Le plus grand morceau de 2020 est une démo. Il n’y aura pas photo à la fin de l’année : toute la France est là, racontée dans un exposé visionnaire et prophétique, extralucide et tragique, scandé par un spoken word mécanique et qui vaut tous les romans du monde, pétri de punchlines maléfiques et d’observations cruelles qui dépassent toutes les analyses sociologiques de ces dix dernières années.
Tout est vrai. Tellement vrai.
Mis en ligne il y a quelques semaines sur YouTube, ce morceau de plus de 13 minutes a été déposé par le rappeur Stick accompagné d’un petit texte de présentation qui en explicite le projet. Écrit il y a trois ans, peu avant l’album Glossolalie, cette version moderne du titre phare de Renaud, Hexagone, raconte la France d’aujourd’hui avec une force et une ambition qu’on avait pas croisées depuis De la Neige en Eté de Diabologum. Avant les gilets jaunes et le coronavirus, le rappeur toulousain évoque la vie quotidienne en France avec une précision, une violence et une amertume qui font de ce morceau la chanson réaliste la plus puissante et inspirante qu’on a entendu depuis vingt ans.
La production, inaboutie comme l’explique Stick (il n’a jamais pu mettre un point final au morceau), est signée DJ Hésa. Le dispositif est simple : une ligne de claviers, un beat et puis pas grand chose d’autre. Raconter la France mois après mois et sur toute la duréee d’une année. La voix est nue, stupéfiante. Elle met fin à elle toute seule à tout ce que le rap contemporain et moderne a pu dire de la société. Stick rend caduque le travail d’Orelsan, de Grand Corps Malade et de tous les rappeurs sociaux qui ont essayé de divertir le grand public en essayant de donner une vue sur l’état du pays.
Son #Exagone parle politique, droits sociaux, vie familiale, couple, médias et passe en revue toute la réalité comme l’avait fait Renaud en 1975. 45 ans plus tard, les réseaux sociaux et les médias ont pris une place essentielle dans le dispositif mais le constat est sans appel : nous en sommes là. Toujours là, dans la misère et un bain d’inégalités. Organisé autour des célébrations du nouvel an, #Exagone est un voyage hypnotique, affligeant et formidable dans ce qui fait la société moderne. Le meilleur texte de littérature de 2020 est là….
Ils se Skypent au mois de janvier en se souhaitant une bonne année
Du sky, du fric et la santé même en se sachant condamner
Ils sont damnés depuis la mouille de Marie sur le gland de Dieu
T’ouvre grand les yeux quand ton pote se tape l’amour de ta vie
Elle lui envoie sa chatte sur Snap, elle t’repaie un shooter
Et si la route est pleine de flaque, il te prête même son scooter
Tu peux faire la queue à la Fnac pour échanger un présent
Mais ça changera ni un passé, ni un futur oppressant
Devant la machine à café tu te remets du nouvel an
C’était y a une éternité dans ce monde en mouvement
Et puis la vie suit son cours et Facebook suit ta vie
Depuis l’temps, ta photo d’profil c’est toujours #Je suis charlie
T’avais des bonnes résolutions puis tu rachètes un paquet de clope
T’en auras pas sale clodo, j’en lâche même pas à mes potes
Et « sale bobo », crie le clodo, mais le bobo n’est qu’un chômeur
Qui rêve de gagner au loto, il n’y joue pas mais il attend son heure
C’est le bonheur, la vie est belle comme une pub pour l’iPhone
Le malheur chez Apple a dit Steeve Jobs : « C’est tout pour ma pomme »
Çà fait vriller de voir les autres partir au ski
En février, t’es déprimé et t’aimerais bien partir aussi
Mais y a ce boulot à la con qui couvre à peine ton découvert
Les mains sous l’eau à la plonge et les bourges remettent le couvert
T’es tout vert comme la chatte de miss Hulk en voyant ta paye
Et t’ouvres une ‘teille à chaque dispute en noyant ta peine
La voyante appelle les esprits, larmoyante, a-t-elle baissé le prix ?
Pas croyant, t’arpentais cette vie en broyant la tête des ennemies
Mais les cartes sont truquées, on en paiera tous le tarot
Tu tutoies l’bonheur devant un tuto, bien s’faire un garot
Mais tu te tutoies où plutôt, tu te suicides au final
Sans l’vouloir, tes défouloirs te conduisent aux couloirs de l’hôpital
Il fait tout noir, ton père a dit de la mettre en veilleuse
Tu cherches des ill-eufs pour voir ton paradis juste en fermant les yeuz
En apparence, elle est mielleuse malgré sa voix d’garce
La dame blanche provoque des avalanches même en plein mois de mars
Ça m’saoule, mais j’peux pas dire à mon pote « fais pas ça t’es con »
Les traces de coke sur son Samsung ressemblent à un passage piéton
Pris en otage parce que ce genre de meuf te braque
Mais qui peut résister à sa schnek de Viet et ses seufs de black
Les keufs te braquent comme si ils cherchaient une tumeur
De bonne humeur, les cloches ont planqué du crack dans un œuf de Pâcques
Le veuf se tâte à en finir d’un coup de carabine depuis qu’il dîne en tête à tête avec TF1, c’est tout
Peut-être qu’il finira comme David Caradin en se branlmant devant une photo de sa défunte épouse
En avril, elle se découvre pas d’un string, cette mini biatch
Fan de Nabila et de Nicky Minaj
Avant, elle était sage comme une image
Mais à présent, à treize ans elle taille des pipes à l’arrière du gymnase
Son maquillage lui donne quelques années de plus
Elle fait la pute dans les boîtes, se fait draguer à chaque arrêt de bus
Le chacal est précoce, il retrousse son satané prépuce
Mais vu qu’il est très moche, pour qu’une sale tasse-pé le suce
Il emploie la force, prend un selfie quand il envoie la sauce
Pendant qu’celle-ci reste sans voix, des gens voient la chose
Mais ne bougent pas, préfèrent éviter les problèmes
L’humain, le Diable se promène et nous entend réciter des poèmes
C’est la bohème devant les bars, ça sort l’accordéon
Le regard brille devant la quille de Saint-Nicolas de Bourgueil
Et même si il se fait tard, on a encore des ronds
Ça part en vrille, bagarre en ville, on se niquera œil pour œil
Pour l’heure, pas de mois de mai sans manif
Dès le premier, j’vois défiler quelques adolescents naïfs
Au pied de Jeanne d’Arc, des vieux slogans haineux sur les pancartes
Et ça crie au scandale quand les gendarmes les embarquent
Les gens craquent, mais bon la CGT se félicite
Depuis un demi-siècle on les voit s’agiter dans l’hémicycle
C’est des missiles qu’il faudrait diriger vers tous ces cons
Qui nous dirigent et nous divisent en attendant que tout s’effondre
Et tous ces ponts durant le mois donnent envie de se jeter sur le périph, stop
Faut qu’je poste ça sur périscope
Les riches dopent de la coke aux pauvres qui rêvent de devenir riches
Parce que c’est chic et parce que c’est l’shit des années 2010
Début juin, elle est en chien, elle pense à faire la mule
C’est ramadan, tu fumes un joint dès que les lampadaires s’allument
Apparemment ça sent l’été, elles ont les jupes au ras de la chatte
Ca rêve de plage mais dans les ZUP ça traine juste au ras d’l’asphalte
Et quand les stups débarquent à quatre, c’est pas pour taper une belote
Mais pour te passer un savon ou bien te passer les menottes
Y a un T-Max qui passe à fond, s’amuse à faire le tour du hood
En levet, et le mec à l’casque autour du hood
C’est cool, et puis un p’tit traverse la route pour choper son ballon
Pendant que son daron prenait une rousse en levrette
Levée sur AdopteUnMec, chérie j’amène le p’tit au parc
Depuis des semaines, des traces de sperme sur les sièges du Clio 4
Le petit crève, tu cries au drame, t’as du te sentir assez nul
Quand le conducteur du scooter s’est pendu dans sa cellule
Ces gélules t’aident à tenir le coup matin, midi et soir
Mais la rousse à appeler ta femme, elle a pas bien fini l’histoire
Les plaies ne se referment pas toutes les points de suture achevés
Quant à l’avenir, les futurs bacheliers ont du mal à l’épeler
Le temps s’est arrêté, c’était la dernière épreuve du bac
Devant les profs, t’as fait preuve de tact, une heure plus tard ça s’abreuve de Jack
On parle de fac et de colloc’, on se la colle, on boit
On a l’monde à nos pieds puis on l’traîne chez Pole Emploi
C’est la dure réalité, crève à l’usine et galère en fin d’mois
Faites de la musique, l’été est enfin là
Alors ça chante et ça picole, rivières de pisse dans les rigoles
Y a un concert au Capitole, j’irai bien brûler leurs idôles
On boit le pastis, on rit jaune quand les keufs nous visent
Dans sa piaule, un homme se pignole devant des snuffs moovies
Sa daronne est au salon, bourrée en chemise de nuit
On sait pas où est le daron mais elle s’est pas remise de lui
Elle veut plus d’homme à la maison pour pas revivre ces souffrances
À la télé, la nouvelle star fait une reprise de Douce France
Tous pensent qu’un jour ça ira mieux, ils continuent de vivre
Se foutent des contenus des livres, c’est bientôt les vacances
Ils ont loué un mobilum dans un camping du bord de mer
C’est un peu cher, ils en profitent tant qu’ils peuvent encore le faire
Et puis c’est bien pour les petits, en plus ils grandissent trop vite
La semaine dernière y avait un lien de site porno dans l’historique
Y a des promos, ces hystériques qui s’entre-tuent pendant les soldes
Elle est trop belle ta nouvelle robe, mais c’est du sang ou une nouvelle mode ?
Il vomit dans la poubelle jaune en rentrant de soirée
Il sait pas si c’est écolo, mais à c’t heure il s’en bat les couilles
Sa maman est toute folle, s’demande c’qu’elle a foiré
Son fils est alcoolo, suit pas les cours et paye pas les courses
Il vide le frigo, vole du fric dans son sac
Fume du shit dans sa piaule, écoute du rap, joue à la PS4
Elle s’tape le ménage, il repart en virée
Il veut vingt balles, elle les a pas, il rêve de parents friqués
Ouais c’est marrant, J-B lui a mis une sacrée schiste
Il en a rien à cirer quand elle lui parle de sacrifice
J’suis un sale gosse tu sais, à quoi tu veux qu’je participe
C’est le quatorze juillet, ce soir, y a le feu d’artifice
Un peu partout ils fêtent la prise de la Bastille
La liberté tu l’as voulu, tu l’a prises dans la pastille
La révolution, mon cul, les cravates remplacent les couronnes
Mais j’ai pas d’solution non plus, vas-y embrasse mes couilles moles
Bientôt ils sortiront plus, trop de menaces désormais
Ils jouent au nouveau GTA spécial promenade des Anglais
On passe la pommade et ça y est : tu peux ressortir consommer
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