tenir compte dans la notation. Mais quid de l’utilité de ce discours s’il ne rentre pas en écho avec la musique ? Nous n’avons rien contre les changements d’identité et de nom : Bowie en faisait sa marque. Mais qu’apporte « en gasoil neuf » Redcar à Christine and the Queens ? Peu. Et on n’a bien du mal à dire quoi.

En voiture, Redcar !

Cette démarche nostalgique de collages, d’emprunts et de relectures d’une époque qui s’éloigne de jour en jour peut dès lors difficilement collée au projet – disons – posthumaniste de Redcar, les deux étant pourtant sous-entendus l’un dans l’autre à travers le titre de l’album et son nouveau pseudo. Combien de temps dureront ces injonctions contradictoires ? Entre Icehouse et Simple Minds, la piste et son rythme légèrement reggae dub sont grandioses, valant pour son travail spectaculaire sur ses guitares mythiques et son intimidant chœur de voix, d’autant plus que l’album fut réalisé seul. Mais voilà, les nouveautés sont loin de nous. La variabilité de la durée des pistes témoigne à la fois d’un triste pétage de plombs dysphorique tout autant d’un débordement de générosité. On a eu ce même problème avec La Femme, il y a peu.

Je te vois enfin est un peu vain et vide. Bien que l’on se plaigne d’un changement d’univers palpable mais peu radical, elle est la seule piste à renouer avec la Christine d’antan et son pédantisme présumé de lettrée. C’est une critique qui lui était fréquemment adressée, qu’il faudrait renommer plutôt comme une écriture hors sol dérogeant au commun. Le lexique de Redcar a le mérite de revivifier une langue française (on entend des termes comme : chaloupé, brasier, chenapan, bille, fange, etc.) réduite à peau de chagrin dans la pop. Pour revenir à Looking for love, l’ultra-lyrisme de l’écriture prend sens dans la pureté de la musique – « Ce monde est si cruel, mets ta main dans la mienne, / Mets tes lèvres sur mes lèvres » – donnant à la piste une allure de musique de films pour enfants, type celle de Limahl pour The NeverEnding Story. Ce n’est pas grave de ne pas comprendre le propos, tant qu’il y a du beau! Mais que faire quand il n’y en a plus ? C’est comme être victime d’une imposture. Des phrases comme « À la claire fontaine de tes baisers » (à la claire fontaine) ou « Les étoiles se parlent, mère » (Les étoiles), déclarées avec la plus solennelle des ostentations, quand elles sont jouxtées à des carrosseries musicales fendillées, achèvent de rendre au mieux involontairement drôle, au pire incroyablement péteux certains titres. C’est tout comme si cela avait été écrit par un élève de lycée, la tête plein d’éther et ne pouvant dialoguer qu’avec soi-même. Nous n’irons pas jusqu’à dire que l’on atteint le kitsch de Fishbach, mais c’est avec ce genre de piste que cette écriture sibylline trouve ses limites : celles du ridicule.

La critique de ce disque est difficile, car elle oblige à se dépareiller de nos préjugés tout en se penchant légèrement sur le hors-champs de l’album. Celui-ci est plastiquement impressionnant et solide. On en dira tout autant sur le « klaxon » de Redcar. Mais à mesure que l’on avance, le sentiment de déception point. C’est tout comme si notre imaginaire se déchargeait par tant de démonstrations. Il se conclut par un Les âmes aimantes plein de rodomontades, dont la dernière minute touche au sublime, avec ses synthés vrombissants. Redcar, les adorables étoiles est un album empli de rébellion et de revanche. On est impressionné de quoi peut accoucher Héloïse d’un tel shitstorm, shitstorm dont elle continue à pâtir sur la toile. Nous aimerions qu’elle reste indifférente à ces réseaux tout autant que de cette idéologie semblant plus la miner que la servir. Même si l’histoire qui nous semble être contée relève en partie de raisons personnelles (une révélation suite au décès de sa mère), on peut juger un peu absurde, aléatoire et enfantin d’avoir créé tout un univers (un album, une comédie musicale) aussi à la suite d’une bête dispute générale. Ce n’est pas ce genre de raison qui nous convaincra de changer de statut, quand bien même il s’agisse de devenir un levier de vitesse ou… un mange-disque.

Tracklist
01. Ma bien aimée byebye
02. Tu sais ce qu’il me faut
03. La chanson du chevalier
04. rien dire
05. à la clairefontaine
06. Les étoiles
07. Mémoires des ailes
08. Looking for love
09. My birdman
10. Combien de temps
11. Je te vois enfin
12. Angelus
13. Les âmes aimantes
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