Plus grand monde ne se passionne pour les albums strictement électroniques. C’est sans doute une erreur quand on se confronte à l’infinie profondeur et à la magie d’un disque tel que Ondas Horizontales, le deuxième album enregistré sous le nom de Tambores En Benirras par le DJ, producteur, musicien anglais Graham Newby, plus connu sous le nom de Gripper.
Ceux qui ne connaissent pas le parcours de ce vétéran du clubbing iront voir en ligne du côté de l’Hacienda à Manchester où il a établi une partie de sa renommée au milieu des années 80, avant de revenir au bercail et d’offrir à sa ville natale, Barrow In Furness (la ville de Aim et du label Atic Records également), le meilleur des nuits éléctroniques de l’Ile. Gripper a dès lors passé plusieurs décennies à mixer pour les clubs, à produire de la musique et à faire quelques disques, collaborant notamment avec KRS-One, Mobb Deep, Shaun Ryder, Niko, Aim ou encore Shaun Ryder. Son unique (?) album solo, A Life Of Consumate Ease, chez Atic Records est une petite merveille dont on retrouve une partie des qualités dans ses nouvelles productions.
Établi désormais à Ibiza, comme de nombreux citoyens de sa majesté, Newby a signé en 2021 un premier disque de musique baléarique sous le nom de Tambores En Benirras (les tambours de Benirras), Orbe Dotado, dont Ondas Horizontales est le prolongement et la sublimation. Pour être complet sur le contexte de production de ce nouveau disque enchanteur, il faut ajouter que cet album a été fortement marqué par la dégradation de la vue de Newby qui, souffrant régulièrement de problèmes de vues depuis des années, est devenu officiellement et administrativement aveugle alors qu’il entamait la composition du disque. Si cette perte d’un sens majeur ne s’est pas faite soudainement, il est évident à l’oreille que (selon ce qu’on raconte de la cécité), la perte de la vue a profondément restructuré l’approche du monde, du soleil, des décors naturels. C’est tout cet arrière-plan humain, géographique et artistique qui s’exprime à travers cette grosse heure de musique et ses dix titres.
Ondas Horizontales s’inscrit dans la lignée des musiques baléariques pastorales, c’est-à-dire un pan « reposant » des musiques de club, plus proche du chilling que de la danse outrancière en boîte de nuit. Les tempos sont ralentis, avec de la lumière et de la positivité exprimée autour d’un canevas ambient divin et irrésistible. Composé dans un solitude totale, en partie durant le confinement, le disque est imprégné par les dernières visions de couleurs, de sensations, de paysages d’un homme qui sent sa vue disparaître et se gorge de ce qui lui reste à vivre et à voir. Les pièces émargent presque toutes au delà des cinq minutes et prennent leur temps, ouvrant des instants de contemplation sur ce qui entoure, des fenêtres dans un espace empli de beauté et de bienveillance. A l’inverse de son précédent disque, Ondas Horizontales est un disque sécurisant et lumineux, un disque dont la profondeur sonore enveloppe l’auditeur, le caresse et lui fait du bien. La musique de Tambores En Benirras donne le sentiment, à l’image de sa pochette, qu’on baigne dans un liquide amniotique tiède et revitalisant.
On ne va pas faire de grands effets et commenter les morceaux un à un mais on retrouve aussi ici quelques motifs musicaux caractéristiques de l’auteur avec une légèreté, une souplesse et des rebonds aux accents funk ou soul, qui servent formidablement l’ensemble et apportent du peps aux morceaux. C’est le cas par exemple sur le génial Generado de Rayos qui respire autant les influences d’Ibiza que la pulsation northern soul de Manchester. Sur Molokono, le tapis ambient est enrichi de nappes cuivrées, d’échos féminins et de quelques traits pop qui éveillent la mélancolie et la tristesse comme si l’on entrait à la nuit tombée dans un club de jazz endormi.
Le titre Ondas Horizontales est assez emblématique de ce que fait Gripper ici : créer autour de lui un mirage éblouissant aux références infinies mais fondues en un seul (et dernier?) geste artistique qui tente de re-saisir tout ce que recouvre l’expérience d’être au monde, de naître et sûrement de s’effacer. Il y a dans ce titre formidable (notamment sur ses 2 dernières minutes) toute la beauté du monde qui est encapsulée et dévoilée sur un battement.
Ce disque est une petite merveille d’équilibre et de poésie, qui touchera au cœur les amateurs d’électronique, de musiques silencieuses et de soleil bleu. Si vous ne devez vous procurer qu’un seul disque instrumental cette année, cela pourrait bien être celui-ci, un disque de réconfort et de paix au cœur d’un hiver tumultueux. Ondas Horizontales pourrait être remboursé par la Sécurité Sociale.