On ne sait pas comment l’expliquer, mais il arrive que les prétendus dieux de l’inculture et de la bienséance médiatiques tirent au hasard un groupe qu’ils portent aux nues, afin d’instiller une ligne de conduite à la plèbe, un « savoir-entendre » (à défaut d’un « savoir-écouter ») aux manants, une coolitude dans un pur but d’instruction humanisto-commerciale désintéressée : convertir la flâne en bête valeur d’achat doublée d’un acte moral, pour mieux faire lubrifier la pilule. Il s’avère que dans ces élus, se cachent quelques impostures : The Blaze est la plus belle. Jungle, second album, confirme la chose et la contre-signe : ce n’était pas qu’une impression…
Michel et Augustin (en visite) à la jungle
Dans très peu de temps, ChatGPT et d’autres algorithmes pourront produire une musique un tant soit peu écoutable. Les cousins Guillaume et Jonathan Aldric doivent dès maintenant s’inquiéter : leur musique est un électro d’ascenseur qu’on écoute d’une oreilles endormie. Lullaby et ses désagréables voix dépitchées, sonnant comme un Jimmy Somerville sous corticoïdes, nous inspirent une mort cérébrale : rien, si ce n’est l’originalité de photos satellites comme Google Maps en génère tant (nous craignons que la pochette nous ait influencés). Alors que Jungle semblait nous promettre un soupçon de climat enfiévré, la plage à dénomination guerrière Clash ressemble à un morceau d’un M83 du pauvre produit pour U2. Puisque le premier album s’appelait Dancehall (2018) et que celui-ci se nomme comme un autre genre de musique frappé d’une touche d’africanité (c’est elle qui prime, la jungle étant un genre de drum’n’bass plus rapide, bien qu’elle soit de la techno avant tout… anglaise!), nous nous faisons à l’idée que les garçons n’ont rien compris aux genres musicaux dont les albums se réclament, car Jungle en est dépourvu. À défaut, il plonge la tête la première dans la plus plate des house progressives, et même – un peu moins commun pour le coup ! – de son héritage post-punk (U2 donc, ou l’imblairable Intro de The XX). A priori, il y a donc encore tromperie sur l’emballage… La bêtise, ça insiste!
À défaut d’être exotique de nature, les « créolisés imaginaires » de The Blaze se décident de l’emprunter ; ou pire : de le piller, comme avec l’uranium il y eut un temps. Malgré cela, les pistes, toutes aussi tartes et bidonnes du genou, ne se distinguent presque jamais entre elles. Les sonorités de la navrante Dreamer ne sont pas sans rappeler un « tout-petit-petit peu beaucoup » celles de Grand Soleil, et par conséquent un « tout-petit-petit-petit peu » à Daft Punk. La « république électronique » a toujours brillé ces trois dernières décennies par des groupes frenchies dont les sources d’inspiration venaient exclusivement d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique. The Blaze en partage quelques-unes. Le hic, c’est que le groupe revendique, implicitement mais sûrement, un métissage à fois pictural (a priori, si cela se limite à cela, c’est pas notre problème…), mais aussi lyriquement (… et là, patatra : la logique de dénomination et du choix des paroles, c’est là de notre domaine) : une appartenance outre-méditerranéenne. Or, l’ennui est le suivant : il n’y en a pas ; cette revendication ne trouve aucune justification, si ce n’est de se construire incognito une image commerciale de bon samaritain! Musicalement, le seul bon titre Siren, sauvé par son absence de voix castrée, renvoie à des artistes comme Arno Cost ou le monumental Leave The World Behind de l’ex-Swedish House Mafia, soit Axwell, Sebastian Ingrosso, Steve Angello, mais aussi plus largement Avicii et toute la clique sans qui ce cancer des colons The Blaze n’existerait pas.
En somme, tout renvoie musicalement à des artistes venant des pays les moins sudistes de l’hémisphère nord : la Suède et, comme nous allons le voir, la Grande-Bretagne. Haze et Bloom, par exemple, ressemblent respectivement à du Steve Angello et du Eric Prydz mille fois ponçés, sans une graîne de leur talent. Elles seraient néanmoins pas mauvaise si leur potentiel n’était détruit par ses mêmes effets de voix évoquant un bâillement dupliqués partout (il leur faut une signature crapoteuse, voyez-vous) et dont l’effet pourrait être répliqué par un enfant connaissant la manip. Pour noyer le poisson, le duo pioche aussi en Angleterre en faisant ressembler son Lonely à un pot-pourri mêlant l’horrible Calvin Harris, un peu du Sweet Nothing de Florence and The Machine, et ce giga thème TikTok qu’est Can You Feel My Heart de Bring Me The Horizon. Tout est facilement reconnaissable, mais nous allons choisir de faire comme si nous leur apprenions. À vrai dire, après dix secondes de réflexion : nous croyons finalement en leur irréflexion.
Cancer des colons
On n’a pas l’habitude de s’appesantir sur les paroles avec un album électro, mais il faut dire que le groupe en fout puérilement partout. Alors ? Elles sont d’une bondieuserie droit-de-l’hommiste à débagouller une piscine de miasmes. Au hasard : « I was lost in space, trying to find a place / With no border to face / In the night, I’ll find my way / As a dreamer (x3) / (Open the gate, there’s love to make / There’s dust and love) (x3)« . Ode à l’ouverture des fenêtres aux SDF de l’amour un samedi soir ? Slogan sans-frontiériste pour SOS Méditerranée ? On ne le sait, mais c’est l’éternel fonds de commerce sur lequel repose The Blaze. Madly, commençant comme du The Prodigy, se voit lapider par un vocal singeant l’accent dominicain. Mais quand on entend sur Eyes un « I can not get no sleep » remplaçant feu Maxi Jazz de Faithless, c’est là qu’on explose. Ne serions pas, depuis quatre paragraphes, en train d’aligner des arguments nous poussant à nous poser la question suivante : ne serions-nous pas devant l’une des plus grosse tentative masquée d’appropriation culturelle ? Et… à pouvoir y répondre par l’affirmative? Aucun fan de musique ne peut se réjouir de telles accusations, tant la musique est par essence une histoire d’entremêlage d’altérités. Mais quand même… la duperie semble grave car perfidement pensée.
Il semblerait donc que Jungle s’inscrive dans l’exacte continuité de Dancehall. Pendant qu’on est entre amis, votre pronostic du titre du prochain album : « Reggae » ou « Rock »? À mauvais entendeur, on mise sur le plus « rastafisé » ! On appelle cela le « syndrome Jungle » (le groupe britannique, entendons-nous bien!), se prévalant d’être plus noir que leur véritables influences, alors… qu’exclusivement blanchâtres! Il y a une volonté d’instrumentalisation dont on soupçonne un « racisme bienveillant » et inconscientisé. M.I.A., que l’on soit d’accord ou non sur son discours frontal et engagé pro-réfugiés, faisait honneur à ces-derniers grâce à son courage et sa musique. Comparé à M.I.A., The Blaze ne met rien sur la table, n’avance rien, ne revendique rien, si ce n’est à demi-mots un imbuvable « exotisme » d’apparence, assis sur un vide béant rempli d’intérêts moraux (et pas que). Évidemment, le duo est d’une telle rouerie qu’elle nous alimente en arguments pour, sans pour autant nous rendre sûrs et certains. Mais le bénéfice du doute marche plus qu’à plein régime. Pour l’instant, ils sont du bon côté de la barrière, et du filon. Pour l’instant…
Jungle est un album fait pour vendre des caleçons, en-dessous du moyen mais au-delà du nul pour qu’on s’en amuse ; une fausse musique pour personnes tout aussi fausses, avatars désincarnés en manque d’être souhaitant se donner un semblant de bonne conscience à moindre frais.
02. Clash
03. Dreamer
04. Madly
05. Haze
06. Lonely
07. Siren
08. Bloom
09. Eyes
10. Dust