Benjamin Biolay / A l’auditorium
[Romance Musique]

7.5 Note de l'auteur
7.5

Benjamin Biolay - A l'auditoriumLe disque live, qui plus est symphonique, est un classique du genre casse-gueule que Benjamin Biolay a le courage d’aborder frontalement et sans embrouille. A L’auditorium est la captation d’un concert, dont existe également une vidéo intégrale (en illustration ci-dessous), qui a été donné (sur 2 dates) à Lyon en février 2023 et pour lequel Biolay a été accompagné par l’Orchestre National de Lyon dirigé par Dirk Brossé. La formule avait été rodée l’année précédente avec un premier passage à Lyon et une double soirée triomphale à la Philharmonie, ce qui explique sans doute l’impression de parfaite harmonie entre l’orchestre et le groupe qui se dégage des enregistrements.

Les fans de l’artiste savent sûrement qu’il ne s’agit pas du premier live de Biolay qui a déjà signé un Live au Casino de Paris en 2005 mais aussi un Live au Barbar en 1994 avec son premier groupe Mateo Gallion. Cette troisième expérience est évidemment d’une toute autre facture puisqu’elle témoigne de la consécration du chanteur et d’une réussite qui s’exprime ici à travers le genre très codifié et bourgeois d’un groupe pop servi par un orchestre symphonique au grand complet. Ce dispositif a ses contraintes (il faut chanter par dessus plusieurs dizaines de musiciens) pour un artiste dont la puissance de chant n’est pas phénoménale et bien sûr ses avantages comme de sublimer les chansons et de mettre l’accent sur le supposé point fort de Biolay, à savoir la qualité et la complexité des arrangements.

Sur le premier point (le chant), Biolay s’en tire avec les honneurs en ne prenant pas de risques démesurés mais en se révélant tout de même comme un interprète assez puissant et agile. Il « domine » convenablement l’orchestre en chantant dans un registre plus bas qu’à l’ordinaire et en proposant moins de modulations et de décrochés que sur les lives précédents, si  ce n’est vers la fin où il livre une prestation remarquable de technique et d’expressivité sur le beau Ma Route. Le chanteur reste néanmoins plus à l’aise quand l’orchestre ne joue pas à plein régime (à l’ouverture sur un excellent Négatif, par exemple, ou encore sur Dans Mon Dos), que lorsqu’il essaie de s’appuyer sur un dixième de sa puissance de feu (La Superbe, plus hasardeux et moins touchant qu’en version studio). On a ainsi le sentiment que les musiciens jouent avec le frein à main et qu’il n’était peut-être pas nécessaire de convoquer tout ce monde pour sonner ainsi.

A L’Auditorium souffre du principal défaut des albums symphoniques : l’orchestre est sous-exploité et tend, sous cette forme, à renforcer l’homogénéité des morceaux en les enrobant sous une texture « classique » qui, sur disque du moins, tend à précipiter une forme d’uniformité dans le traitement. Ceci étant dit, on ne peut qu’être touché par la solennité et le sérieux d’un Biolay qui prend ce concert comme un défi et « affronte » littéralement l’orchestre en préservant le caractère intime et personnel des morceaux. Il se crée au fil des titres une vraie tension entre le volume des arrangements, la force de l’accompagnement et l’espace minimaliste défendu par la voix et des textes. Le public est conquis et on peut l’être aussi à l’écoute d’une captation subtile et qui réussit à concilier la connivence avec l’artiste et le rendu héroïque provoqué par le dispositif. Sur Lyon Presqu’île, on ressent particulièrement bien cette hésitation entre les modes qui fait l’intérêt du disque.

Biolay rayonne sur les morceaux où l’orchestre lui sert la soupe (la Débandade, Ballade française), se régale sur le tapis de cordes mélancolique déroulé sur un Ton Héritage mélodramatique mais est finalement plus intéressant quand il quitte le registre confessionnel ou de la croonerie pour adultes pour se battre avec l’orchestre. Cela se produit sur la fin de A L’origine : la voix craque et cède, soulevant un instant d’émotion véritable et d’intense beauté. Ces instants sont assez peu nombreux. Biolay choisit de ne pas creuser cette dualité entre la faiblesse de sa voix et la force de l’orchestre et préfère surfer sur la grâce naturelle d’arrangements peu surprenants sur Comment est ta peine ? ou les Cerfs Volants, pour assurer un spectacle pop de qualité. On ne doute pas qu’il se soit dégagé dans la salle une vraie alchimie entre l’orchestre et le chanteur et que celle-ci ait enchanté le public mais elle est un peu moins palpable et nécessaire sur disque.

On a un peu de mal à oublier la version de Sinatra sur la reprise maladroite du It Was A Very Good Year d’Ervin Drake mais là encore c’est une tentative qu’on ne reprochera certainement pas à son auteur et qui a toute sa place ici. Biolay propose du reste un programme final somptueux avec la reprise du C’est magnifique de Cole Porter, la Ceinture, la Superbe et Ma Route, qui sont, d’où qu’on les prenne, des chansons remarquables. L’émotion est maximale et le public y cède en claquant dans les mains et en faisant des lampions avec les téléphones portables. Le fantasme d’un Biolay artiste populaire et exigeant est réalisé ici avec beaucoup d’adresse et de justesse.

On peut se montrer critique (parfois) avec l’écriture du compositeur, ses facilités de langue et reconnaître que ce live lui permet d’asseoir par le haut sa valeur patrimoniale et sa place à côté de Gainsbourg et de quelques autres. A L’Auditorium ne change pas le regard qu’on a sur les morceaux de Biolay mais est un disque qui inspire le respect, rend justice à ses qualités d’interprète et d’auteur, et constitue un témoignage courageux de ce que la chanson française contemporaine peut avoir d’attachant et de noble à son meilleur.

Tracklist
01. Négatif
02. Lyon presqu’île
03. La débandade
04. Dans mon dos
05. Ballade française
06. Ton heritage
07. À l’origine
08. Volver
09. Les cerfs-volants
10. Comment est ta peine ?
11. Pourtant
12. La ceinture
13. C’est magnifique
14. La superbe
15. Ma route
Écouter Benjamin Biolay - A l'auditorium

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