Ceux qui avaient rêvé d’un album incisif et ramassé portant sur une observation aigue de la vie de bureau en seront pour leur grade. Office Politics n’est pas plus un album-concept sur les employés du secteur tertiaire qu’un véritable retour aux sources pop et classiques du Divine Comedy de Promenade ou Liberation. L’album est roboratif (16 titres), joyeusement foutraque et à la limite du grand bordel musical. C’est un album qui impressionne cependant par son énergie, son envie d’aller de l’avant et la profusion créative dont il témoigne.
Les précédents albums de Divine Comedy, à l’exception de son live, nous avaient plutôt ennuyés. Ils sentaient trop la manière et pas suffisamment l’intention. Office Politics respire au contraire la joie de jouer et de se confronter, musicalement et via les textes, à des thématiques nouvelles. Fi des reconstitutions historiques : The Divine Comedy redevient un groupe contemporain et pas une machine à hanter les salons. La veine comique qu’avait explorée Hannon avec des morceaux comme The Complete Banker est ici exploitée à fond, avec un bonheur relatif à l’image de l’ouverture Queuejumper, single assez médiocre dans l’écriture (les paroles sont mauvaises) mais qui donne à voir une vitalité retrouvée et un allant contagieux. Ces foutues queues sont l’apanage de la vie contemporaine et personne n’en avait parlé encore avec cet esprit d’analyse et ce sens de l’observation. Hannon bouge encore. C’est ce que montre un Office Politics (la chanson) mi-funk, mi-raisin euro-pop, ambitieux et narrativement impeccable. Office Politics (l’album) s’offre une de ces seules vignettes incarnées avec l’excellent single Norman and Norma, qui nous fait regretter par la suite un traitement des thèmes trop abstrait pour nous toucher avec la même efficacité.
Neil Hannon se balade dans un univers glacé (le nôtre) où les machines nous malmènent et nous rabaissent au rang d’accessoires. C’est la thématique principale du disque : le sentiment de relégation d’une humanité qui s’abrutit au travail, est déshumanisée par un système avilissant et se souvient vaguement de comment elle aimait jadis. Absolutely Obsolete dresse le parallèle entre cette précarisation de l’homme au travail et une relation amoureuse. Le refrain est en dessous de couplets épatants mais le morceau fonctionne tout à fait correctement. Cette veine mécanique devient une veine musicalement synthétique avec une série de titres qui en perdront peut-être quelques-uns en route. Entre Infernal Machines, sa ligne de synthé sourde et ses arrangements dignes des Temps Modernes, Psychological Evaluation et The Synthetiser Service Centre Super Summer Sale, Hannon donne une représentation amusante mais également menaçante du phénomène à l’œuvre. On pense à un Kraftwerk joueur parfois mais surtout aux représentations traditionnelles de robots idiots mais néanmoins dominateurs. Hannon cite ses influences synthpop sur Psychological Evaluation, un dialogue un peu marrant avec un ordinateur en charge des interrogatoires. L’ensemble est un peu long pour ce qu’il a à dire mais l’audace reste à saluer.
Ces morceaux situés en milieu d’album ouvrent sur une seconde moitié de disque plus flamboyante et qui figure la renaissance d’une forme de romantisme. L’homme remisé de You’ll Never Work In This Town Again, drame burlesque à la Lee Hazlewood, s’éveille à nouveau. Alors que les algorithmes lui dictaient sa conduite et ses goûts culturels, le surréalisme et le kitsch le ramènent à la vie. « I am my own convention/ I am a one-man show, the center of attention, bathing in the glow. » chante Hannon sur l’impeccable The Life and Soul of The Party. C’est ici que l’homme redresse la barre, danse et s’ébroue à nouveau en tant qu’individu. La ligne de basse est solide et la guitare mène le bal. Le chant d’arrière-plan est superbement mis en place et confère à cette ode décalée à l’homme ordinaire une majesté inespérée. A Feather In Your Cap ressemble à une balade écrite par Marc Almond ou David Sylvian. Le salut passera par la synthpop sentimentale des années 80. C’est dit. I’m A Stranger Here est un titre assez atypique dans l’œuvre de Divine Comedy et renvoie aux morceaux chantés et mélancoliques d’Absent Friends. Le titre impressionne par sa couleur et son faux rythme hypnotique. Il constitue une transition parfaite vers un Dark Days Are Here Again spectaculaire et qui fait partie des meilleurs morceaux ici. Le ton est sombre et la séquence apocalyptique jusque dans son final crépitant et qui fout la frousse. Après une rechute baroque un brin embarrassante, Office Politics se referme sur deux beaux morceaux classiques et emmenés au piano. After The Lord Mayor’s Show et When The Working Day Is Done (entre Scott Walker et.. Nick Drake pour les références) sont magnifiques, émouvants et très réussis. Le second, une marche remarquable, s’achève dans un crescendo/decrescendo dont raffole le compositeur et qui nous laisse fourbus et infiniment reconnaissants.
Office Politics est un album inégal mais réjouissant. Il reflète en cela les contradictions de son sujet. L’homme est-il digne d’être sauvé ? Ses caractères attachants ne sont-ils pas les plus triviaux et les moins aimables ? Neil Hannon ne fait rien moins ici que de sauver le monde à sa façon. Il le fait humainement avec des titres passables et des expérimentations douteuses mais aussi des gestes aussi vains que somptueux. Sa musique a du panache, de l’emphase et une âme d’enfant. Elle est ultrafabriquée et artisanale à la fois, cheap et chic. C’est une musique profondément humaine et dont l’apparence seulement est sophistiquée. Office Politics procure un certain bonheur et renvoie aux imperfections et aux plaisirs idiots qui font le sel de la vie.
Pour ceux qui s’intéressent à ces choses, l’édition deluxe est augmentée par un second CD qui reprend les démos originales au piano composées par Hannon pour son adaptation de la comédie musicale Swallows and Amazons d’Arthur Ransome, il y a… une dizaine d’années. On ne sait pas trop ce que cela fout là mais le disque constitue un document intéressant, en plus de regrouper quelques très jolies chansons (en piano/voix), sur la manière dont compose l’Irlandais, ses tics et sa manière de chercher le graal.
02. Office Politics
03. Norman And Norma
04. Absolutely Obsolete
05. Infernal Machines
06. You’ll Never Work In This Town Again
07. Psychological Evaluation
08. The Synthesiser Service Centre Super Summer Sale
09. The Life and Soul Of The Party
10. A Feather In Your Cap
11. I’m A Stranger Here
12. Dark Days Are Here Again
13. Philip And Steve’s Furniture Removal Company
14. ‘Opportunity’ Knox
15. After The Lord Mayor’s Show
16. When The Working Day Is Done