Le petit monde de la pop indé est peuplé de personnalités incontournables, de ces femmes emblématiques qui, loin du modèle de la chanteuse-un-peu-potiche encore trop souvent mis en avant ou de celui de la riot grrrl féministe à l’extrême, parfois même anti-mâle, montrent qu’il est tout simplement possible de s’épanouir et d’être reconnue pour son talent et sa personnalité dans ce milieu en rien plus facile que les autres, tout autant dominé par les hommes. Dans le sillage des Tracey Thorn, Amelia Fletcher ou Rose Melberg, c’est au milieu des années 1990 à la faveur de deux singles de son premier groupe, Aberdeen, parus sur la toute fin du label Sarah Records que l’on a découvert Beth Arzy, impliquée rien que cette année dans deux des meilleurs disques de pop parvenus jusqu’à nos oreilles enchantées, celui de Jetstream Pony et donc ce The Long Now, troisième album de The Luxembourg Signal. Mais tout comme elle s’implique depuis des années aux côtés de Bobby Wratten au sein d’abord de Trembling Blue Stars puis du projet Lightning In A Twilight Hour, The Luxembourg Signal n’est pas « son » groupe mais un collectif dans lequel elle prend sa part, comme les autres, principalement au chant. Pas de star ici, pas de leader, mais un septet mixte (3 hommes, 4 femmes) et une formule riche qui permet au groupe d’aller vers une musique ambitieuse et ample : deux voix principales, des guitares, des claviers. The Luxembourg Signal se donne les moyens d’habiller avec soin ses compositions pop raffinées mais sans fioritures.
A l’écoute de The Long Now, dans la lignée des deux précédents albums du groupe, on comprend vite pourquoi ces californiens sont parfois considérés comme le plus anglais des groupes de la côte ouest. L’influence de Beth Arzy ne fait aucun doute. Exilée londonienne depuis des années, toujours accompagnée dans ce projet par son compère d’Aberdeen (le groupe) Johnny Joyner, elle apporte cette touche so british qui envoie le groupe explorer les trésors du grenier de la pop anglaise. Titre emblématique, Cut The Bridle dans le rôle du tube imparable de milieu de disque est une merveille de condensé historique, une visite en bus touristique, les cheveux au vent, des plus beaux monuments locaux, de Steve McQueen à Disintegration, de What Does Anything Means? Basically à The Queen Is Dead. C’est un fait entendu, mais il n’est jamais inutile de le rappeler : peu de groupes ont la prétention de changer le cours de l’histoire de la musique et s’il ne fallait retenir que les disques qui ont véritablement fait bouger les lignes, nos discothèques s’en trouveraient considérablement allégées. Non, la musique est avant tout une question d’inspirations et d’émotions, cette connexion qui se crée de façon parfois inexplicable entre une œuvre et un auditeur. Et ça, The Luxembourg Signal sait faire.
Alors le groupe déroule ses influences, les digère, les délaye pour mieux se les approprier. Bien sûr, on pourrait toujours reprocher à The Luxembourg Signal, comme à tant d’autres cet excès de neutralité, cette volonté de rester discret dans son coin ou encore un certain manque de charisme qui se traduisent par des compositions un peu passe-partout mais l’essentiel, comme la plupart du temps dans ce courant musical qui fait de la discrétion un dogme n’est pas là. Disque lumineux par excellence, étincelant comme sa pochette et son vinyl solaire, jaune et orange, de bout en bout, quel que soit l’angle choisi, The Long Now brille de mille feux. Entre une intro space pop complétement planante et une conclusion à laquelle il ne manque aucun des ingrédients d’un certain héroïsme (la rythmique pour dodeliner de la tête, des nappes de synthé en altitude, quelques notes de piano entêtantes, un bon gros riff de guitare et un refrain à reprendre en chœur), l’album défile sur un tempo relevé mais maitrisé et enchaine les réussites. C’est The Morning After, ses handclaps et sa basse hyper groovy, 2:22 plus sauvage et métronomique bien qu’entrecoupée d’un long break. Take It Back prend des faux airs east coast et pour peu, on se croirait chez Ivy tandis que Mourning Moon nous embarque pour une virée automobile nocturne dans l’air chaud d’un été sans fin. Plus loin, l’enlevé Ramblin’ Rodriguez prend des accents presque chicanos mais de la même façon que les Field Mice par exemple n’ont jamais rechigné à enregistrer quelques ballades countrysantes qui, si elles dépareillaient dans leurs univers un rien congestionné, n’en restaient pas moins des plus réussies.
Comme ses prédécesseurs, The Long Now ravira les fans et fera à n’en pas douter quelques nouveaux émules car il est difficile de résister à tant de simplicité et de beauté. Et si le disque sera, comme ses prédécesseurs encore, rapidement épuisé, ne laissant que quelques miettes numériques perdues au fin fond d’un bandcamp, c’est que The Luxembourg Signal répond à la perfection, comme d’autres à leurs époques successives, à ce besoin de normalité et de sincérité dans lesquels chacun peut sans peine retrouver des fondements solides. Par les temps troublés qui courent, s’appuyer sur quelques certitudes, fussent-elles musicales, est un luxe tout simple que l’on doit s’accorder.