Ok, il y a mort et mort. Ceux qui se la donnent et ceux à qui l’on prend la vie… contre leur gré. Ceux qui se contentent de chanter des trucs qu’ils avaient fait de leur vivant et ceux qui, depuis leur tombe, organisent leur carrière pour après. Ceux qu’on altère en isolant leurs vocaux et ceux qui ressuscitent depuis leur vault/basement. Avec le retour cette semaine des Beatles pour un dernier tour de piste fantomatique, mais tout de même assez cool, avec Now and Then, single qui vaut bien l’en colère des Rolling Stones (qui eux sont hors champ), on voulait faire un petit tour sous forme de playlist des chanteurs et chanteuses qui ont émis après leur mort, en commençant bien sûr par le roi des EVP (electronic voice phenomena), l’ami Konstantin Raudive. Contrairement à ce qu’on croit, la mort n’est pas un état définitif et binaire (on l’est/on l’est pas) : la postérité musicale montre (avec Prince et quelques autres) qu’on peut être mort et bien portant, et qu’il y a donc des degrés dans la mort.
Konstantin Raudive – Breakthrough (An Amazin Experiment In Electronic Communication With The Dead)
Avec le scientifique Raudive, on rentre dans le dur de la discipline puisque le savant letton est à l’origine de la discipline connue sous le nom d’EVP qui consiste à enregistrer (à travers un rituel mi-scientifique, mi-magique) les sons/mots/chants émis par les esprits des défunts. Pour le pire, cela donne… Ghost Adventure à la télé. Pour le meilleur, les multiples expérimentations de Burroughs, Lee Ranaldo et quelques autres, pour composer autour de ces sons volés à l’Outre Tombe. Par delà le résultat musical, les EVPs sont l’invention musicale post mortem la plus passionnante et stimulante.
Junkie XL et Elvis Presley – A Little Less Conversation
L’ami Elvis a toujours été en pointe s’agissant de vie après le beurre de cacahuète. Concert avec hologramme comme Jean-Luc Mélenchon, rééditions… mais aussi tube post mortem avec l’aide du hollandais volant Tom Holkenborg aka Junkie XL qu’on a déjà croisé et critiqué dans notre rubrique « musiques de film » (par exemple avec la BO de Sonic 2). Avant ça, Junkie XL avait eu en 2002 la riche idée d’isoler la voix d’Elvis sur cette chanson enregistrée une première fois en 1968 et de la transformer un mode techno. Bingo ! Et succès mondial…. et complètement hérétique.. mais que ça fonctionne bien..
Sparklehorse – Evening Star Supercharger
On ne va pas revenir dans les grandes largeurs sur ce dernier album posthume de Sparklehorse aka Mark Linkous. Bird Machine a été repris avec soin par le frère du défunt à partir des démos/bandes originales laissées par l’artiste à sa mort. Ont été ajoutés des instruments, des voix parfois là où elles manquaient et le résultat est épatant. Etrangement, s’agissant d’un artiste indé et puisque le résultat était au rendez-vous, personne n’a lancé un procès en indignité, ni ne s’est demandé si c’était bien bien réglo de faire tout ça….
Freddie Mercury – Living On My Own
Voilà une chanson à qui on aura fait subir plein de sévices musicaux. A l’origine, en 1985, figurant sur le premier album solo du chanteur de Queen (Mr Bad Guy), Living On My Own n’a pas tellement attiré l’attention. Mais c’est en 1993, soit deux ans après la mort du chanteur, qu’elle a bénéficié d’un remix de la part de trois professionnels du genre Serge Rameakers, Colin Peter et Carl Ward, pour devenir un ENORME succès planétaire. Les remixeurs ont boosté le potentiel déjà bien ancré dans l’original du titre pour en faire une bombe irrésistible. Les amateurs iront écouter en face B du single la 2nde version dite « américaine » qui est encore meilleure/pire.
Klaus Nomi – Cold Song
Pas d’embrouille particulière avec Klaus Nomi qui meurt bien le 6 août 1983 à New York et dont la carrière et le succès-éclair se prolongeront surtout à travers des sorties (et non des enregistrements posthumes) puisqu’aux deux seuls albums originaux Klaus Nomi et Simple Man s’ajoutent par la suite la décisive compilation Encore et un Live avant les rééditions cette année qui font aider à bâtir sa légence. Son plus beau morceau s’appelle Death tiré du Didon et Enée de Purcell. Klaus Nomi est la preuve « vivante » que la mort n’est pas du tout un obstacle à une carrière à succès.
Beatles – Free As A Bird
On a tendance à oublier aujourd’hui l’épisode Free As A Bird, qui en 1995, avait fait à peu près la même chose que ce qui s’est noué ces jours-ci autour des Beatles. A partir d’un compo/démo de John Lennon datant de 1976, les trois Beatles (ThreeTles, comme on les surnomma à l’époque) complète les blancs et enregistrent ce nouveau morceau, ainsi qu’un second Real Love, selon un schéma assez rigoureusement identique à celui qui donne naissance à Now And Then. La démo est contemporaine et le travail semblable à cette réserve près qu’un deuxième Beatles a disparu entre temps.
Jeff Buckley – Nightmares By The Sea
Mort noyé en 1997, Jeff Buckley n’avait signé (de son vivant) qu’un seul album, Grace. L’enregistrement de son deuxième album, qui sortira plus tard en 1998 sous la pression de Columbia, est très controversé car il s’appuie sur des sessions considérées comme désastreuses par le chanteur et qui aboutiront à plusieurs débandades en studio. Après la tournée Grace, le groupe de Buckley explose avec le départ de son batteur. L’enregistrement de l’album suivant est un fiasco qui donne lieu à plusieurs tentatives avortées. C’est lors de l’une d’entre elles, en attendant ses musiciens et alors qu’il semble avoir trouvé la « voie » vers une certaine harmonie que Buckley perd la vie. Il reste un disque imparfait, inachevé et qui a été remixé par d’autres. Cela n’empêchera pas Buckley de connaître une gloire posthume sans comparaison avec la renommée qu’il avait de son vivant. Il y aura encore après ça cinq albums live et au moins deux compilations.
Joy Division – Love Will Tear Us Apart
La chanson a été enregistrée en janvier 1980 bien qu’elle apparaisse un peu avant sur scène (décembre 1979 à Paris aux Bains Douches, par exemple). Ian Curtis y revient sur sa relation avec son épouse, peu après avoir rencontré (en octobre 1979 seulement) la journaliste belge Annick Honoré avec laquelle il entretient une relation platonique mais hautement « perturbante » dès cette période. La chanson sortira en juin 1980, soit un mois après le suicide du chanteur le 18 mai 1980. Elle devient l’unique chanson à succès du groupe… avant sa dissolution et sa transformation en New Order. Elle a été désignée meilleur single de tous les temps en 2022 par le NME.
David Bowie – BlackStar
Mort ou vivant ? De manière unanime, David Bowie réussit sa sortie et nous parle quelques jours après/avant sa mort à travers la sortie magnifiquement orchestrée de son album testament. Pratiquement l’album, son 26ème en studio, sort deux jours avant la mort de l’artiste, le 10 janvier 2016. On imagine que Bowie a pu assister « en direct » à celle-ci (la sortie, pas la mort) et prendre plaisir au formidable accueil qui lui a été réservé. Blackstar est un album qui n’est donc pas posthume mais qui annonce, prépare et accompagne le décès de son auteur. Chargé d’émotion, marqué fortement par l’horizon qui se profile, le disque est crépusculaire et spectaculaire habité par un Bowie vivant et mort à la fois.
Glen Campbell – Adios
Adios est le dernier album de la légende country Glen Campbell. On est en 2017 et le chanteur américain fait une « David Bowie » avec un peu moins de retentissement et de succès cependant. L’album sort en effet deux mois avant la mort de l’artiste (des suites d’une maladie d’Alzheimer déclarée en 2011) qui s’éteint dans l’indifférence relative… en plein mois d’août. Son dernier disque est pourtant tout entier tourné vers cette disparition avec l’enregistrement de chansons qu’il affectionnait et ce remarquable Adios qui fait figure de révérence terminale et classieuse à un parcours qui aura comporté rien moins que 64 albums ! Le single Adios est une des quatre reprises de Jimmy Webb qui figurent sur le disque.
Sharon Jones & The Dap Kings – Call On God
Itinéraire passionnant que celui de Sharon Jones, devenue sur le tard (45 ans) une des reines de la soul alors qu’elle a passé une partie de sa vie à jouer les gardiennes de prison et convoyeuses de fond. Sur le label Daptone Records, elle ressuscite les grandes heures de la soul des années 60 et 70 et signe des albums merveilleux au début des années 2000, avant d’être rattrapée en 2011 par un sévère cancer du pancréas. Elle tourne courageusement pendant les années qui suivent, malgré la maladie, et enregistre (comme Bowie) un ultime album poignant avec son groupe The Dap Kings en se sachant condamnée. Call On God referme sans surprise sa carrière discographique.
Nick Drake – Day Is Done
Nick Drake a-t-il jamais été vivant ? Sa vie a-t-elle eu une fin ? Est-il un personnage dans ou hors du temps ? Ignoré de son vivant, le chanteur folk anglais n’aura finalement existé aux yeux du public que grâce aux redécouvertes successives dont il a bénéficié. On n’ a jamais rencontré personne qui avait découvert sa musique entre 1970 et 1972, période de sortie de ses trois albums officiels, si bien qu’un morceau tel que Day Is Done sorti pourtant « de son vivant » sonne aussi brumeux, lointain et crépusculaire que la série d’enregistrements inédits qui nous sont parvenus bien plus tard. Le parcours de l’anglais illustre cette vérité selon laquelle la mort n’est pas si importante que ça pour les grands artistes qui lui survivent aisément.
Coil – Things We Never Had
Le destin de John Balance et Peter Christopherson est d’emblée marqué par des forces obscures, magiques et funèbres. Le duo, échappé du groupe Psychic TV, mène autour de sa musique une réflexion poussée sur l’énergie sexuelle, les forces de l’esprit et l’univers du rêve. La mort et le sexe sont au centre du tableau, si bien que Coil évolue dans un univers musical d’avant-garde qui réussit souvent à échapper au temps et à l’espace. La mort de John Balance en 2004 met fin à la carrière du groupe qui continue pourtant d’exister à travers plusieurs albums parus entre cette disparition et celle de l’autre membre du duo en 2010. La discographie se conclut en 2019 par une compilation d’inédits, continuant de brouiller le rapport au temps de ce groupe indispensable.
Nirvana – Drowned in the Sun
Le stade supérieur du disque posthume est atteint avec cette chanson Drowned in the Sun créée par intelligence artificielle et qui sonne comme une chanson fictive mais bien authentique de Nirvana. Lost tapes of the 27 club entend faire chanter à nouveau les fameux musiciens et musiciennes fauchés dans leur prime par la mort. Le groupe propose ainsi en 2021 ce morceau de Kurt Cobain qui s’inspire d’une chanson laissée inachevée par Kurt Cobain. Drowned in the sun est assez bluffante et reproduit les marqueurs principaux du groupe depuis l’introduction tranquille jusqu’au crescendo électrique qui mène au refrain. Affreux mais sûrement précurseur. On attend la suite avec une certaine impatience teintée d’angoisse. A qui le tour ?
The Beatles – Now And Then
Le truc le plus intéressant avec cette nouvelle chanson des Beatles est peut-être bien le minifilm qui accompagne sa révélation et nous permet de voir en détail ce qui a été réalisé. A partir de la contribution technologique de Peter Jackson (on veut nous faire croire qu’il a fallu attendre 2022 pour séparer le piano de la voix….), les deux Beatles du futur complètent EN TOUTE LEGITIMITE cette démo assez mal chantée par John Lennon. Le résultat est plutôt pas mal, même si un poil trop long. Les survivants n’ont pas résisté, pour justifier le déplacement, à exagérer sur l’orchestration, alors qu’un petit plus de simplicité n’aurait pas nui. Now And Then n’en reste pas moins une chanson qui s’écoute avec bonheur.
Moralité : Death Is Not The End
On ne va pas porter la poisse à Shane McGowan qui est de tous les protagonistes rassemblés ici le plus proche du sujet, mais Nick Cave avait dit l’essentiel avec cette chanson all-stars tirée de son album Murder Ballads. Rien n’est fini après la mort.
Photo réalisée avec lensgo.ai
Encore un article absolument extraordinaire (au sens propre comme au sens figuré)…
Merci !