La dépression aura donné au monde autant d’albums magnifiques que l’amour. Les deux se répondent assez bien : la première démarre bas et se termine parfois sur un retour en forme, tandis que le second, dans un mouvement inverse, nous mène rapidement au sommet avant d’entamer, presque à chaque fois, une grande dégringolade. Amour et dépression se nourrissent et s’évitent, ils se succèdent et s’entraident. Bell of Wool, le nouvel album de Blaue Blume, en est un excellent exemple. Le chanteur Danois Jonas Smith a écrit la plupart des textes et des mélodies alors qu’il s’abîmait lentement dans une déprime qui allait le conduire tout droit au désespoir. Ce n’est que lorsque sa santé lui donnera un peu de répit qu’il reprendra les morceaux et, avec le groupe, sera à même de mener l’aventure de cet album à son terme.
Paradoxalement, Bell of Wool n’est pas l’un de ses grands albums plombants qui donnent le cafard. C’est un album de l’entre-deux où l’on sent quelqu’un exprimer de plus en plus ouvertement un tempérament hautement mélancolique et glisser dans la noirceur. Les arrangements sont magnifiques : une texture sourde, mi-organique, mi-électronique avec un mixage de la voix, réaliste et lyrique, très marqué qui confère à l’ensemble une tonalité soul appuyée en même temps qu’un rendu synth pop moderne et surréaliste. Blaue Blume sonne parfois comme ces machins modernes avec autotune et trafic d’effets qu’on déteste mais c’est comme si le groupe empruntait ces atours de l’époque pour mieux tromper son monde et imposer sa pop déviante et foncièrement originale. Le groupe, Danois, n’a jamais caché ses influences : il fait partie des rares à se revendiquer des New Romantics, cette famille honnie de la New Wave, de Duran Duran ou du Spandau Ballet mais aussi de Talk Talk, auxquels il emprunte ce souci de faire du Beau avec les codes pourris d’aujourd’hui. Il faut digérer cet héritage embarrassant pour apprécier à sa juste valeur des morceaux absolument fabuleux comme Vanilla ou la beauté crépusculaire de Someday. « The Sun is so high. It only gets me down », chante Smith en toute lucidité. La musique du groupe est profonde, très travaillée et fait penser à un mélange de Sufjan Stevens du pauvre et d’Antony Hegarty, arrangé par Trentemöller.
La musique de Blaue Blume est parfois très (trop) affectée, ce qui n’est pas si simple à apprécier. C’est le cas sur le pompier Morgensol, malgré l’insert d’arrangements aquatiques sublimes et un chant de toute beauté, ou encore sur le quasi insupportable (mais tubesque) Bombard en retour d’énergie. En version déshabillée, sur Rain Rain, on prend toute la valeur de ce qui est proposé ici : de l’émotion brute, à peine abritée par un groupe qui tente d’enfouir la désolation émanant de son chanteur pour la rendre supportable. Les tempos sont lents, le phrasé délié et didactique. Smith observe les éléments, laisse filer le temps et s’ennuie comme quand on manque d’envie. La voix du chanteur emporte tout sur son passage et sublime littéralement l’ensemble des titres, au point de voler la vedette à une musique qui ne démérite pas. Smith est une diva magnifique, mélancolique et capricieuse qui ne transige pas sur son organe. Il croone sur le sublime Sobs, l’une des chansons les plus abouties du disque, alternant le chant de gorge et le chant de tête, pour un final qui évoque un mélange de Céline Dion et de… Phil Collins. Lovable est tout aussi spectaculaire et stupéfiant. C’est une chanson d’amour remarquable et dont il faut suivre la progression sur près de cinq minutes pas à pas. « Wish i could give you everything. You and I up against the pride. You and I for life. We can feel things, we can escape, fall into the world like we have faith… Maybe we can drop the shame away…Nothing ever leaves the mess we made…. » Il y a une intensité dans la livraison de Smith qui bouleverse et qui transcende amplement les effets ahurissants appliqués sur sa voix. Blaue Blume donne à cet instant précis l’impression d’être un groupe extra-terrestre, d’inventer la pop de demain et d’après-demain. L’impression est confirmée avec la beauté triste de New Navel qui referme cet album roboratif de seulement 9 titres.
Sans doute faut-il faire un effort pour s’exercer l’oreille et apprécier ce disque atypique. Mais il y a plus d’émotions et de plaisir à prendre dans ce disque de Blaue Blume, anachronique et cosmique, que dans les trois quarts des productions de l’année. Sa tristesse est communicative mais se retourne, comme un gant, en une forme de contentement idiot et désolé. La musique est un baume et un médicament. C’est un mirage qui soigne et guérit.
02. Someday
03. Morgensol
04. Vanilla
05. Rain Rain
06. Bombard
07. Sobs
08. Lovable
09. New Navel